Vive l’Etat !
Le 12/10 au micro de France Inter, François Hollande évoquant la crise financière, brocardait les libéraux qui crient « Vive l’Etat ». En disant cela, non seulement il prend ses désirs pour des réalités, mais il utilise pour appuyer son raisonnement, un sophisme douteux. Décrétant ex cathedra que la crise actuelle est celle du libéralisme, donc de la dérégulation, il embouche la trompette de l’étatisation généralisée et affirme que tout le monde désormais se rallie à cette caricature de politique.
A la vérité, les libéraux ne souhaitent pas plus aujourd’hui un renforcement de l’Etat, qu’ils ne voulaient hier sa disparition. De même, à la différence des anarchistes, ils n’ont jamais exigé la suppression des règles organisant la société. Au contraire, ils en font un prérequis indispensable au « contrat social » cher à John Locke. Leur seul objectif, à l’instar de Montaigne ou de Montesquieu, est que l’Etat n’abuse pas de ses prérogatives et que les lois soient aussi simples et utiles que possible.
Et que voit-on depuis des années dans presque toutes les nations même réputées libérales, si ce n’est un accroissement vertigineux de la place de l’Etat et l’inflation sans fin des réglementations ?
En France, même s’il a cédé un peu de terrain après la funeste époque des nationalisations d’entreprises, l’Etat reste en effet omniprésent dans tous les rouages de la société. Si on évalue son poids en termes d’impôts, charges et taxes, cela représente plus de 44 % du PIB. Et le résultat de sa gestion n’est guère brillant : dette colossale, quasi impossible à chiffrer, entre 1 200 et 3 000 milliards d’euros, équivalent à une vraie faillite aux dires même du Premier ministre (1). De cause structurelle, elle n’a cessé de progresser depuis le début des années 80. Elle s’accompagne d’un grave déficit de la balance commerciale et d’une diminution inexorable de la compétitivité industrielle. Enfin la croissance reste accrochée au plancher.
En dépit de plusieurs décennies de socialisme, ce naufrage économique n’est gagé, quoi qu’on en dise, par aucun vrai progrès social. Le chômage est endémique, la santé publique noyée sous la bureaucratie se détériore tout en coûtant de plus en plus cher, le système de retraites par répartition régi en grande partie par des officines d’Etat est en perdition. Il n’est pour l’heure d’autre solution que celle d’augmenter le montant et la durée des cotisations, tout en diminuant les pensions ! Le malaise est dans quasi tous les domaines où s’exerce la responsabilité du gouvernement : éducation, recherche, justice, prisons et même culture !
Parallèlement, les lois et réglementations n’ont cessé de croître, asphyxiant littéralement l’initiative privée. Le Conseil d’Etat (2) constatait lui-même en 2006 sans pouvoir hélas rien y faire "qu’il y a trop de lois, des lois trop complexes, des lois qui changent tout le temps !"
De fait, l’inflation législative n’a cessé de s’accélérer. En 1973, le Parlement produisait 430 pages de lois. Dix ans après, plus de 1 000. Aujourd’hui, presque 4 000. Les textes sont plus nombreux, mais, surtout, ils sont plus longs et plus compliqués. Selon le journal Le Monde (3), le Bulletin des lois est passé de 912 g en 1970 à 3,266 kg en 2004. Il comportait 380 pages en 1964, 620 en 1970, 1 055 en 1990 et 2 566 en 2004. La loi sur les communications électroniques du 9 juillet 2004 comprend 101 pages, celle sur les responsabilités locales du 13 août de la même année 231, celle sur la santé publique du 9 août 2004, 218 (encore alourdie par le nouveau projet de loi « Bachelot » de 115 pages prêt à être voté ce mois-ci) !
Les Etats-Unis, pays réputé libéral, ne sont pas épargnés par cette frénésie d’Etat. Même en retranchant la part consacrée à l’armée, les dépenses fédérales ont progressé durant le mandat de George W. Bush de plus d’11 % conduisant à un déficit de 5 000 milliards de dollars sur la décennie 2000 (4). Pendant ce temps, le dollar se dévaluait de 40 % par rapport à l’euro. Même si l’Amérique conserve un taux de croissance honorable, le chômage s’accroît rapidement, dépassant ces derniers mois les 6 %. Pourtant, selon le magazine The Economist (5), jamais les dépenses sociales n’ont été aussi importantes depuis la Grande Société du président Johnson (Sida, programme No Child Left Behind, modernisation du réseau autoroutier, amélioration de la prise en charge des prescriptions pharmaceutiques...)
S’agissant de la production de réglementations et de textes administratifs en provenance des agences fédérales, on peut l’évaluer par la quantité de pages ajoutées chaque année au Federal Register (6) : d’un volume de 15 000 en 1960, on est passé à 50 000 en 1975 et 80 000 en 2007...
Au total, il est vraiment surprenant qu’on invoque le manque d’Etat et de régulation dans la survenue de la crise économique actuelle. Ce serait plutôt l’inverse. D’ailleurs des économistes (7) relèvent la responsabilité gouvernementale dans la faillite du système des subprime, à cause d’incitations certes bien intentionnées, mais se révélant à l’usage perverses (taux d’intérêt bas, garanties illusoires des organismes para-gouvernementaux Fannie Mae et Freddy Mac, règles comptables trop complexes...). De l’autre côté ils évoquent l’enchevêtrement inextricable des réglementations à l’origine des diaboliques inventions censées les contourner (titrisation des créances, ventes à découvert...).
En définitive, c’est l’ensemble de la société qui a dérapé sur la pente glissante des bonnes intentions et les responsabilités sont largement partagées, de l’Etat aux citoyens, en passant par les banques et les entreprises. A l’évidence, il ne s’agit pas dans un tel contexte de renforcer encore l’arsenal législatif, mais de l’assainir et de s’assurer sans tabou idéologique de l’utilité réelle de toutes les lois car, comme l’affirmait Montesquieu (8), « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».
Quant à renforcer le rôle de l’Etat à la manière de celle que souhaite François Hollande et ses amis, ce serait le pompon : à savoir se retrouver avec des entreprises nationalisées du type d’Elf ou du Crédit lyonnais, dont l’incurie fut manifeste et qui ont coûté si cher aux citoyens !
Soyons toutefois optimiste : si l’Etat parvient à redonner confiance à un système déboussolé en garantissant les fameuses liquidités, il aura fait œuvre utile, ce qui est bien le moins qu’on puisse attendre de lui...
1 François Fillon, septembre 2007
2 Bulletin annuel 2006 du Conseil d’Etat
3 Le Monde 3/12/05
4 André Cotta, Le Figaro, 23/02/04
5 The Economist, 29/05/08
http://www.economist.com/world/unitedstates/displayStory.cfm?story_id=11455827
6 Federal register : http://www.gpoaccess.gov/fr/
7 The Wall Street Journal, 19/09/2008
http://online.wsj.com/article/SB122178603685354943.html
Johan Norberg.net 22/09/08
http://www.johannorberg.net/?page=displayblog&month=9&year=2008#2868
Guy Milliere 1/10/08
http://www.les4verites.com/Le-marche-a-toujours-raison-2077.html
8 L’Esprit des lois
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