Virez-moi car j’ai péché
Politiciens, CEO trouvent un dérivatif bien rémunérateur à leur perte de fonction. Souvent, ils ont même intérêt à passer à la trappe.
On se dit que, dans le haut de la hiérarchie, l’entreprise devient insurmontable tellement les places sont chères. Eh bien, oui, elles sont payées très cher et, non, cela ne semble pas hors d’atteinte pour nos top managers. L’éviction de leur poste à responsabilités s’est faite avec tous les égards dus à leur rang et à leur indéniable compétence. On a d’ailleurs trop misé sur eux pour oser dire le contraire. De véritables ponts d’or leur sont généreusement alloués comme dédit. Des bas de laine qui leur garantiront des jours paisibles pour plus d’une vie entière du commun des mortels. Ces sommes-là sont vraiment sans commune mesure avec ce que l’on aurait octroyé, avec beaucoup de difficultés, dans les mêmes circonstances aux salariés de plus bas niveau.
Les responsabilités se paient-elles à leur juste valeur ?, se demandait un de nos rédacteurs d’AgoraVox.
Est-ce qu’il faut en arriver à des extrémités aussi dispendieuses ? Beaucoup de postes de grandes responsabilités humaines n’atteignent pas les niveaux dont on parle. En moyenne, un PDG se gratifie d’un salaire 260 fois plus important que celui d’un salarié moyen. Une loi de 2001 en France oblige les sociétés cotées en Bourse à dévoiler les revenus de leurs dirigeants. Revenus de toutes origines, jusqu’à l’avion privé avec chauffeur ou non. D’après un sondage, 49% des investisseurs belges pensent que cet étalage est important, pourtant, 41%, avec plus de jeunes de moins de 35 ans, estiment au contraire qu’ils n’y voient aucun intérêt.
Voilà plusieurs mois déjà, Georges Bush imposa à la direction de la Banque mondiale Paul Wolfowitz, ancien secrétaire adjoint à la Défense, artisan de la guerre en Irak, chef de file des néoconservateurs américains et principal inspirateur de l’idée de la « croisade du bien contre le mal ». Cet homme est donc chargé de la lutte contre la pauvreté et du financement des pays non développés. La Banque mondiale et FMI ont imposé aux pays demandeurs de crédit des programmes d’austérité et de privatisations qui ont abouti à des catastrophes, tant sociales qu’économiques. Comme si cela n’avait aucun impact, Paul Wolfowitz ne peut d’ailleurs se targuer d’aucune expérience dans le domaine. Le salaire, lui, semble correspondre à une expérience de plusieurs années ajustées sur une seule.
Le 28 décembre 2006, on apprenait que Steve Job de la société Apple avait quelques stock-options, avec dates légèrement modifiées. Rappelons le but de ces stock-options : c’est un moyen de fustiger les efforts du GM pour atteindre des résultats au top. Il reçoit des actions de la société avec une date d’échéance précisée. Alors, quand cette date est écrite avec de l’encre effaçable... Cela bardera en haut lieu, donc, et son départ est envisagé. La Bourse accuse le coup et chute en même temps. Ah oui, il y a job dans son nom !
Ces stock-options deviennent parfois stock-fiction, quand le prix de l’action est gonflé artificiellement en cachant des pertes, certaines pertes.
Le magazine Trends titrait en page de garde "Les patrons du Bel20 méritent-ils leur salaire ?". Ceux-ci "sont-ils liés aux performances", se demandait-on pudiquement. Les patrons belges gagnent 20% de moins que les français. "L’écart entre le salaire minimum et maximum ne pourrait excéder cinq fois", affirmait quelqu’un des syndicats. "Mais, n’est-ce pas comparer des pommes et des poires ?", osait lancer quelqu’un, en ne précisant pas le camp de chacun. Bill Clinton, dans les années 1990, pensait réduire les émoluments des patrons. Conclusion : les stock options ont explosé, et Enron a suivi. Après des bénéfices élevés, faut-il crier au scandale sur salaires élevés des dirigeants ? Personnellement, je dirais que cela ne m’émeut pas. Des résultats d’entreprise en concordance avec les promesses ne peuvent qu’apporter une récompense en rapport et concourir à la sécurité de l’emploi pour tous les suiveurs. De toute manière, il est impossible de payer un chef d’entreprise chez nous moins que ce qu’il pourrait gagner à l’étranger. L’indécence n’est pas d’être riche quand d’autres sont pauvres, pas plus que d’être en bonne santé aux côtés de ceux qui sont malades. Entre le libéralisme et le marxisme, c’est le premier qui a été choisi. La douche froide vient plutôt du secret qui entoure les salaires pratiqués et de leur mise à plat dans les cas extrêmes. Il n’en est d’ailleurs pas de même aux Etats-Unis où l’étalage des fortunes est loin de faire partie des secrets d’Etat. La fameuse citation de Mc Kinsey : "If you throw peanuts, you get monkeys", reste valable.
Dieu sait si la responsabilité du top management d’une société est grande pour l’avenir de l’entreprise. Ses décisions, sa politique engagent la société et tous les travailleurs qui la composent dans le même bateau de la réussite ou de l’échec. Les dégâts des actions manquées n’ont pas seulement comme suite des pertes énormes d’argent, des faillites magistrales et des pertes d’emplois à la pelle. Bien sûr, ils ont droit à l’échec comme tout un chacun. Un mauvais jugement ou un calcul du risque mal ficelé peut aboutir à une extrémité malheureuse ou catastrophique, mais alors, aller jusqu’à les rétribuer généreusement par la suite ! Si un pilote d’avion fait des erreurs entraînant un crash, ses passagers y passeront, lui fera de même.
Souvent, à peine remercié et après avoir reçu toutes les réprimandes d’usage, le revoilà repositionné et proposé pour de nouvelles fonctions encore plus gratifiantes. Là réside ma critique majeure. Si c’est le contrat à l’embauche qui en est responsable, il faudrait simplement l’amender pour éviter des excès. Certains projets de loi vont dans ce sens. Les indemnités de licenciement des patrons ne pourraient plus dépasser le salaire annuel. L’accueil politique de ce projet a été plutôt glacial. A débattre, peut-être... mais pas de loi.
Attention, encore une fois, je ne conteste absolument pas systématiquement les sommes extravagantes attribuées au sommet. Ces têtes pensantes ne dorment pas toujours sur leurs deux oreilles, et la valeur des actions des entreprises ont été multipliée par six en vingt-cinq ans. Ce qui n’est pas normal, à mes petits yeux, c’est qu’une personne qui entre en charge d’une fonction de haut niveau pendant un temps en définitive assez court sorte de la course et se voie gratifiée d’émoluments hors norme, pour recommencer peut-être plus tard. Le carriériste, lui, n’aura qu’une chance comme lot de consolation.
Plus problématique encore, des patrons de groupes américains de la Défense, du domaine pétrolier, ont vu leur rémunération doubler depuis le 11 septembre 2001, faisant du même coup grimper le coefficient de relation avec un salarié. (Reuters).
Depuis 1999, des exemples se retrouvent chez les grands noms de nos industries, de la distribution, du service et d’ailleurs pour ne citer que les estimations en millions d’euros des dédits de leur patron Jean-Marie Messier chez Vivendi (60 millions) qui a déjà retrouvé son rythme de croisière dans ses interviews à la presse, Frans Rombouts à La Poste (2,5 millions), Daniel Bernard chez Carrefour (29 millions), Philippe Jaffré chez Elf (30 millions). Plus tard, ces dédits sont revus ou annulés. Pierre Bilger renonce à son dédit Alstom (5), Jurgen Schrempp de Daimler Chrisler reste sans dédit (0). Jorma Ollila, ex-patron Nokia (0) retrouve une place chez Royal Dutch. Récemment encore, le PDG de la Banque d’Italie s’est vu forcé de quitter son siège et de perdre ainsi des émoluments généreux. Encore plus récemment, le journal La Libre Belgique du 12 avril, titrait : "Le patron de Belgacom ne risque pas de se retrouver sur la paille" ; en effet, Didier Bellens aurait droit à 5,1 millions d’euros. En 2005, chez le brasseur belgo-brésilien Groupe InBev le départ de trois top managers a coûté 31 millions d’euros, le CEO, John Brock, Stuart Gilliland, directeur Europe et Patrice Thys, directeur Asie-Pacifique, dans le même temps, 500 emplois en Europe sont sur la sellette et le patron brésilien impose d’économiser sur les photocopies. Je ne suis pas sûr que ce soit pour une raison écologique ! Antoine Zacharias, PDG de Vinci (BTP) a été contraint de démissionner, poussé vers la sortie par le conseil d’administration à cause de son "scandaleusement riche" salaire de 4,5 millions d’euros, une prime de départ de 13 millions, une retraite de 2,2 millions et des "stock option-fiction" estimés à plus de 170 millions. Noel Forgeard de EADS s’est senti très instable après le retard des A380 qui a fait chuter de 5,5 milliards d’euros la valeur de la société.
La liste n’est pas close et les parachutes dorés sont là parce que "je le vaux bien", expliciterait la pub.
"Si les rémunérations sont perçues comme injustes, la confiance dans le système capitaliste pourrait en souffrir", disait L’Echo du 5 septembre 2006.
Mais, dans ces hautes sphères, ce monde-là reconnaît ses membres. On se serre les coudes. On se protège.
Les chasseurs de têtes sont par ailleurs très heureux de recaser ce genre de personnalité qui constitue l’élite des top managers.
Bolkestein, ça vous en a dit, des choses ! Sa fameuse directive de la Commission européenne, contestée à son origine, recontestée après amendement et qui devait libérer les services à outrance, oubliant la concurrence importée par les travailleurs, en provenance de pays européens moins bien lotis en avantages sociaux et financiers et qui apportaient leurs règles dans leurs bagages. Cet ancien ministre hollandais de la Défense, pensionné, mais toujours membre et président de beaucoup d’organismes, donc rémunéré très probablement avec émoluments qui portent un autre nom, n’accepte plus depuis bien longtemps les interviews de journalistes non rentables, mais organise des conférences bien payées un peu partout.
La politique n’a pas ses laissés-pour-compte non plus. Gérard Schröder, ex-chancelier allemand, mis à l’écart relativement récemment, s’est inscrit sur la liste des "bienheureux" en devenant collaborateur de l’agence Harry Walker de New York, qui a déjà un catalogue de célébrités, dont Bill Clinton et le chanteur Bono. L’ex-chancelier va très probablement vite regretter de ne pas avoir eu les dernières élections plus tôt, quand on sait que les rémunérations peuvent de ce côté monter à plus de 200 000 euros par discours. Le Nouvel obs de fin novembre 2006, en parlant de lui, se posait la question de savoir s’il restait de la vie après la mort politique de septembre 2005. Il est resté zen, dit-on en réponse. Pragmatique, de surcroît. Il est actuellement président de la Nord-European Gas Pipeline (filiale de Gazprom) et de plus, on va tout savoir, il a écrit ses mémoires, ce camarade chancelier.
Pas de limite d’âge pour exercer leur management. A ce niveau, la pension se prend quand l’intéressé le veut bien, et ils peuvent rester en fonction si les actionnaires les trouvent sympathiques pour leur portefeuille. Quitter officiellement son poste pour limite d’âge ne signifie pas du tout abandonner les conseils d’administration.
La pratique de la haute finance éviterait-elle la sénilité ? Certains top managers sont appelés délibérément et en parfaite connaissance de cause par l’actionnariat pour redresser une société par tous les moyens, avouables ou non. Une restructuration drastique des effectifs est, dans ce cas, un premier choix au menu des initiatives. Si, malgré tout, la manœuvre n’aboutit pas, la recherche d’un acquéreur éventuel est sa deuxième opportunité, par l’OPA (offre publique d’achat), amicale si possible. Une société aux abois est souvent plus abordable financièrement, et des spécialistes du rachat sont à l’affût pour réaliser ce genre d’opération.
Ce top manager en arrive à penser qu’il est presque de son intérêt financier de se retrouver dans une situation de faillite, puisque c’est payant, à chaque tour de moulin. Et si ça ne marche pas assez vite, pourquoi pas un petit livre de mémoires bien orchestré ? Passer le temps n’est pas nécessairement "non rentable", non ? Demandez à l’ancien président Clinton. Il ne contredira certainement pas cela : son livre Ma vie, traduit en de nombreuses langues, a rapporté à son auteur plus d’un million de dollars. Si malgré les efforts, cela ne fonctionne pas, il restera encore la possibilité d’utiliser son nom pour la promotion d’un parfum ou d’un vignoble. Il faut seulement se documenter sur la question. Ce n’est pas du temps perdu.
La notoriété du viré ou du bien en place se reconnaît, et surtout se monnaie.
L’éthique et tics, vous vous souvenez ?
Et puis, nous sommes toujours en période de fête. Allais-je terminer sur une note aussi négative ?
Ce serait mal me connaître. Je vous aime bien, PDG, GM et CEO de tout poil.
Il y a tout de même de généreux donnateurs chez vous. Les fondations existent.
Certains n’hésitent pas à changer de cap pour devenir de bons samaritains.
« Chez ces gens-là, Monsieur... » (J. Brel), tout est possible...
L’enfoiré,
P-S : Il va sans dire que les chiffres et les noms ne sortent que de la presse officielle.
Citations :
"Les grands patrons ne sont jamais trop payés. La limite, c’est l’acceptabilité sociale" Claude Bébéar
"Manager seulement pour le profit revient à jouer au tennis en regardant le tableau des résultats plutôt que la balle" Ivan Lendl
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