Fukushima, l’illusion d’une solution
Le nucléaire va-t-il faire tomber l’un des pays les plus puissants de la planète ?
A la lumière du chantier pharaonique de Fukushima, et des milliards dépensés afin de tenter de sauver ce qui pourrait l’être, la question de la survie du Japon pourrait se poser.
Au-delà d’un problématique démantèlement programmé sur 40 ans, ce qui au fil des jours, semble un délai assez optimiste, le chantier du nettoyage de la région souillée par les rejets radioactifs est devenu vrai un casse tête.
Il faudrait dépolluer au moins un territoire de 2000 km2, (lien) soit plus que la superficie département de l’Essonne mais devant l’ampleur de la tache, le gouvernement japonais a limité à 1000 km² la surface à dépolluer (lien) même s’il est admis que les zones dépassant 1 millisievert par an représentent 13 000 km² réparties sur 8 préfectures, soit la superficie de l’Ile de France. lien
La méthode consiste principalement à décaper 10 cm de terre qui seront mis dans des sacs en plastique, sauf que la durée de vie de ces sacs n’excède pas 3 ans.
Bien sur, il est possible aujourd’hui de fabriquer des sacs imputrescibles, mais la loi destinée à défendre l’environnement ne permet pas cette fabrication, et pris par l’urgence, les japonais n’avaient d’autres alternatives que d’utiliser des sacs putrescibles.
Il faudra donc, avant le délai de 3 ans, recommencer l’opération.
Il s’agit aussi de laver le tronc des arbres…de ramasser les feuilles polluées par la radioactivité avec comme but final de permettre à une partie des populations en exode de revenir un jour dans leurs habitations.
Ça, c’est la théorie…en pratique, ca semble un peu plus compliqué.
D’abord parce qu’il parait assez illusoire d’affirmer que la pollution radioactive s’est limitée aux 5 ou 10 cm de surface, laquelle très probablement, avec les pluies, a pu s’enfoncer bien plus profondément, et qu’il serait alors quasi impossible de creuser si profondément sur une telle surface, même si par endroit, la décision de le faire a été prise.
Ensuite parce que déjà, avec seulement 10 cm de terre à décaper, le volume qui serait extrait défie l’imagination : pour 13 000 km², ce qui correspond à la surface réellement polluée, cela représenterait un volume de déblais de 1,3 milliard de m3, soit 185 fois la grande pyramide, et pour les 1000 km² finalement retenus, cela représente tout de même 0,1 milliard de mètres cubes, soit près de 15 grandes pyramides.
Pour se donner une idée de la surface de stockage que représente toutes ces déblais de terre radioactive mises en sac, lorsque toute la terre des 1000 km² aura été « empaquetée », cela représentera une surface de 27 km de coté, les sacs étant posés les uns à coté des autres.
Enfin, sur les zones rocheuses, il n’y a d’autre solution que de laver, rendant impossible la récupération de l’eau souillée, laquelle rejoindra un jour ou l’autres les nappes phréatiques, déjà largement polluées dans la zone de la centrale.
De plus, au-delà de cette zone, il reste des poches de terre radioactive..
En effet, une mesure récente à fait apparaitre dans un jardin public d’un quartier de Tokyo, à 230 km de Fukushima, une radioactivité de 92,335 Bq/m². lien
Rappelons que Tchernobyl, catastrophe nucléaire considérée largement par les experts comme 2 à 3 fois moins grave que Fukushima, avait pollué une superficie de 200 000 km² en Europe. lien (page 7)
Le plus étonnant c’est la décision de ceux qui tentent de gérer la catastrophe d’acheter des terrains pour entreposer les déchets radioactifs, estimant qu’ils seraient de l’ordre de 28 millions à 55 millions de m3, (pour une superficie de 19 km²) bien éloigné de la réalité qui, comme on l’a vu, est d’au moins 10 milliards de m3. Lien (voir date du 14 décembre)
Il faut aussi aborder la question financière, sachant que la note sera bien plus salée que prévue, et atteindrait, en ce qui concerne la dépollution, les 44 milliards d’euros, soit 5 fois plus que prévu initialement. lien
Sauf que cette somme ne concerne qu’une partie de la zone sinistrée, et qu’il faudra aussi dédommager les victimes.
C’est pour cette raison que Tepco vient de demander à l’Etat 7 milliards d’euros supplémentaires.
C’est en effet la 6ème fois que l’exploitant appelle l’état à son secours, la dernière fois remontait à mai 2013, ce qui porte le total des fonds demandés à plus de 33 milliards d’euros. lien
L’IRSN (institut de radioprotection et de sureté nucléaire) a mis en ligne l’étude sur le cout d’un accident nucléaire en France.
Celle-ci avait été publiée le 6 novembre 2012, lors d’un forum à Bruxelles.
Dans ce rapport, c’est dans une note en bas de page que l’on pouvait découvrir un autre rapport, celui de la Cour des Comptes qui estimait qu’un accident nucléaire majeur pourrait couter à la France jusqu’à 1000 milliards d’euros. lien
L’IRSN se limite pourtant à écrire que les conséquences financieres dépasseraient les 400 milliards, mais l’institution ajoute que « le pays serait durablement et fortement traumatisé (…) l’histoire garderait pendant longtemps la mémoire de la catastrophe », ce qui à la lumière de Tchernobyl ou de Fukushima n’étonnera personne. lien
On voit donc bien que, dans le cas du Japon, les conséquences financières sont aujourd’hui largement sous-estimées, et si on commence à additionner les sommes destinées aux dédommagements, à la décontamination, en y ajoutant le prix global du démantèlement, on devine aisément que la facture sera lourde.
Question assurance, selon « Assuratome », le Japon ne disposait que de 728 millions pour couvrir le risque « responsabilité civile »… en France ce montant se limite à 522 millions. lien
Il faut pose maintenant la question de l’éventuelle date de retour des populations dans leurs habitations, une fois la dépollution effectuée.
Le gouvernement assure que dans 3 ou 4 ans le chantier de décontamination sera terminé, ce qui parait bien optimiste, car pour permettre cet éventuel retour à la normale, un autre chantier titanesque s’ouvrira : nettoyer maison par maison, nettoyer les toits, les murs, gérer les boues issues des eaux usées évacuées, et trouver de l’eau potable, car il est probable que les nappes soient largement polluées…lien
Et puis, depuis le temps, la nature a repris ses droits, les animaux domestiques laissés à eux même se sont croisés avec des animaux sauvages, et d’après les observations, ils se seraient multipliés.
Chiens, chats, cochons, bovidés, abandonnés à eux même survivent comme ils peuvent, comme on peut le voir dans cette courte vidéo, et avec google, il est possible de faire une visite du territoire abandonné. lien
Combien reste-t-il d’animaux vivants sur les 30 000 porcs, les 600 000 poulets, les 10 000 vaches ? lien
Quant au chantier de la centrale elle-même, rien ne vaut les témoignages de ceux qui, bravant la loi d’interdiction, racontent leur vie de liquidateur, depuis le jour de l’accident.
Ils s’appellent Happy et Sunny.
Extraits :
Happy : « dans le réacteur n°4, ils ont commencé à extraire des combustibles usés, mais pour les trois autres réacteurs, ils n’ont pas de plan. On ne sait pas dans quel état sont ces produits nucléaires qui ont fondu ».
Sunny : « c’est surtout devant le réacteur n°3 que la radioactivité est intense, car à l’intérieur s’est produite une fusion de combustible MOX, un mélange de plutonium et d’uranium. Immédiatement après l’accident, des travailleurs ont été exposés à 70 millisieverts de radioactivité pendant 3 jours ». (Pour information, c’est l’industrie nucléaire française qui l’a fabriqué).
Happy : « …sur le site vivent de gros rats et des serpents ».
Sunny : « nous proposons que les conduites d’eau à travers lesquels s’écoule l’eau contaminée soient en métal, mais Tepco tarde à le faire, disant qu’il n’y a pas d’argent pour cela. Ces tuyaux ont été installés immédiatement après l’accident, donc si enchevêtrés qu’on ne sait pas à quoi ils sont reliés. Si une fuite se produit la nuit, on ne peut pas en connaitre la cause ».
Happy : « même de jour, on ne peut pas (…) on n’examine pas les choses d’assez près, donc tout se délabrera et il pourra s’ensuivre des accidents irréparables. Si la compagnie Tepco à l’intention d’utiliser ces installations et ces dispositifs pendant plus de 10 ans, elle doit construire non pas du temporaire, mais du durable ».
L’intégralité de leur témoignage est sur ce lien.
Plus grave, c’est avec la complicité des mafias japonaises que les entreprises sous traitantes emploient des sans-abri (vidéo), en gardant les 2/3 de leurs salaires, sous prétexte de frais. lien
En résumé, il a fallu une fois de plus un concours de circonstances pour que « l’énergie la plus saine et la moins dangereuse pour l’environnement » devienne d’un seul coup la plus dangereuse et la plus polluante. lien
Comme dit mon vieil ami africain : « rouler les mécaniques, c’est une maladie humaine ».
L’image illustrant l’article vient de « mondetdg.blog.tdg.ch »
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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- Photo par GLOBAL2000 http://www.flickr.com/photos/global2000/8283187799/lightbox/
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