Contre le gaspillage d’eau potable : un nouveau paradigme
A-t-on vraiment besoin de nettoyer nos sols, nos linges et de nous doucher avec de l’eau potable ? Une experte en environnement dévoile la face cachée du modèle occidental de distribution d’eau. Ce système repose sur deux piliers : l’eau potable au robinet et le système de chasse d’eau. Ce système nous pousse à puiser de l’eau de très bonne qualité dans les nappes profondes, ce qui menace le niveau de nos cours d’eaux. L’auteur ne se cantonne pas à une simple critique, elle propose un paradigme alternatif pour améliorer l’eau de boisson et préserver les nappes phréatiques.
Peut-on se retrouver face à une pénurie d’eau potable en France dans 50 ans ? Cette hypothèse an été posée par Sunita Narain, Directrice du centre pour la science et l’environnement en Inde lors de la semaine de l’eau en 2005 à Paris. Cette interrogation est aujourd’hui au cœur de la réflexion d’une chercheuse française, Anne Spiteri, auteure en 2005 du chapitre sur l’eau dans le rapport officiel de l’Institut Français de l’environnement. Cette brillante polytechnicienne lance aujourd’hui un cri d’alarme, dans un document qui circule sur le Web et intitulé « Pour un nouveau paradigme de l’eau ».
Le robinet coule mais l’eau souterraine est gaspillée
Anne Spiteri pose un constat simple : l’eau potable coule à flot au robinet mais les français ne boivent en réalité que quelques centièmes des volumes d’eaux utilisés au robinet. En réalité, « une grande partie des volumes d’eau potable sert à la toilette, à la chasse d’eau, aux lavages du linge et de la vaisselle ». A-t-on vraiment besoin d’utiliser de l’eau potable pour prendre une douche ou laver sa voiture ?
D’autant que pour faire baisser les coûts d’assainissement, une grande partie de cette eau potable est prélevée dans les nappes souterraines, plus préservées que les eaux superficielles des rivières. La majeure partie des eaux souterraines ne sert donc pas à boire de l’eau de qualité mais est gaspillée pour des usages domestiques et industriels. Ce gachis a pour conséquence de faire baisser le niveau des nappes d’eaux profondes ce qui diminue le niveau des eaux superficielles « Un véritable scandale écologique et humain » dénonce Anne Spiteri.
Pour protéger les eaux souterraines, Anne Spiteri remet en cause toute l’organisation de la filière de distribution et d’assainissement de l’eau en France. En mixant des eaux usées et des eaux souterraines, avant de retraiter et de dépolluer le tout pour rendre ces eaux propres à la consommation, le système occidental de gestion de l’eau s’engage dans « une fuite en avant technologique et financière » qui conduira « à éliminer de plus en plus de polluants et de micropolluants pour rendre l’eau prélevée réellement potable ». Une eau qui sera toujours moins bonne que celle des eaux souterraines non mélangées aux eaux usées. Et qui est utilisée sans discernement par l’industrie, l’agriculture ou les particuliers.
Halte au gaspi : pour des toilettes sans eau et une eau potable en bidons
Anne Spiteri rappelle par ailleurs que les stations d’épuration urbaines ou industrielles émettent des rejets de « substances toxiques, métaux lourds, PCB , HAP , médicaments, nanoparticules et autres micropolluants émergents » dont on retrouve des traces dans notre eau du robinet. Bref, dans ce contexte, est-il si intéressant de disposer partout en France d’une eau du robinet potable, contrôlée rigoureusement par les autorités, mais dont la qualité reste parfois incertaine ?
Non, répond Anne Spiteri. Cette dernière propose un « Nouveau paradigme » pour que « l’eau destinée à la consommation soit réellement de l’eau de très bonne qualité physico-chimique, microbiologique et gustative (…) aussi disponible pour les générations futures qu’elle l’aura été pour nous. »
Pour parvenir à ses fins, l’auteur avance une solution radicale en annonçant la suppression de l’ « eau potable au robinet ». En quoi consiste ce nouveau système ?
1/ L’eau du robinet ne serait plus potable. On utiliserait une eau du robinet « hygiénique » qui aurait les mêmes caractéristiques microbiologiques que l’eau potable mais avec des niveaux de pesticides et de nitrates qui dépassent les seuils de potabilité. Cette eau serait utilisée pour prendre des douches, arroser des plantes, ou laver son linge.
2/ Quelle eau boirait-on ? Des eaux extraites des nappes souterraines, situées à proximité des zones d’habitations et non mélangées aux eaux usées, ce qui évitera d’avoir à les dépolluer massivement comme c’est le cas aujourd’hui. Ces conduites d’eaux alimenteraient chaque quartier en eau. Les habitants, munis de bidons, viendraient chercher leurs eaux dans des fontaines installées dans chaque quartier.
Ces eaux souterraines seraient protégées et réservées exclusivement à la consommation. Pour Anne Spiteri, cette eau consommable devrait être bien meilleure que l’eau potable du robinet actuelle. Elle devra « prendre en compte les pathogènes et toutes les substances toxiques et émergeantes que l’on ne recherche même pas actuellement dans l’eau potable ». En conséquence, les consommateurs disposeraient d’une eau potable de bien meilleure qualité.
3/ Que ferait-on des eaux polluées ? L’auteur préconise de renoncer à la chasse d’eau, pour instaurer des systèmes de toilettes sans eau. Même si ces toilettes sans eaux devraient être améliorées pour les appartements, l’effort à fournir n’est pas insurmontable. Il suffirait de verser un peu de sciure de bois dans les toilettes pour combattre les odeurs. A l’occasion de l’approvisionnement en bidons d’eau potable, les lisiers seraient récupérés dans les immeubles puis traités par compostage, pour servir d’engrais à l’agriculture.
En mettant en place le cercle vertueux imaginé par Anne Spiteri, nous serions tous gagnants, si cette politique est associée à une mobilisation contre les pollutions industrielles et agricoles à la source.
- Premier avantage, on supprimerait les rejets fécaux liés aux systèmes de chasse d’eau. Ce qui permettrait de lutter contre les résidus médicamentaux rejetés par nos organismes et que les stations d’épuration ne savent pas traiter. Debarrassés de ces rejets domestiques les plus polluants, les eaux usées pourront être pour la production d’eau hygiénique (douche, linge etc…).
- Par ailleurs, un tel dispositif permettrait aussi de préserver les eaux souterraines de bonne qualité en les réservant exclusivement à la consommation humaine. Ces prélèvements ne dépasseraient pas 3% du volume d’eaux souterraines disponibles. « La réduction drastique des prélèvements dans les eaux souterraines leur permettra de rejouer leur rôle de maintien du niveau des eaux superficielles », précise le document, ce qui laissera plus d’eau disponible pour l’agriculture.
- Enfin, grâce à l’utilisation massive de composts dans l’agriculture, en lieu et place des engrais de synthèse, on parviendrait à réduire les déchets agricoles présents dans les cours d’eau.
Pour toutes ces raisons, on ne peut qu’être séduit par ce nouveau paradigme qui frappe, parvient à établir les priorités tout en dessinant des pistes cohérentes et pleines d’espoir. A ce sujet, Anne Spiteri aime emprunter à Aimé Césaire « la force d’inventer au lieu de suivre ; la force d’inventer notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l’obstruent ». On ne peut que lui souhaiter bonne route, au vue de l’importance des travaux qu’elle vient de publier.
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