Des partis européens pour re-construire l’Europe
Les Irlandais, seuls Européens consultés par référendum sur le nouveau traité constitutionnel dit "Traité de Lisbonne", ont adressé un message clair. Si d’autres Européens, par exemple les Français, avaient été aussi consultés par voie de référendum, la réponse aurait pu être la même. Pour sortir de la crise de confiance en l’Europe et ses institutions, il faut prouver aux citoyens européens qu’ils sont bien représentés, les informer sur l’Europe, leur proposer un vrai projet de société en entamant une réelle reconstruction.
Cette reconstruction sera l’enjeu des prochaines élections européennes de juin 2009. Et si les partis européens prenaient corps auprès des citoyens pour mener cette campagne au travers des partis nationaux qui les représentent ?

Le non irlandais au référendum de ratification du Traité de Lisbonne, de même que le non français au précédent référendum sur le traité de Constitution européenne, sont symptomatiques de la méfiance des citoyens européens. Ces derniers ont l’impression que l’Europe se fait sans eux, voire contre eux. Les sondages le prouvent, les discussions de quartier, de commerce, de famille, le confirment, la volonté manifeste des gouvernements d’éviter autant que possible le référendum pour la dernière ratification du nouveau traité, qui de surcroît n’est pas à la portée d’un peuple car trop technique et trop complexe, en est l’évidente justification.
Il est intéressant de noter et d’analyser toutes les réactions publiées par la presse et les médias de la scène politique française et européenne :
il y a ceux qui baissent les bras et pensent que c’en est fini de l’Europe ;
ceux qui espèrent refaire voter les Irlandais après avoir monté une opération de pédagogie, d’explications, de négociations ;
et ceux qui proposent une Europe à deux vitesses : celle des pays qui ont ratifié et exercent entre eux le nouveau mode de fonctionnement, et les autres, dans un second cercle, un peu comme les pays de l’Union qui sont dans l’Euro et ceux qui ne le sont pas.
Mais je n’ai pas compris comment cela pourrait fonctionner, notamment pour les votes (Irlande exclue du vote à majorité qualifiée ? Les lois votées ne seraient pas appliquées à l’Irlande si elle pose un veto ? Le haut représentant pour la politique étrangère et de la sécurité commune ne parlerait-il pas pour l’Irlande ?).
Nuls de ceux-là n’expliquent la cause profonde du non et proposent d’y répondre, sauf François Bayrou. Il est le seul à exprimer ce simple et évident constat et appeler à une véritable reconstruction de l’Europe, avec et non sans les citoyens. Voir l’intervention de François Bayrou le dimanche 15 juin 2008, publiée sur le site du Mouvement démocrate et lors du dernier Congrès de Cap21.
L’Europe devrait être un facteur d’augmentation de la puissance et de la souveraineté de ses pays et de ses peuples au sein de la mondialisation et face aux grandes puissances que sont les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon. Elle devrait contribuer à une meilleure croissance économique de ces pays réunis, mais ne pas se limiter au commerce et à l’économie. L’Europe se doit de défendre et protéger des valeurs communes, un patrimoine culturel commun, un projet social et des valeurs de solidarité, tout en respectant la diversité des identités et des cultures, offrir au monde un modèle de société exemplaire et s’affirmer comme une puissance incontournable dans ce nouveau monde multipolaire. L’Europe devrait aussi être proche de ses citoyens, les informer régulièrement et prendre leur avis par les députés qu’ils ont élus et aussi par la presse nationale. Or cela ne fonctionne actuellement pas comme cela.
Comment recréer le lien entre les citoyens européens et leurs institutions et comment reconstruire le projet européen ?
D’après François Bayrou, il y a deux manières de recréer le lien entre les citoyens et l’Europe : la transparence et l’information par voie de presse. Il avait proposé que les journaux informent à fréquence hebdomadaire des sujets discutés au sein des institutions européennes, au Parlement et à la Commission de Bruxelles. Et aussi que les députés européens assurent un lien régulier avec leurs électeurs.
Dans ce contexte, les élections européennes qui auront lieu dans un an vont cristalliser toutes les rancœurs des citoyens et c’est justement là qu’il faudra répondre à leurs attentes, leur expliquer en termes simples l’actuel fonctionnement de l’Europe, ce qui marche bien et ce qui fait défaut, leur proposer un projet clair qui définisse les valeurs qui gouvernent la société européenne, qui soit un projet de société pas seulement économique, mais également solidaire, durable et désirable, qui réponde à la fois à leur besoin d’assurance sur la sauvegarde de leur identité, sur le respect de la démocratie, leur besoin de prise en compte de leur opinion de citoyen et du devoir d’information à leur égard.
Ces élections seront donc capitales et la campagne sera une occasion non pas simplement de luttes de pouvoirs entre clans politiques, décomptant les députés de chaque clan, mais une rencontre importante entre les représentants du peuple et le peuple pour remettre les compteurs à zéro, rebattre les cartes, s’expliquer sur le fond.
Sur la scène nationale, on n’entend parler que des partis nationaux qui devront présenter des listes (UMP, PS, MoDem, Les Verts…). Or, au Parlement européen, les partis nationaux auxquels appartiennent (en général) les députés européens sont pour certains affiliés à un parti européen, lui-même inscrit dans un groupe parlementaire au Parlement, afin de s’organiser efficacement selon des courants politiques défendant des positions communes répondant à une convergence de valeurs, de projet, d’appréciation d’efficacité politique de moyens d’actions.
Ces élections doivent ainsi s’inscrire dans un projet européen défendu par des partis européens. En effet, cela paraît bien étriqué de mener une campagne européenne en France uniquement au nom de partis nationaux. Dans la mesure où les partis nationaux s’inscrivent dans une démarche commune d’un parti européen, d’un groupe parlementaire européen, il est logique de présenter un projet européen défendu au niveau communautaire par le groupe parlementaire, dont les partis nationaux sont les porte-parole vis-à-vis des citoyens dans chacun des pays européens.
Aussi est-il intéressant de s’interroger sur l’existence de ces partis européens, la manière dont ils fonctionnent, leurs liens avec les partis nationaux. Les Français et de manière générale les citoyens européens sont très peu informés de l’existence et des actions de ces partis européens. Et pourtant, il en existe et l’Union européenne consacre même un budget de 8,4 millions d’euros par an à leur fonctionnement.
Des partis européens pour représenter les citoyens européens
Les partis politiques européens ont une existence légale depuis le 4 novembre 2003 date à laquelle une loi européenne a été adoptée pour réglementer la création et le financement des partis politiques au niveau européen. Il s’agit donc d’une avancée démocratique notable, car les partis politiques sont un facteur d’intégration important. Ils contribuent à la formation d’une conscience européenne et à l’expression de la volonté politique des citoyens. Dans le cadre du processus d’intégration européenne, les plus importantes familles politiques ont fondé, au cours des années 70, des fédérations de partis au niveau européen, qui se composent des partis nationaux se rattachant à une même sensibilité politique.
Quelles sont les conditions pour la création d’un parti européen ?
Un parti politique européen (qui peut être un seul et unique parti politique ou une alliance de partis politiques) doit être enregistré auprès du Parlement européen et doit satisfaire un certain nombre de critères :
avoir la personnalité juridique dans l’Etat membre où il a son siège ;
être représenté dans au moins un quart des Etats membres par des élus au Parlement européen ou dans les parlements nationaux ou régionaux ;
ou bien avoir obtenu au moins 3 % des voix exprimées dans, au moins, un quart des Etats membres lors des dernières élections européennes ;
respecter, dans son programme et par son action, les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit.
Un citoyen européen ne peut pas adhérer directement à un parti européen puisqu’il s’agit d’une fédération de partis. Cependant, il est légitime de penser qu’on pourrait faire évoluer ce dispositif pour le rendre plus proche des citoyens, avec une adhésion directe. Il faut y réfléchir…
Quels sont les partis et groupes politiques au Parlement européen ?
Le Parlement est organisé en groupes politiques : les députés ne se regroupent pas par délégations nationales, mais par des affinités politiques et en fonction des partis nationaux auxquels ils appartiennent.
Sur les 785 eurodéputés, 772 sont répartis en 8 groupes politiques. Pour former un groupe politique, il faut au minimum 20 députés européens originaires d’au moins 6 États membres de l’UE. Les groupes politiques décident des questions qui seront traitées lors de la session plénière ; ils peuvent également introduire des amendements aux rapports qui seront votés au cours de la session plénière. Avant la session, ils décident de la position adoptée par le groupe politique. Toutefois, aucun membre ne peut être obligé de voter d’une façon particulière.
Le site du Parlement européen nous informe sur ces partis et l’adhésion des partis nationaux des différents pays à ces partis. Citons notamment les trois principaux groupes :
Le Parti populaire européen (PPE), auquel est affiliée l’UMP, est le parti situé plutôt « à droite » selon les critères habituels en France, se qualifiant de chrétien-démocrate-conservateur. Il est le groupe parlementaire le plus important numériquement (264 des 732 sièges). Il s’est ouvert à des formations politiques dites "eurosceptiques" (telles que les conservateurs britanniques ou les membres de "Forza Italia").
Le Parti socialiste européen (PSE) regroupe les Partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes d’Europe. Deuxième groupe politique au Parlement européen après les élections de 2004 (215 députés en février 2008), c’est également le principal parti de l’opposition au Parlement européen. Issu de la gauche gouvernementale réformiste, ses alliés traditionnels sont les Verts européens. Selon la tradition européenne, il peut participer à des majorités de circonstance avec des partis du centre ou de droite. Il demeure cependant distant vis-à-vis des communistes et ex-communistes de la gauche européenne. Le PSE est lié à l’Internationale socialiste.
L’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) est le troisième groupe politique d’importance au Parlement européen, avec 106 députés issus de 21 pays. Il regroupe le Parti démocrate européen (PDE) et le Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs (ALDR). Les démocrates partagent avec les libéraux une conception commune de l’Europe (institutions démocratiques, fédéralisme, protection des identités), mais divergent généralement sur les questions économiques et de société.
Le Parti démocrate européen, auquel est affilié le parti français le Mouvement démocrate (MoDem), est un parti politique européen du centre, initié le 16 avril 2004 par le Français François Bayrou et l’Italien Francesco Rutelli qui sont ses deux premiers coprésidents. Politiquement, il se situe entre le Parti des socialistes européens (PSE) et le Parti populaire européen (PPE, droite). Il compte 26 députés.
Parmi les points principaux de son programme, citons :
1. l’exigence d’institutions plus démocratiques, mettant les citoyens et non les technocrates au centre du projet européen ;
2. l’idée que l’Europe doit parler d’une seule voix dans le monde, développer une politique de défense et de sécurité commune et défendre le multilatéralisme dans les relations internationales ;
3. la défense du modèle social européen, qui garantit la libre concurrence mais agit activement pour combattre ses excès et préserver les services publics qui ne peuvent être abandonnés aux seules force du marché ;
4. l’investissement massif dans l’éducation et la recherche pour reconquérir le niveau d’excellence en matière d’enseignement supérieur dont l’Europe a besoin pour être à la pointe de l’innovation ;
5. la défense des identités nationales, régionales et locales, et la promotion de la diversité culturelle et linguistique.
Et au-delà de l’Europe, des partis mondiaux ?
Ces alliances ne se limitent pas au niveau européen, en tout cas pour les démocrates. Le Mouvement démocrate a des liens non seulement en Europe, mais également en Inde avec les démocrates engagés et réformateurs et aux Etats-Unis avec le Parti démocrate. Il a créé fin février 2006 avec la New Democrat Coalition américaine, composante parlementaire du Parti démocrate, une Alliance mondiale des démocrates.
L’Alliance mondiale des démocrates (AMD) est une structure internationale rassemblant à travers le monde les partis ayant en partage un projet politique commun fondé sur l’idée d’une économie efficace au service de la cohésion sociale et du progrès partagé. Il a été fondé en février 2005 par le Parti démocrate européen et la New Democrat Coalition du Parti démocrate américain, lors d’une convention tenue à Rome. Il s’est depuis doté d’une solide structure organisationnelle avec notamment des bureaux à Bruxelles et Washington DC.
L’AMD unit les partis ayant en commun une culture du réformisme politique, généralement appelée "démocrate" ou "humaniste", c’est-à-dire un mélange de social-démocratie, personnalisme et christianisme social.
Il se définit comme portant un grand projet de société qui ne soit "ni socialiste ni conservateur" (et également différent du projet de l’Internationale libérale), mettant l’accent sur la responsabilité individuelle et la solidarité collective.
Construisons l’Europe et menons campagne au niveau européen !
Même si ce réseau et ces connexions internationales politiques sont peu connues du grand public et peu relayées par la presse et les médias, elles montrent que la mondialisation s’étend aussi aux partis politiques, qu’un projet de société ne peut se construire uniquement au sein d’un pays ni en Europe ou dans le monde par une action limitée à un parti national.
Ce sera un des enjeux de cette nouvelle campagne. Rapprochons-nous de nos amis européens pour faire campagne ensemble et proposer un projet européen qui soit celui des citoyens démocrates européens !
Note :
Je vous invite tous à aller sur "Quindi", le blog de Arnaud H, afin d’y lire sa proposition de projet pour le Parti démocrate européen ; son blog a été d’ailleurs remarqué et cité par Marielle de Sarnez lors de la Convention sur l’Europe le 8 juin 2008. Le travail réalisé par Arnaud est remarquable, pédagogique, riche de références, plein d’idées novatrices pour une Europe comme on devrait l’aimer. Arnaud aura certainement un rôle important dans les contributions à la construction du projet démocrate européen. Bravo, encourageons-le en contribuant nous aussi avec lui à ce beau projet !
Vous pouvez aussi aller sur le blog de l’Hérétique, qui a publié d’intéressants billets sur Europe, dont "Non irlandais : syndrome du mal européen", "L’Alliance mondiale démocrate : on la relance ?"
Merci également à Etoile66 pour m’avoir donné l’idée de cet article.
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