La chasse et l’antispécisme
LA CHASSE ET L’ANTISPÉCISME
Texte et photos François de Grossouvre
Lorsqu’on parle de prédation, on pense immédiatement au loup ou au lion, qui sont des espèces emblématiques intégrées par l’inconscient collectif. En réalité les prédateurs peuplent nos campagnes et même nos maisons. L’être humain en fait partie et continue à chasser pour se nourrir dans de nombreuses régions du globe.
Il est passionnant d’étudier les techniques de chasse, aussi variées que les espèces qui les mettent en pratique. Le faucon crécerelle en vol stationnaire pour capturer un campagnol ou la chouette à l’affût dans son arbre favori, mettent en oeuvre des aptitudes qui sont le résultat d’une merveilleuse évolution. Ils laissent libre cours à l’expression spontanée de leur patrimoine génétique pour se nourrir, enseigner la chasse à leurs petits ou profiter d’une opportunité.
Parmi toutes ces espèces les humains ont une place à part. Nous avons par exemple domestiqué le loup et gagné un allié pour augmenter nos chances de capturer une proie. Quelle somme de connaissances et de patience pour arriver au chien ! Quel pas de géant nous avions franchi pour nous en faire un ami et un protecteur en profitant de son caractère sociable. Pourtant ce miracle n’est plus compris aujourd’hui.
Si l’attaque d’une meute de loup sur un chamois est aussi violente, une partie de la société trouve beaucoup plus cruel le veneur et ses chiens car ils tueraient par plaisir, alors que le loup, lui, y serait réduit par nécessité. Les images d’un cerf poursuivit par une meute sont choquantes pour ceux qui veulent enterrer notre rapport à l’animalité, comme si la prédation n’était plus un fondement de tous les écosystèmes de la planète et un pilier de notre évolution.
Regardons les premières peintures de l’Histoire de l’humanité sur les parois des cavernes. Les animaux y sont célébrés à travers l’oeil de l’artiste chasseur qui exprimait une foule de mouvements et sublimait les traits savoureux de chaque espèce. Demandez à des anti-chasse ce qu'ils ressentent devant une sculpture de sanglier faite par Lalanda... une partie d’entre eux dira probablement que cet animal n’est pas aussi joli que « les biches ». La beauté s’est fondue en une forme d’esthétisme dont les critères ne correspondent plus à la vérité des animaux. Le chasseur devant cette sculpture fera comme les premiers Hommes. Il évoquera les branches qui craquent, le souffle puissant du sanglier, le bruissement particulier des feuilles mortes sous ses foulées courtes. Il sentira l'odeur teintée de réglisse et se rappellera la texture des soies imprégnées de boue. Il sera aussi ému devant une gravure bien faite sur un fusil, dont la crosse a été patinée par les mains de plusieurs générations. Émotion aussi devant un chien à l’arrêt ou un faucon pèlerin que le fauconnier aura servi tout les jours, pour vivre un moment de grâce lorsqu'il descendra dans un piqué vertigineux pour buffeter son premier perdreau. S’émerveiller devant le spectacle de la nature, et s’oublier un peu.
La chasse réunit un aspect mystique qui nous est propre par la conscience de la mort comme celle de notre animalité. C’est ce qui nous caractérise comme être humain.
Le même esprit anime les pisteurs en Afrique, les pêcheurs à la mouche de Patagonie, les Pygmées du Congo, le fauconnier d’Orient ou le chasseur français qui perpétue aussi un art qui va bien au delà du simple fait de tuer pour se nourrir.
On entend souvent qu’il s’agit d’une activité d’un autre âge alors que la chasse existe dans la nature comme dans l’âme des peuples. C’est un patrimoine culturel universel. La poursuite d’un animal sauvage dans son milieu naturel n’est-elle pas plus digne de notre coeur que l’élevage en batterie des animaux pour alimenter les masses ?
C’est un monde vivant d’aventures et d’expériences dans la nature, dont l’Histoire est illustrée de croquis authentiques et réjouissants : des peintures de Rien Poortvliet à la merveilleuse introduction aux Contes de la Bécasse de Maupassant qui aujourd’hui ne sera plus comprise.
Contrairement à ce que disent les chasseurs français pour se défendre, aucun d’eux, et heureusement, ne chasse parce que c’est utile pour réguler des populations. Par contre nous voulons que cela s’inscrive dans une optique de conservation, maintenir des espaces riches en animaux et transmettre précieusement notre liberté de chasser. C’est pour cela que les chasseurs ont financé et entretenu des centaines de territoires à travers le monde.
C’était le cas de la réserve de Selous en Tanzanie. La chasse sportive n’était pas un moyen de régulation mais servait à retrouver les anciennes densités d’éléphants, celles d’avant la première grande vague de braconnage. 55 000 km2 étaient protégés grâce au tourisme cynégétique, ce qui avait permis une augmentation de 40 000 à 65 000 individus en une vingtaine d’années. La chasse finançait la lutte anti-braconnage jusqu’à l’affaire du lion Cecil, ajoutée à l’interdiction d’importation des trophées qui a conduit à l’arrêt des safaris. En l’absence de chasseurs pour participer à l’effort de conservation, entre autre par le renseignement de terrain, les braconniers sont revenus dans l’indifférence générale et il ne resterait plus que 12 000 éléphants. Quel beau résultat… Certains chassent pour se nourrir. D’autres le font pour perpétuer un art qu’ils ont codifié pour qu’il soit encore plus respectueux des animaux et s’inscrive dans une logique de conservation. La chasse aux trophées en est l’expression : La recherche d’un animal spécifique rend la quête plus subtile et difficile. C’est aussi cela l’art de la chasse.
Malgré de grosses lacunes et des propos souvent haineux, les antispécistes sont bien reçus, cachés derrière des images de souffrance animale qui retiennent l’attention du public. Ils peuvent maintenant nous donner des leçons fondées sur un grand vide écologique et éthologique. Ils voudraient donner aux prédateurs des aliments de substitution, modifier leur génome pour supprimer l’instinct de chasse puis les éliminer définitivement. Comme le chemin est long ils recommandent dans un premier effort de protéger la souris du hibou… C’est ce qui est affirmé dans « Les cahiers de l’antispécisme ». Ils veulent une nature à leur image : sans contraste et sans authenticité, dont les nouvelles lois seront écrites par eux-mêmes. Ce sont des athées auto-proclamés Dieux pour re-créer la nature comme ils se l’imaginent. Évidemment, organiser l’extinction des prédateurs ne supprimerait pas la souffrance des animaux sauvages. Bien qu’étant totalement malsaine et terrifiante, cette idéologie est défendue dans certains pays où l’exode rural et l’industrialisation détruisent petit à petit l’expérience et la conscience de la nature.
Les réseaux sociaux ont consacré leur démarche. Sur la toile l’animal n’est plus membre d’une espèce intégrée à un écosystème, mais un individu. La désinformation, la culture de l’apparence s’ajoutent à un manque d’humilité sans limite, symptôme de l’aveuglement idéologique. La voix de l’antispécisme est née dans l’espace virtuel où la réalité de l’expérience est remplacée par l’image. Des associations oeuvrent depuis des décennies pour remplacer l’animalité par l’anthropomorphisme et le savoir par l’émotion, pour gagner du temps et de l’argent. Le bannissement du vocabulaire relatif aux animaux a été le premier symptôme de ce changement. On ne parle plus de lionceau mais de bébé lion, et la mise-bas s’est transformée en accouchement.
L’idéologie antispéciste est un mouvement extrémiste qu’il faut dénoncer, et les modes de chasse doivent exister et se transmettre. Pas seulement parce qu’ils représentent un patrimoine culturel et social depuis le début de l’humanité, mais parce que la chasse permet de ne pas perdre de vue la réalité de ce qui nous unit ou nous distingue de l’animal. Les chasseurs transmettent quelque chose de plus profond et intelligent que ce qui peut être exprimé en réponse aux manipulations par l’image dont ils sont victimes.
Y-a-t-il une seule activité au monde qui réunisse autant de savoir faire et de formes d’art que la chasse ? Avez-vous une idée de tout ce qui touche de près à la chasse en France et dans le monde avant de la condamner ?
Etant moi aussi chasseur, archer, photographe et fauconnier passionné, amoureux de la nature et des animaux, je voudrais conclure en citant quelques lignes écrites par Philippe Vatan dans le livre « l’art de la fauconnerie » de Patrick Morel. Cette relation à l’animal imprégnée de respect et d’authenticité qui anime de nombreux chasseurs ne peut exister que par une véritable expérience de la nature. Ce sont bien sûr des traditions, mais surtout des connaissances et des histoires que nous voulons vivre, partager et transmettre.
« On s’arrête au ruisseau et l’autour, pleine gorge et relongé, piétine l’eau froide, avale quelques gorgées. C’est un moment d’oubli et, l’espace d’un instant, on aimerait être son ami, même si l’on sait bien que c’est interdit. Il remonte pourtant en douceur sur le gant, s’ébroue. On a le coeur si léger… le vent s’est levé, alors, on le porte collé contre nous, le dessus de la tête contre le menton. Il sent bon, on a toujours adoré cette odeur des autours.
Et puis la chienne s’allonge en baillant devant la cheminée, on s’applique pour un noeud de longe grand style sur le dossier d’une chaise paillée. On ne le quitte pas des yeux, quand, dans un long moment d’abandon et de confiance totale, ils se lisse une à une les plumes du balai, puis des cerceaux… il s’étire maintenant une patte, voluptueusement, et, en deux ou trois saccades, la rentre en plume dans un petit tintement de sonnette. L’autre pied disparait presque, comme sous une jupe. Sans nous il ferait la même chose en ce moment, mais très haut dans un de ses pins favoris. Il est la Fierté et la Beauté et il semble le savoir. On espère qu’on verra l’or de ses iris se transmuer, au fil des saisons ensemble, en rubis. On se laisse voguer sur des rêves de bécasses, de sarcelles.
Brutalement, la porte s’ouvre : « alors, ça a marché ? »
Petit coup de tête vers le coq ( faisan )
« Oui. Oui. Pas trop mal »
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