OGM : entre terreur et espoir
En quelques années, ce qui était vécu par les chercheurs comme un pas de géant vers la maîtrise de l’hérédité est devenu aux yeux du public un épouvantail écologique, objet d’un rejet global d’une technique peu expliquée et mal comprise. Cette défiance s’est emparée des pouvoirs publics, avec comme conséquence le ralentissement de la recherche française en ce domaine, la commercialisation de produits contenant ces fameux organismes génétiquement modifiés n’étant pas interrompue. Dangers réels ou supposés, le fait est que les firmes de production de semences ont pris un avantage certain dans la course au dépôt de brevet, ce qui n’est pas en soi une bonne nouvelle. Alors que le conseil des ministres devait adopter, mercredi dernier, un projet de loi qui encadre les cultures et les essais d’organismes génétiquement modifiés, un rappel sur ce que sont les OGM s’impose.
Du croisement des pois de Mendel aux céréales transgéniques de Monsanto.
Depuis que la vie est apparue sur Terre, un phénomène naturel, spontané ou induit, mais dans tous les cas lié au hasard, régule l’évolution des espèces : la mutation. Elle apporte une modification héréditaire au niveau d’un gène qui, si elle n’est pas létale, pourra être transmise aux générations suivantes. Ainsi, un individu va se distinguer parmi les siens, et peut-être gagner en performance.
Au fil du temps, des plantes ont pu ainsi développer des résistances à des virus ou à des insectes, ou réussir à s’adapter à un terrain hostile, trop froid, trop chaud, trop sec..., et conquérir de nouveaux territoires.
S’appuyant sur les qualités de certaines variétés, l’amélioration de nos plantes de culture s’est faite d’abord par croisement et sélection, pour améliorer le rendement, la qualité, la présentation. Puis on s’est intéressé à des gènes qui appartenaient à d’autres espèces, et que l’on ne pouvait transmettre par croisement. Pour franchir cette barrière, les OGM sont nés.
Les chercheurs se sont appuyés sur les progrès du génie génétique capable non seulement d’isoler un gène, de déterminer son rôle, mais aussi de l’insérer dans des structures comme les plasmides - qui sont des anneaux fermés d’ADN caractéristiques des bactéries ou des virus -bien plus résistantes. Ces protocoles de biologie moléculaire ont permis in fine de mettre au point plusieurs techniques reproductibles de transformation génétique d’une cellule : l’OGM était né.
Parmi ces techniques, deux approches fondamentalement opposées : la biolistique et les vecteurs bactériens. La première consistait à agglomérer des plasmides d’ADN portant le gène à insérer sur des billes d’or de 1 micron de diamètre, et de bombarder de ces billes des cellules à l’aide d’un canon dit canon à particules. Un certain nombre de cellules exprimaient le nouveau gène, mais peu en réalité conservaient cette expression. L’autre technique visait à utiliser le caractère infectieux d’une bactérie, agrobactérium. En effet, cette bactérie infecte les cellules végétales pour se multiplier. En remplaçant l’ADN bactérien par un plasmide contenant le gène à insérer, on disposait d’un vecteur précis et efficace.
- Obtention d’un OGM
- Crédit : Olivier FRIGOUT
L’obtention d’OGM est maîtrisée aujourd’hui, tous les enjeux sont dans la sélection des gènes à insérer et les brevets qui y sont associés.
Des gènes plus ou moins pertinents et plus ou moins contrôlés.
Issu d’un végétal, d’une bactérie, voire d’une cellule animale, le gène sélectionné va « améliorer » la plante, en lui conférant un meilleur rendement, une tolérance aux stress abiotiques - sécheresse, salinité de l’eau - ou encore une résistance à ses prédateurs, virus, bactéries, insectes - par la sécrétion de toxines , ou bien la capacité de synthétiser une molécule intéressante pour l’alimentation humaine ou animale, comme une vitamine ou un antibiotique.
« L’amélioration » des plantes ne s’arrête pas là dans l’esprit des industriels.
Le mûrissement de la tomate, par exemple, a été étudié dans le but d’obtenir des tomates dont l’aspect resterait flatteur malgré un stockage un peu trop long.
- OGM ou non OGM ?
- Crédit : Olivier FRIGOUT
Pour contrôler l’expression du gène, on agit sur son promoteur - petite séquence codée située en amont du gène et qui régule son expression - pour la restreindre uniquement à une partie de la plante, la tige par exemple, ou seulement en réponse à une agression, ou encore à un moment donné de la vie du végétal. Mais l’expérience démontre combien l’expression d’un gène est plurifactorielle, laissant hors de notre portée sa maîtrise totale.
Hybridé, pour rendre instables les nouvelles qualités - les gènes qui les portent ne sont pas forcement dominants - l’OGM ne peut pas être utilisé après récolte pour réensemencer les champs. Ce choix, qui semble aller dans le sens de la protection de la biodiversité, reste néanmoins très profitable aux semenciers qui tiennent ainsi les agriculteurs, dans l’impossibilité de semer du grain de la récolte précédente.
Les procès, intentés et gagnés par le numéro un des semences dans le monde contre des céréaliers américains, montrent que même dépourvu de ses qualités particulières, un OGM reste un OGM. Ces fermiers, dont les stocks de semences classiques avaient été contaminés par quelques traces d’OGM, ont été reconnus coupables d’usage sans licence de semences brevetées, et ruinés.
Séparer le bon grain de l’ivraie.
Le premier danger, dénoncé par les écologistes, est de voir s’échapper dans la nature des gènes susceptibles de poser des problèmes.
Ce risque est à relativiser selon d’abord le gène transféré.
Lorsqu’il s’agit de compenser des carences alimentaires, avec par exemple le riz « doré » qui synthétise le bêta carotène, précurseur de la vitamine A, dont la carence est à l’origine de nombreuses cécités dans le Tiers-monde, les incidences sur la biodiversité peuvent être négligées. Mais la production de riz tolérant à certains herbicides que procure le gène Bar issu d’une autre bactérie, Streptomyces hygroscorpicus, le risque de voir cette tolérance propagée dans l’écosystème est d’une tout autre nature.
Il est ensuite à relativiser selon la plante qui l’exprime. Le colza ou encore le riz sont des végétaux au fort potentiel de croisement avec des espèces sauvages. Ils représentent donc un risque majeur. Or, ils font partie des OGM les plus récoltés. A l’inverse, le bananier ne produit de bananes comestibles que s’il est stérile. Cette stérilité garantit le confinement du gène. Mais il ne peut rien contre un autre danger, l’émergence de parasites (virus, bactéries, insectes...) résistants aux toxines que le végétal a appris à produire. C’est le cas avec le coton ou le riz OGM porteurs du gène codant pour la synthèse du Bt, une toxine produite par une bactérie, Bacillus thuringiensis, et qui tuent les insectes de la famille des pyrales. Seule parade, la création de zones tampon, vierges de coton ou riz Bt, permettant de « noyer » les insectes résistants dans une population sensible majoritaire.
Enfin, l’utilisation de gène exprimant des toxines représente un risque alimentaire pour les populations, mal quantifié. L’absence de toxines dans la partie comestible du végétal est difficilement maîtrisable, malgré les possibilités qu’offrent les promoteurs des gènes (cf. plus haut). A cette question de santé publique, les industriels répondent que le risque est moindre face aux quantités d’insecticides et fongicides qu’il faut utiliser pour un même résultat. Moindre mal ? L’avenir le dira.
L’Europe, dernier îlot de la lutte anti-OGM.
Le manque de recul et les incertitudes quant au fonctionnement parfait des promoteurs, la méconnaissance des cascades de régulation et, en particulier, des nouvelles interactions qui peuvent se produire dans l’OGM, n’ont pas empêché ce marché de se développer, notamment aux Etats-Unis, où il est désormais la norme.
Mais le danger immédiat vient de l’Est. En effet, la Chine a annoncé sa volonté de nourrir 1 milliard d’individus avec du riz transgénique à partir de 2006. Or, malgré des discours rassurants, il est à craindre qu’à l’instar du coton Bt, les riz OGM ne se propagent jusque dans les zones protégées, par le simple fait d’échanges de semences entre agriculteurs. Diffusion incontrôlée des semences, absence de zones tampons, manque de recul sur les conséquences d’ingestion de toxines par les consommateurs, la précipitation de la Chine, portée par la nouvelle économie des biotechnologies, risque fort de réduire à néant les mesures prises en Europe pour éviter une catastrophe écologique et sanitaire. Car le risque encouru pour la biodiversité n’a pas de frontières.
En retard d’une bataille, les laboratoires français sont définitivement hors-jeu. En France, la lutte contre les OGM s’est peut-être trompée d’adversaire. La recherche publique, dont des années de travaux ont été anéanties par des fauchages de champs expérimentaux et des destructions de serres, a été ralentie dans son effort au profit des pays sous-développés, alors que les grands semenciers ont profité de la situation pour s’installer dans une position de monopole.
La réflexion préalable qui aurait dû avoir lieu pour poser des garde-fous et nous conduire à nous déterminer quant à notre place dans notre environnement n’aura pas lieu.
Au fond, pouvait-il en être autrement ? Arrivés trop tôt dans nos assiettes, les OGM portent peut-être l’espoir de nourrir les 8 à 9 milliards d’êtres humains annoncés pour 2050, tout en inspirant un sentiment de terreur aux occidentaux qui commencent à prendre conscience de la nécessité de préserver la biodiversité. Sciences naturelles, sciences économiques et sciences politiques ne parlent décidément pas le même langage.
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