Planète vivante ? Pour combien de temps ?
Le dernier rapport "Planète Vivante" est absolument terrifiant, la Terre perd tous ses animaux et toutes ses forêts à une vitesse vertigineuse. Pourtant, si l'on ne peut que partager l'inquiétude des auteurs, on peut aussi s'étonner de leur silence presque total sur le premier facteur de cet effondrement à savoir la croissance démesurée de nos effectifs. Tandis qu'au cours des quatre dernières décennies, le nombre des animaux était grosso modo divisé par deux, celui des hommes était lui, curieuse coïncidence, presque multiplié par deux.
Avec la même régularité que les rapports du Giec confirment l’un après l’autre la rapidité du réchauffement climatique et la responsabilité de l’Homme, les rapports Planète Vivante (1) - probablement bientôt mal nommés - soulignent la dégradation croissante et à vitesse accélérée de presque tous les écosystèmes. Pour dire les choses de manière plus directe, ils décrivent et prédisent la mort à très brève échéance de la quasi-totalité des grands animaux vertébrés avec qui nous partageons, ou devrions partager, la planète.
La dernière version - le rapport 2016 - ne fait évidemment pas exception et chacun retiendra ce chiffre effrayant : En 42 ans, de 1970 à 2012, le nombre d’animaux vertébrés sauvages marins et terrestres a chuté de 58 %. La chute devrait atteindre 67 % d’ici 2020 et se poursuivre au rythme de 2 % par an. Nous serons donc bientôt seuls sur la Terre !
Nous sommes saisis d’effroi.
Nous sommes saisis d’effroi parce que 42 ans c’est un battement de cil. Depuis 400 ou 500 millions d’années la Terre est habitée par les grands animaux et ce sera fini dans quelques années, en réalité, c’est déjà fini. Pendant cette période la planète n’a connu que cinq extinctions majeures, toutes d’origine naturelle, et nous sommes en train de précipiter la sixième à l’échelle d’une simple vie humaine.
Nous sommes saisis d’effroi parce l’on peut encore ouvrir les médias et les voir parler d’autre chose, se déchirer pour savoir si le PIB l’an prochain progressera de 0,5 ou de 0,8 % ou si les sondages pour l’un ou l’autre des candidats au pouvoir ici ou là sont un peu meilleurs que ceux de la semaine dernière.
Nous sommes saisis d’effroi par l’ampleur de notre faute parce qu’il ne s’agit pas seulement d’une catastrophe, mais aussi d’un crime, nous tuons le monde.
Nous sommes saisis d’effroi enfin, par l’ampleur de notre aveuglement et les rapports "Planètes Vivantes" eux-mêmes, s’ils sont nécessaires, n’y font pas exception, passant quasiment sous silence la cause essentielle de cet effondrement, à savoir l’explosion du nombre des hommes.
Les introductions de Johan Rockstöm et de Marco Lambertini (2) qui se terminent d’ailleurs par des propos d’un optimisme en contradiction absolue avec le contenu du rapport, n’y font pas allusion, le sujet n’est que très rarement abordé dans l’ensemble du texte qui donne une priorité presque totale à la question du mode de vie. Le graphique p 78 et 79 : « Cartographie de l’empreinte écologique de la consommation » donne par exemple l’impression que le Canada ou la Russie sont catastrophiques pour la planète à cause de leur consommation, alors qu’au contraire, grâce à leur faible densité démographique se sont presque désormais les seules surfaces d’importance (avec quelques régions d’Afrique et d’Amazonie, justement peu peuplées) où subsiste une grande faune sauvage digne de ce nom. On voit bien d’ailleurs (p. 52) que globalement les sols les moins dégradés sont les sols des pays peu densément peuplés, c’est assez logique, le béton faisant mauvais ménage avec l’humus.
Cette sous-estimation du facteur population, devrait d’ailleurs logiquement conduire à une conclusion sans doute non voulue par les auteurs, qui est que nous devrions maintenir une forte proportion de la population mondiale dans la pauvreté. Ne serait-il pas plus humain de laisser les gens les plus pauvres consommer un peu plus tout en faisant un effort de réduction de la fécondité ?
Page108, le graphique général : « Les meilleurs choix pour une seule planète » ne fait aucune allusion au problème alors que tout ce qui y est listé en dépend.
Ces rapports enfin qui acceptent et popularisent le terme d’anthropocène, font eux-mêmes preuve d’un anthropocentrisme inquiétant en insistant sur les services rendus par la nature à l’Homme, comme si c’était cela qui devait seul nous motiver. Cet utilitarisme doit être dénoncé, il laisse entendre que si la nature ne nous était pas utile nous aurions le droit de la massacrer, il laisse le respect de côté. Devrions-nous raser l’Amazonie si par hasard il était démontré que ces nombreuses espèces végétales et animales ne devaient nous être d’aucune utilité pour développer notre pharmacopée ?
Dernière critique enfin cette affirmation bien optimiste selon laquelle nous consommerions 1,6 planète (voir p.75 où il est évoqué une biocapacité nécessaire de 1,6 Terre en 2012). C’est un chiffre totalement arbitraire. Par exemple, nous consommons 80 millions de barils de pétrole par jour alors que la Terre n’en produit pratiquement plus, c’est donc dès le 1er janvier à 0 h que nous dépassons le renouvellement de la ressource. Selon le poids (forcément arbitraire) que nous donnons à ce facteur, le chiffre global peut-être totalement différent. Comment aussi intégrer la disparition d’une espèce à cette forme de comptabilité trompeuse, qui laisse d’ailleurs entendre que si nous étions à peine plus de la moitié, nous pourrions durablement vivre sans problème sur ce que la planète peut renouveler ? Rappelons que durant l’essentiel de son histoire l’humanité a été mille fois moins nombreuse qu’aujourd’hui !
(1) Ces rapports Planète Vivante sont réalisés par le WWF, la société Zoologique de Londres, le Global Footprint Network et le Stockholm Resilience Centre, il est possible de les télécharger via les liens ci-après :
2016 (complet) , 2016 (synthèse), 2015, 2014, 2013, 2012 ,2010, 2008.
(2) Johan Rockström est directeur exécutif du Stockholm Resilience Centre et Marco Lambertini est directeur général du WWF international.
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