Un ministre plein d’en-train
Afin de faire allégeance au bon peuple de France, qui tente de croire que son président est subitement devenu écolo, le 1er ministre a décidé de frapper un grand coup... sur les camions.
En effet, il vient de rétablir la ligne ferroviaire qui menait les marchandises outre Pyrénées à Rungis... et il promet d’enlever d’ici peu 20 000 camions de nos belles routes, ce qui correspondrait, d’après lui, à 425 000 tonnes de CO2 en moins. lien.
Ça parait une bonne initiative, et pourtant il faut creuser la question.
En effet, il semble que Castex ne soit pas très bien informé, car la situation a bien changé depuis des années, notamment sur la quantité de CO2 relâchée par un poids lourds, puisque que la technologie a beaucoup évolué.
En consultant les analyses les plus récentes, on découvre que les poids lourds d’aujourd’hui, polluent bien moins que ceux d’hier.
2,66 kg de CO2 par litre de diésel, alors que nos camions consomment en moyenne 7000 M3 de carburant par an. lien
Soit 33 litres aux 100 km, (lien) ce qui provoque un lâcher de CO2 de 100 gr par km en moyenne. lien
Et puis, il ne faudrait pas oublier les poids lourds dont les moteurs tournent au méthane fabriqué, GNL (gaz naturel liquéfié), qui polluent beaucoup moins.
Ils permettent de réduire de 97% les émissions de particules fines, et de 70% les oxydes d’azote. lien
Il y a encore mieux.
Nos voisins helvètes viennent d’annoncer une très bonne nouvelle : grâce à un procédé révolutionnaire, des chercheurs suisses de l’école polytechnique fédérale ont mis au point un nouveau procédé qui permet de capturer 90% des émissions de gaz carbonique émis par les camions. lien
Mais revenons à l’autoroute ferroviaire, chère, voire très chère, au 1er ministre.
Le train des primeurs va donc reprendre du service, et qui pourrait s’en plaindre, d’autant que dans la foulée, il annonce la création d’autres autoroutes ferroviaires entre Sète et Calais, et celle qui va de Bayonne à Cherbourg. lien
Et il va encore plus loin, promet de diviser par 2 le prix des péages des trains de marchandise...
Il affirme droit dans ses bottes que « le combiné rail-route, c’est l’avenir »... lien
Et ç’est là où la situation risque de se compliquer, car le serpent de mer du fret ferroviaire ressurgit au moins tous les 10 ans.
Au sein d’une coordination que j’animais avec d’autres, nous avions organisé, il y a quelques années « les états généraux du fret ferroviaire »... c’était dans un petit village de l’Ain, appelé Breigner-Cordon, et avions invité tous les acteurs du fret ferroviaire, transporteurs divers et variés, associations...
Le résultat de cette longue journée pourrait se résumer en quelques mots. lien
Les transporteurs routiers ont affirmé n’avoir rien contre la SNCF, mais se plaignent du tarif double, voire triple pratiqué, par rapport à la route, mais aussi de la lenteur du transport, en moyenne 7 km à l’heure, s’il faut en croire Patrick Devedjian, qui s’exprimait dans les colonnes de « Libé », un certain 4 octobre 2009. lien
D’autres affirmaient même qu’il arrivait que des wagons se perdent. lien
Faire baisser le prix du fret ferroviaire en taxant les poids lourds n’est pas une idée nouvelle, c’est d’ailleurs cette idée qui a mis dans la rue, d’abord les Bonnets Rouges, et puis les Gilets Jaunes.
Quant aux intéressés, ils étaient prêts à payer ces taxes, qui, de toute façon, auraient été répercutées sur les clients, et au final, les consommateurs auraient été les dindons de la farce.
La « nouvelle » proposition du gouvernement s’avance donc en terrain mouvant, d’autant que, qui dit fret ferroviaire, dit en même temps tunnels de base, ces fameux tunnels qui coutent les yeux de la tête, vu leur longueur, car pour permettre aux convois de fret ferroviaire de franchir les montagnes, il faut la pente la plus faible possible.
C’est l’occasion d’évoquer un certain tunnel ferroviaire creusé sous les Pyrénées, et qui a été un échec financier cuisant pour le pays, puisqu’il a été mis en faillite.
Long de plus de 8 km, le tunnel du Perthus, sous les Pyrénées, avait couté plus d’un milliard d’euro et l’état qui avait, avec l’Espagne, donné sa garantie, a dû indemniser les créanciers et les actionnaires.
Les raisons de cet échec sont simples : « les niveaux de trafic s’étant révélés très inférieurs à ceux qu’elle (l’entreprise TP Ferro) avait anticipés ». lien
Dans la foulée c’est aussi l’occasion d’évoquer un autre serpent de mer de fret ferroviaire : la ligne Lyon-Turin, lancée il y a 30 ans, et dont on reparle de temps à autre.
Mais là, il n’est plus question d’un seul milliard d’euros, mais de 30 fois plus, même si les promoteurs du projet ont toujours assuré qu’il ne dépasserait pas les 10 milliards d’euros, ajoutant que l’Europe payerait.
Sauf que celle-çi n’est pas prête à payer plus de 50 ou 55% de la partie internationale, c'est à dire le tunnel de base, soit 4 milliards d’euros... et que pour l’instant, les 25 milliards restants n’ont pas trouvé de financement. lien
Sans rentrer dans le détail, le tunnel de base, à lui seul, couterait 8,3 milliards, et il fait 57,5 km... (il a 2 tubes, donc plus de 110 Km à creuser).
De plus, pour cette ligne de 240 km, on compte encore près de 80 km d’autres tunnels, ou de tranchées couvertes.
Ajoutons pour la bonne bouche que des quantités de rapports ont été produits sur la question, et de la Cour des Comptes, au rapport Reverdy, en passant par le rapport Duron, ainsi que le Grenelle de l’environnement, tous unanimement ont déclaré qu’il ne serait jamais rentable, et qu’il fallait mieux restaurer la voie historique.
Idem pour l’Italie, qui dans un rapport assassin, évoque un « gâchis d’argent public », pronostiquant une faillite rapide, qui obligerait l’état à payer pour des années, la dette, et les intérêts de la dette. lien
Encore récemment la Cour des Comptes a taclé le projet, dénonçant une augmentation des couts de 85%, mais aussi des dégâts à l’environnement considérables : « la construction de la liaison (...) générerait 10 millions de tonnes d’émission de CO2 », lesquelles ne seraient compensées que 25 ans après l’entrée en service de l’infrastructure, et que, de plus, cela dépendant du volume de trafic ».
Au cas où il n’attendrait que la moitié des prévisions les émissions de CO2 ne seraient compensées que 50 ans plus tard. lien
De plus, les dégâts à l’environnement seraient considérables, sources taries, espèces végétales et animales menacées, avec la prédation de 1500 hectares de bonnes terres agricoles... sans oublier la quantité considérables de terres stériles dont on ne saurait rien faire... à part la stocker, mais où ?
Les déblais sortis du tunnel (28 millions de tonnes) correspondent à 5 fois la pyramide de Khéops. lien
Mais revenons à la voie dite historique, celle qui emprunte le tunnel ferroviaire de Fréjus, lequel a été mis au gabarit pour permettre le passage de fret. lien
Ce tunnel long de 13,6 km permet donc actuellement le passage de convois de fret, (et de TGV), et il est largement sous-exploité, même si les promoteurs du Lyon-Turin assurent, par des calculs alambiqués, qu’il serait bientôt à saturation.
Or d’après la SNCF, le nombre maximal de circulation possible s’établit autour des 94 par jour... sachant qu’aujourd’hui, n’en passent que 45. lien
A ce jour, Grenoble s’est désengagé du projet, suivi récemment par Lyon, suite aux municipales récentes. lien
En Italie, les NOTAV continuent inlassablement de se mobiliser contre ce GPII (Grand Projet Inutile Imposé). lien
Dommage que, pour l’instant, ce gouvernement, ni ceux qui l’ont précédé, n’ait pas saisi l’opportunité proposée par les opposants au Lyon-Turin, lesquels, grâce à une subvention d’état, ont pu proposer un projet alternatif, lequel emprunte la voie historique totalement rénovée, (lien) mais en adoptant en même temps la technologie r-shift-r qui permet de s’affranchir des pentes de plus de 3%, et de charger les marchandises en moins de 8 minutes. lien
Pourtant ce projet alternatif coûterait pourtant 3 fois moins que celui envisagé actuellement.
Etonnamment, Castex n’a pas évoqué le Lyon-Turin, dans son projet de développement du fret ferroviaire, et on est en droit de se demander pourquoi ?
Peut-être parce qu’il est au courant de l’aspect risqué de ce projet, vu que chacun sait que l’axe privilégié de transport est plus du Nord au Sud, que de l’Est vers l’Ouest...
Comme dit mon vieil ami africain : « si la malhonnêteté construit une maison, elle la détruit aussitôt ».
Le dessin illustrant l’article est de Selçuk
Merci aux internautes pour leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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