Le droit du travail selon la Commission européenne
Le « président du pouvoir d’achat » nous prépare une refonte du contrat de travail et même du droit du travail en entier, tant qu’à faire. Etrangement, on retrouve une bonne partie des réformes de Sarko-la-rupture dans les rapports de différents think tank, mais aussi les textes de la Commission européenne, notamment son Livre Vert sur la modernisation du droit du travail, destiné à relancer la stratégie de Lisbonne censée faire de l’Europe l’économie la plus compétitive.
Après
quelques années de « stratégie de Lisbonne », l’Europe a compris qu’on
était loin d’être l’économie la plus compétitive du monde, en grande
partie à cause du problème du chômage (mais aussi de l’explosion de la
bulle internet et de l’augmentation - modérée alors - des prix de
l’énergie).
Alors, comment être compétitifs ? En remettant tout le
monde au travail, coûte que coûte. La Commission charge donc en 2004 le
dénommé Kok, ancien Premier ministre des Pays-Bas, participant au
Bilderberg en 1993 et 2003 et rédacteur du traité modificatif européen
voté à Lisbonne en décembre, de faire un rapport (de 60 pages) sur le sujet.
Par exemple, en ce qui concerne le marché intérieur, le rapport recommande sans surprise de "procéder
à l’achèvement du marché intérieur, au profit de la libre circulation
des marchandises et des capitaux, et s’atteler d’urgence à la mise en
place d’un marché unique des services", comme si ce processus
avait déjà donné quelques effets positifs pour la croissance et le
niveau de vie de la population. Mais il est clair que les services
publics sont passés de vie à trépas.
Autre grande recommandation, en ce qui concerne « l’environnement des entreprises » : il faut "alléger l’ensemble des charges administratives, améliorer la législation, faciliter la création rapide de nouvelles entreprises, créer un environnement plus favorable aux entreprises « , ce qui fait craindre le pire quand on sait comment l’Europe ou le Medef (prenons un exemple concret) ont tendance à »simplifier" le droit du travail et le droit social. Enfin, "créer un environnement plus favorable aux entreprises" pourrait être positif si on ne prenait pas en compte que les exigences des entreprises, mais aussi les besoins sociaux des travailleurs.
Tout
le monde doit contribuer à mettre en œuvre la stratégie de Lisbonne,
du Conseil au Parlement, en passant par les « partenaires sociaux ». Il
faudra une « orientation politique ferme », pour réaliser ladite
stratégie, qui "a pour ambition d’encourager les échanges
commerciaux et la concurrence par la réalisation du marché unique et
l’ouverture de secteurs jusqu’ici abrités et protégés". Ca, c’était au cas où on avait encore un doute sur la fin programmée des services publics.
Pour Kok, qui rejoint en cela les différentes déclarations des commissaires européens et autres technocrates militants pour la "Constitution européenne« , cette stratégie vise encore »à instaurer un climat plus favorable pour les entreprises (on avait bien compris) et les affaires (Sarko s’en charge, et la dépénalisation du droit des affaires serait une grande contribution à cet objectif) et à accroître la flexibilité et la capacité d’adaptation sur le marché du travail en relevant les niveaux d’éducation et de compétences (= « formation tout au long de la vie » et éducation orientée vers les besoins des entreprises, via des logiciels), en appliquant au marché du travail des politiques dynamiques (baisser les allocations chômage pour qu’à peu près n’importe quel emploi même au Smic et à temps partiel, soit plus intéressant que le chômage) et en encourageant les systèmes européens de protection sociale à favoriser la croissance de l’emploi et de la productivité plutôt qu’à l’entraver".
Où l’on apprend, encore, que la stratégie de Lisbonne sollicite des compétences propres aux États
membres, qui devraient pourtant avoir toute lattitude pour appliquer ou
non les principes de Lisbonne. Qu’à cela ne tienne, on a mis en place « un processus nouveau, appelé « méthode ouverte de coordination » » :
les États membres coopèrent volontairement, et la Commission coordonne
tout le processus. On se voit donc obligés d’appliquer dans tous les
États membres les décisions prises à Lisbonne, même si celles-ci
empiètent largement sur la souveraineté des États et sont contraires à
l’intérêt général. De plus, Kok estime que si tous les États appliquent
les orientations de l’Europe, celui qui est à la traîne passera un peu
pour le cancre et cherchera à suivre les autres, afin de ne plus être
pointé du doigt. La Commission a alors pour rôle de « créer la pression »
sur les États.
En tout cas, on doit persévérer dans cette voie car "Il s’agit d’un processus permanent qui vise à garantir l’avenir de l’Europe en tant qu’économie caractérisée par une productivité élevée, une haute valeur ajoutée, un emploi fort et une grande éco-efficacité". Qu’est-ce que l’ « éco-efficacité » ? Un moindre coût du travail pour un maximum de bénéfices ? De plus, l’ « emploi fort », pour l’Europe, c’est d’abord un chômage faible. Quel que soit le type d’emploi occupé, et peu importe si cet emploi permet de vivre décemment.
Encore
une fois les préoccupations sociales sont totalement laissées de côté
dès qu’on parle de compétitivité. Or, hélas, c’est bien la
compétitivité qui est désormais l’objectif de l’UE.
On
décrit nos deux grands concurrents : les États-Unis et l’Asie. Le salarié
européen constate que, dans les deux cas, les salaires sont nivelés par
le bas, du moins pour les emplois non ou peu qualifiés. Si la
compétition impose à l’Europe d’avoir des coûts du travail aussi bas
qu’à la concurrence, on peut craindre pour le salaire minimum ou la
durée légale du temps de travail... Nous avons donc à relever le « défi »
de la compétition internationale. Un autre « défi » qui est pointé à
plusieurs reprises tant dans le rapport Kok que dans le Livre Vert, est
le vieillissement de la population.
En gros, il est hors de question de payer les retraites. Après quelques projections aussi alarmistes qu’irréalistes sur ledit vieillissement, sur la faible croissance (et aujourd’hui on parle déjà de stagflation...) et sur le fait qu’on a diminué notre temps de travail plus vite ici qu’aux États-Unis (et en Asie aussi, évidemment, mais ça on n’en parle pas...), on conclut que, "Pour apporter une contribution positive à la croissance de la production par habitant, il est nécessaire de mieux utiliser la main-d’œuvre, à la fois en renforçant l’emploi et en augmentant le nombre d’heures de travail sur l’ensemble de la vie".
On
nous explique même en quoi consiste la "société fondée sur la
connaissance". C’est un terme qui peut sembler ésothérique (encore une
fois), mais qui dissimule des enjeux très larges, dont j’ai déjà en partie parlé.
Il faut comprendre que les connaissances sont perçues comme le moyen
d’apporter les compétences nécessaires à la main-d’œuvre pour arriver
à faire de l’Europe l’économie la plus compétitive. Ces connaissances
sont uniquement pratiques, comme le montrent les textes européens, de
l’OCDE ou de l’ERT,
et doivent être acquises tout au long de la vie afin d’adapter les
compétences aux évolutions de la demande des entreprises. Ce pourrait
être une bonne logique si on ne laissait pas complètement de côté la
préoccupation des conditions et du niveau de vie de la population. L’éducation (= acquisition de « compétences ») sert donc uniquement
le dessein de la stratégie de Lisbonne. Cela implique de nombreuses
dérives, comme le fait de laisser tomber toute une partie de la
recherche fondamentale, ou les sciences humaines et sociales.
La
marchandisation de l’éducation (et ses corolaires comme la disparition
programmée des enseignants, remplacés par des logiciels et par les TIC (technologies de l’information et de la communication) est également en
cours puisque l’implication du secteur privé dans l’éducation ne cesse de croître, l’éducation étant perçue comme un service, et que divers textes prévoient la libéralisation des services. Etc. D’ailleurs, le rapport le dit : « Toutefois, le concept de société de la connaissance va plus loin qu’un simple engagement à investir davantage dans la R & D. Il englobe tous les aspects de l’économie contemporaine où la connaissance est au cœur de la valeur ajoutée. »
Repprenons
le rapport. On en vient au chapitre sur le marché intérieur. On a même
droit à un rappel de la stratégie de Lisbonne :
- assurer une transposition efficace du droit communautaire : accélérer la transposition de la législation communautaire ;
- éliminer les entraves à la libre circulation des services dans l’Union (=
libéraliser. Ce serait, en effet, dommage de passer à côté des services
qui représentent « 70 % de l’activité économique dans l’Union ». On ose
même dire que la concurrence fera baisser les prix pour les
consommateurs, et qu’en plus on veillera à ne pas faire de dumping
social.)
- réaliser le marché intérieur des industries de
réseau : libéraliser progressivement les marchés et les industries de
réseau, et notamment le gaz et l’électricité (2007), les services
postaux (2006), le transport ferroviaire (2008) et l’espace aérien ;
- réaliser le marché intérieur des services financiers
(2005) (On a droit à ce sujet à tout un couplet vantant la
financiarisation de l’économie, et les marchés financiers « de gros » et
« de détail » (sic.)) ;
- assurer une application juste et uniforme des règles relatives à la concurrence et aux aides d’État : réduire les aides d’État à 1 % du PIB,
définir les nouvelles règles relatives aux fusions et aux offres
publiques d’achat et actualiser les règles régissant les marchés
publics.
Bien entendu, il conviendra de respecter ces engagements.
En décembre 2006, la Commission européenne lance donc une « consultation » sur la réforme du droit du travail, avec son Livre Vert « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle ». On notera au passage le terme « défi », cher au management moderne. De nombreuses multinationales comme Renault ont donc été consultées et - oh miracle - on y trouve la dernière trouvaille de Sarko comme recommandation : "Souplesse
dans la conclusion et la rupture du contrat de travail, des contrats
adaptés aux activités (contrats de projet). Une rupture possible d’un
commun accord pour rendre plus fluide le parcours professionnel". Qui l’eût cru ?
Le Livre Vert : une idéologie
Bref. Après ladite « consultation », en mars 2007, la Commission publie (mais pas au Journal officiel cela va de soi) ses conclusions. Elles sont introuvables sur les sites des textes européens. Reprenons-donc le livre vert de novembre 2006. D’entrée de jeu, l’objectif est clair : il s’agit de « faire évoluer le droit du travail dans le sens de l’objectif de la stratégie de Lisbonne » qui a notamment affirmé le principe de la compétitivité de l’Europe dans le monde, avec ses corolaires traditionnels. Celle-ci, nous le constatons hélas, fut un échec cuisant.
On nous explique donc en quoi va consister cette « évolution », à savoir "promouvoir les compétences (c’est-à-dire la « formation tout au long de la vie », selon l’expression consacrée, et promouvoir le livret de compétences où ce qu’on sait faire sera évalué par les entreprises), la formation et la capacité d’adaptation de la main-d’œuvre (on est ravis de se faire qualifier de « main-d’œuvre » comme au XIXe. De plus, on va devoir s’adapter toujours plus, mais à quoi exactement ? Eh bien mystère), ainsi que la capacité de réaction des marchés du travail aux défis engendrés par le double impact de la mondialisation et du vieillissement démographique en Europe (on appréciera la subtilité avec laquelle on place le fait de reculer l’âge de la retraite, puisqu’il s’agit d’un défi au même titre que la mondialisation elle-même). Comme le souligne le rapport de situation annuel 2006 sur la croissance et l’emploi de la Commission, « un accroissement de la faculté de réaction des marchés du travail européens est vital pour le développement de l’activité économique et l’augmentation de la productivité »". Derrière un vocabulaire aussi ésothérique peut se cacher n’importe quel délire...
Dès le deuxième paragraphe, on nous précise de quoi il s’agit plus exactement - car nous n’en étions encore qu’aux grands concepts : "Les marchés du travail européens doivent relever le défi de la conciliation d’une flexibilité accrue avec la nécessité d’offrir à tous le maximum de sécurité« . Certes, mais comment ?
On admet que la flexibilité induit une plus grande précarité pour de nombreux travailleurs, et qu’ils vont voir »quel degré de flexibilité" est acceptable.
Alors,
la flexibilité, pour eux, est liée à "la formation tout au long de la
vie" qui en soi n’est pas un mal, tout dépend de quel type de formation
on parle. Bien évidemment, ladite formation tout au long de la vie vise
ici uniquement à répondre aux besoins aussi ponctuels que changeants
des entreprises.
« Le présent livre vert se penche sur le rôle que pourrait jouer le droit du travail en promouvant la »flexicurité« dans l’optique d’un marché du travail plus équitable, plus réactif et favorable à l’intégration, qui contribue à rendre l’Europe plus compétitive ». Encore une fois la langue de bois européenne n’a pas de limites. On nous explique qu’on fait la promotion de la fexisécurité en envisageant un marché du travail « plus équitable » (bonne idée, qu’est-ce que cela veut dire au juste, impossible de le savoir), mais aussi - et surtout - « plus réactif », ce qui signifie qu’on attend une grande mobilité et une grande flexibilité des travailleurs, le tout dans une « Europe plus compétitive ». On sait tous ce qu’implique la notion de « compétitivité » pour le droit social et du travail... Autrement dit, cette phrase recèle - encore une fois - un sérieux paradoxe.
À quoi va donc servir ce Livre Vert ?
Le point numéro un est le suivant :
"• identifier les principaux défis qui n’ont pas encore trouvé de réponse satisfaisante et qui sont le reflet d’un fossé évident entre les cadres juridique et contractuel existants, d’une part, et les réalités du monde du travail, d’autre part. L’accent porte principalement sur le champ d’application personnel du droit du travail et non sur les questions de droit du travail collectif".
Quand l’Europe nous parle de « réalités », à l’instar des fans du libéralisme, et quand le mot « défi » a été mis en prémisse, c’est généralement pour revenir sur des acquis sociaux. En l’occurrence, c’est le « cadre juridique » du droit du travail qui est visé puisqu’il est inadapté aux « réalités du monde du travail ». Accessoirement, on stipule bien qu’on se penche sur une individualisation du rapport au droit du travail, c’est-à-dire qu’on va promouvoir - par exemple - les contrats individuels, négociés par le salarié avec son employeur, ce qui est bien évidemment tout à fait défavorable au salarié qui n’a strictement aucun poids dans une telle « négociation ». Mais là, le Livre Vert ne donne finalement que des pistes pour sa grande consultation.
"• Faire participer les gouvernements des États membres, les partenaires sociaux et les autres parties intéressées à un débat ouvert pour examiner comment le droit du travail peut contribuer à promouvoir la flexibilité associée à la sécurité dans l’emploi, indépendamment de la forme du contrat, et donc contribuer en fin de compte à la création d’emplois et à la réduction du chômage"
Le point numéro 2 révèle lui aussi la langue de bois traditionnelle à Bruxelles, puisque pour eux la « flexisécurité » est forcément liée à une baisse du chômage, ce qui n’est absolument pas prouvé bien au contraire. Bien sûr, on n’ose quand même pas dire que ça permet d’améliorer le niveau de vie de la main-d’œuvre concernée.
Le point suivant est assez consternant lui aussi. Il s’agit de « stimuler le débat sur la façon dont différents types de relations contractuelles, ainsi que des droits du travail applicables à tous les travailleurs, pourraient favoriser la création d’emplois et profiter tant aux travailleurs qu’aux entreprises en facilitant les transitions sur le marché du travail, en encourageant l’apprentissage tout au long de la vie et en développant la créativité de la main-d’œuvre dans son ensemble »
On va laisser tomber l’étrange notion de « créativité de la main-d’œuvre », ne voyant pas quel genre de créativité Bruxelles attend de la part d’un ouvrier qualifié ou d’une caissière,
ni des cadres et autres professions intermédiaires d’ailleurs. Mais de
quoi nous parle-t-on ici ? Simplement d’une révision complète des
contrats de travail et du droit du travail, afin de "faciliter les
transitions sur le marché du travail", c’est-à-dire créer une plus
grande précarité (ou « flexibilité » n’est-ce pas) des travailleurs afin
que les entreprises qui n’ont plus besoin de main-d’œuvre puissent la
virer sans trop de frais et de formalités, et que le travailleur sur le
carreau puisse retrouver un autre travail précaire dans la foulée.
C’est donc ainsi qu’on pense régler le problème du chômage de masse.
« État des lieux »
Voilà donc ce que la Commission, à l’instar du patronat, entend par "modernisation
du marché du travail". Vient ensuite une longue énumération des
bienfaits de ladite modernisation chez nos voisins européens. On sait
pourtant très bien que ces exemples sont toujours beaucoup plus complexes qu’on ne le dit.
Comme si comparaison était raison, et comme si lesdits exemples n’étaient pas biaisés. Où l’on nous parle de la « Hollande » qui a commencé avec la flexibilité et la sécurité en 1999, de l’Autriche, de l’Espagne, avant de conclure : "La réforme autrichienne constitue un exemple intéressant de l’évolution radicale d’un système fondé sur la relation de travail traditionnelle entre un travailleur et une entreprise vers un système plus global reposant sur un fonds gérant des "comptes d’épargne individuels" au niveau national. Le lien entre licenciement par un employeur et versement d’une indemnité ponctuelle de départ a été supprimé. Ces nouvelles règles permettent aux travailleurs de quitter un emploi lorsqu’ils en trouvent un autre, plutôt que d’y rester par crainte de perdre les indemnités qui y sont attachées." Encore une fois on élude la question des licenciements massifs et des délocalisations pour rémunérer les actionnaires à 15 % comme ils l’exigent.
Et puis, c’est l’intérim qui passe à la loupe, intérim qualifié de « travail trigulaire », expression malheureuse qui n’est pas sans rappeler le commerce triangulaire à une autre époque. La Commission, dans sa grande mansuétude, propose que les intérimaires bénéficient des mêmes avantages que les salariés. Serait-ce pour tenir compte du nombre d’intérimaires qui travaillent plusieurs années dans la même entreprise ?
En l’état des réflexions de la Commission au moment de la parution du Livre Vert, la question de l’ « aménagement du temps de travail » reste en suspens par absence de consensus. Celle des travailleurs transfrontaliers non plus.
On nous dresse ensuite un « état des lieux » du droit du travail (« traditionnel ») dans l’UE, qu’il convient bien évidemment de réviser à cause du « défi » de la mondialisation. On nous explique sans rire que « L’apparition de la gestion à flux tendus, la tendance chez les entreprises à revoir leur politique d’investissement à plus court terme (voire, à ne plus investir du tout puisque la rémunération des actionnaires passe en priorité), la diffusion des technologies de l’information et de la communication, de même que des évolutions de la demande de plus en plus fréquentes (puisque ladite demande est liée à la baisse continue du pouvoir d’achat), ont poussé les entreprises à s’organiser de manière plus souple. » On notera que les entreprises ont été « poussées » à exiger toujours plus de flexibilité, ce n’est évidemment pas une initiative de leurs lobbies auprès de la commission et autres.
"Ces changements ont créé une demande pour une plus grande diversité contractuelle, qu’elle soit ou non prévue explicitement par la législation européenne et nationale.« Là, on ne peut s’empêcher de penser que le but affiché de simplifier le droit du travail risque d’être compromis par la »plus grande diversité contractuelle« évoquée dans ces lignes.
Poursuivons. Le paragraphe suivant est encore un peu plus clair quant aux objectifs réels du Livre Vert. Que nous dit-on ?
»Le modèle traditionnel de la relation de travail peut ne pas être adapté à tous les travailleurs recrutés sur des contrats à durée indéterminée standards appelés à relever le défi de l’adaptation aux changements et de la saisie des opportunités de la mondialisation. (comprenne qui pourra. J’ai lu et relu cette phrase pour le moins alambiquée sans comprendre exactement de quoi on nous parle. Mais puisqu’il s’agit encore d’un « défi » et que j’ai l’habitude du jargon européen, je suppute que saisir « les opportunités de la mondialisation » reviendra à flexibiliser davantage les CDI, qui de fait ne seront plus des CDI) Des clauses et des conditions de travail trop protectrices peuvent par ailleurs décourager les employeurs de recruter pendant les périodes de reprise économique. (une mauvaise langue dira que contrats protecteurs ou non, une entreprise qui a besoin de main-d’œuvre embauchera, surtout en période de reprise. Mais comme, il est vrai, on n’a pas connu de reprise depuis bientôt dix ans, les contrats pourront être aussi précaires que le désirent les entreprises, ce n’est pas cela qui les fera embaucher. De plus, les délocalisations restent souvent plus rentables) D’autres modèles de relations contractuelles peuvent renforcer la capacité des entreprises à développer la créativité de leur personnel dans son ensemble et développer ainsi leur avantage concurrentiel." On revient sur cette notion de « créativité » de la main-d’œuvre, qui reste toujours aussi ésothérique. Quelle créativité va-t-on demander à l’ouvrier qualifié - ou non - des usines Renault ?
"L’évolution du dialogue social aux niveaux national, sectoriel et de l’entreprise, qui tend à introduire de nouvelles formes de flexibilité interne, montre également que les règles applicables au lieu du travail peuvent être adaptées aux changements des réalités économiques." Il serait plus honnête de dire que la décentralisation des négociations sociales et salariales au niveau sectoriel et de l’entreprise a ouvert les vannes de la flexibilité.
Au niveau de l’UE, donc, « une série de mesures législatives et politiques, de même que plusieurs études analytiques, ont été lancées afin de déterminer comment associer de nouvelles formes de travail plus souples à un minimum de droits sociaux pour tous les travailleurs. » Il s’agit bien de garantir « un minimum de droits sociaux », c’est-à-dire niveler par le bas comme d’habitude.
Pardon
pour le jargon du paragraphe suivant que je recopie presque
intégralement, mais il intéressant de par la manière dont sont
présentées les choses. On nous parle donc des bienfaits de la
décentralisation de la négociation sociale, et donc des conventions
collectives :
"L’application
des conventions collectives à de nouvelles problématiques (ex. :
restructurations, compétitivité, accès à la formation) et à de
nouvelles catégories de travailleurs (comme les travailleurs
intérimaires) montre que la relation entre la loi
et ces conventions
évolue. Les secondes
ne sont
désormais plus
cantonnées dans la
fonction auxiliaire qui consiste à compléter les dispositions légales
relatives aux conditions d’emploi. Aujourd’hui, ce sont des instruments
importants qui servent à adapter les principes légaux aux situations
économiques et aux circonstances particulières de certains secteurs.
En somme, on se sert des conventions collectives pour mettre en œuvre
les exigences des entreprises, selon l’argument habituel qui est de
répondre aux "circonstances particulières" (lesquelles ? Mystère). On
l’a vu cet argument a servi à réviser les conditions du licenciement économique. Il faut comprendre une chose : plus la négociation
est centralisée, plus elle offre de protection aux travailleurs, car
les syndicats ont davantage de poids et peuvent mobiliser plus
facilement. Tandis que les négociations au niveau de l’entreprise (décentralisées) sont défavorables
aux salariés puisque la pression du management est plus forte et la
pression syndicale moindre. D’ailleurs, ça a toujours été l’un des
grands enjeux des luttes sociales.
On sait également que les mesures allant dans le sens de la flexibilité ces dernières années n’ont pas créé d’emplois, et si l’on prend en compte les mesures de Sarkoléon visant à favoriser les heures supplémentaires et l’augmentation du temps de travail, ce type de mesure ne peut pas créer davantage d’emplois.
Le chapitre 3 s’intitule "LE PRINCIPAL DEFI POLITIQUE - UN MARCHE DU TRAVAIL FLEXIBLE ET FAVORABLE
A L’INTEGRATION". Encore une fois, vaste programme.
Ca commence comme ça : "Différents contrats ont proliféré (du fait de la décentralisation de la négociation collective) en
l’absence d’une adaptation plus globale du droit du travail et des
conventions collectives à l’évolution rapide de l’organisation du
travail et de la société (c’est-à-dire à la sacro-sainte ’compétitivité’). En
utilisant ces contrats atypiques, les entreprises cherchent à rester
compétitives dans une économie mondialisée, en évitant notamment le
coût qu’implique le respect des règles relatives à la protection de
l’emploi (eh oui, il y a toujours un contrat de travail), les délais de préavis (encore heureux) et les coûts liés aux cotisations sociales qui y sont associées
(mais le contribuable lui aussi paie des cotisations sociales qui
servent à faire des cadeaux fiscaux à ces mêmes entreprises). Les
contraintes administratives liées à l’emploi de travailleurs réguliers
ont également eu une incidence considérable sur la création d’emplois,
notamment dans les petites entreprises (mais bien sûr,
c’est uniquement parce que les contrats sont précis que les entreprises
n’embauchent pas. Certes, les PME sont trop taxées en France du moins,
mais encore une fois on ne fait pas différence entre le cas des
multinationales et celui des PME)". On dirait reprises telles quelles
les doléances du Medef. Cela se passe de commentaires.
On
nous explique ensuite que tout cela permet aux "travailleurs" d’avoir
"plus d’options" sur la manière dont ils peuvent travailler. Certes,
mais ces aménagements ne sont hélas que trop rarement le choix des
travailleurs eux-mêmes, au vu des conditions de la "négociation"
salariale de nos jours.
La suite est absolument géniale surtout quand on connaît le nombre de temps partiels forcés :
"La part de l’emploi total représentée par les travailleurs recrutés sur des contrats différents du modèle contractuel standard et ceux ayant le statut d’indépendants est passée de plus de 36 % des travailleurs en 2001 à près de 40 % des travailleurs dans l’UE-25 en 2005. Le travail à temps partiel est passé de 13 % à 18 % de l’emploi total ces quinze dernières années (super !). Depuis 2000, il contribue plus (à hauteur de 60 % environ) à la création d’emplois que le travail à temps plein standard." Alors là, il faudra pardonner aux caissières contraintes aux 20 heures hebdos de ne pas se joindre à l’euphorie de la Commission européenne. Ni à quelques personnes un petit peu lucides sur les "options" qui s’offrent à la plupart des travailleurs, souvent contraints de prendre un temps partiel précaire et mal rémunéré. Je précise que la suite du texte ne fait absolument aucune allusion à cette contrainte.
Pareil pour le CDD : "Le travail à durée déterminée est passé de 12 % de l’emploi total en 1998 à plus de 14 % de l’emploi total dans l’UE-25 en 2005".
La fin laisse songeur, surtout quand on sait de quelle manière la Commission a l’habitude d’envisager les manières de "faciliter le recrutement" via sa fameuse "flexibilité" : "Etant donné la progression de la participation à ces formes de contrats, il serait peut-être nécessaire d’examiner le degré de flexibilité prévu par les contrats standards pour que ceux-ci soient davantage en mesure de faciliter le recrutement, le maintien et la progression sur le marché du travail".
Ensuite,
moi qui suis ce que l’on appelle "fausse indépendante" dans une
rédaction, ce qui suit me fait bien rire - jaune. Mêmes horaires que les
salariés, même subordination, mais aucun contrat de travail puisque
rémunérée selon les "prestations" que je fais pourtant quotidiennement
pour ce journal. La Commission soudain nous explique que "Le
travail indépendant est également un moyen de faire face aux besoins de
restructuration, de réduire les coûts directs ou indirects de la
main-d’œuvre et de gérer les ressources de manière plus souple dans
des circonstances économiques imprévues". Une telle franchise effraie.
Mais il s’agit en réalité d’une mauvaise foi paroxystique puisque selon la Commission, "Il [le travail indépendant] reflète
souvent une décision, prise librement, de travailler de façon
indépendante malgré un niveau de protection sociale moindre, en échange
d’un contrôle plus direct sur les conditions d’emploi et de rémunération".
De plus en plus de professions fonctionnent avec des indépendants, qui
sont bien contraints d’avoir ce statut et d’accepter, en plus, les
mêmes contraintes que les salariés, mais en payant trois fois plus
d’impôts. Mais qu’on se rassure, plus loin la Commission s’en prend au
"travail dissimulé" de ces pseudo-salariés (les indépendants) qui
cherchent, les vilains, à "éviter certains coûts tels que les
prélèvements fiscaux obligatoires et les cotisations de Sécurité
sociale". Or, le statut d’ "indépendant" est lui aussi, de plus en
plus souvent, contraint.
La problématique, finalement, est que l’Europe veut créer des emplois (mettons...), et le salarié se demande "quel emploi ?". Et, puis, on a d’autres idées, à la Commission, par exemple : "Des régimes d’allocations chômage bien conçus (mais que signifie "bien conçus" pour les commissaires européens ?), combinés à des politiques actives (alors les ’politiques actives’ c’est en général contraindre fermement à faire quelque chose, en l’occurrence remettre les chômeurs au travail) du marché du travail, semblent constituer une meilleure assurance contre les risques liés au marché du travail". Encore, donc, une phrase alambiquée pouvant être interprétée n’importe comment si l’on ne prend pas en compte ce qui s’est passé avec ce genre de textes auparavant. C’est-à-dire quasiment tout le temps.
Après tous ces éclaircissements, on nous redit la finalité du Livre Vert avec peut-être un peu moins d’hypocrisie qu’au début du texte : "Le présent Livre Vert a pour but de stimuler le débat sur la question de savoir si un cadre réglementaire plus ’réactif’ est nécessaire pour renforcer la capacité des travailleurs à anticiper et gérer les changements, indépendamment de leur type de contrat - à durée indéterminée ou temporaire atypique". La fameuse "réactivité"... Encore du vocabulaire de management, un mot positif pour dissimuler une réalité dérangeante. On ne nous demande pas d’être "réactifs", mais d’être "flexibles", c’est-à-dire dégager l’employeur de toute contrainte en matière de licenciement et de temps de travail, tout en l’exonérant des "cotisations", et cela pour les multis comme pour les PME. On est loin des 40 heures payées 48 avec le Front populaire...
Certes, la Commission fait plusieurs fois le constat que les femmes et les jeunes sont plus souvent en CDD ou en temps partiel. Mais en aucun cas elle n’ose envisager qu’il s’agisse d’une contrainte. Pour elle, le problème ce sont les contraintes liées à l’éducation des enfants. Seulement, c’est aussi un problème pour celles qui sont à temps plein et en CDI.
Plus loin, un passage révèle encore une fois la manière totalement biaisée dont la Commission nous présente les choses : "Les règles juridiques qui sous-tendent la relation de
travail traditionnelle ne donnent peut-être pas suffisamment de marge
de manœuvre aux travailleurs recrutés sur des contrats à durée
indéterminée standards pour explorer les opportunités d’une plus grande
flexibilité au travail, ni ne les encouragent peut-être à agir en ce
sens."
Ainsi, c’est par souci de permettre aux travailleurs d’ "explorer les
opportunités d’une plus grande flexibilité" qu’on prône des mesures qui
induisent directement plus de précarité pour les mêmes travailleurs.
Passons.
Quel
but poursuit donc ce Livre Vert ? Ce sera au moins la quatrième fois
qu’on nous expose la finalité, mais à chaque fois on s’écarte un peu
plus des grands idéaux démocratiques. La preuve :
"Le présent Livre Vert a pour but de stimuler le débat
sur la question de savoir si un cadre réglementaire plus ’réactif’ est
nécessaire pour renforcer la capacité des travailleurs à anticiper et
gérer les changements, indépendamment de leur type de contrat - à durée
indéterminée ou temporaire atypique."
Que veut dire "réactif" ? Mystère pour les non-initiés. En tout cas, on
veut nous habituer à ce que la Commission appelle "changements", mais
qui revient à admettre que les entreprises puissent jouer sur la masse
salariale sans être en difficulté économique, comme nous avons déjà pu
le constater avec de nombreux dégraissages.
En juin 2007, après la grande "consultation", la Commission sort un communiqué de presse qui donne ses conclusions. Etrangement, un an après le Livre Vert, aucune grande réforme européenne n’a été entamée, mais Sarkozy a mis en œuvre certains principes dont ceux qui tenaient le plus à cœur au Medef.
Voici l’un des chapitres, dans le langage habituel de la Commission :
À qui profitera la flexicurité ?
"L’approche flexicuritaire profitera sans aucun doute aux actuels ’travailleurs en marge’. Mais, à la fin du compte, il sera bénéfique
aussi pour les ’travailleurs en place’. La sécurité est une notion toute relative.
Un travailleur employé sous contrat à durée indéterminée n’est assuré
de son emploi que tant que l’industrie qui l’emploie reste compétitive.
Il est toujours possible que son employeur fasse faillite et que le
travailleur devienne excédentaire (joliment dit n’est-ce pas ?).
Ces travailleurs sont desservis par une politique qui les endort dans
un faux sentiment de sécurité au lieu de les encourager à se préparer
au changement."
Eh bien oui, alors, on les laisse s’endormir sur leurs lauriers, ces mammouths de travailleurs ? Ils devraient pourtant comprendre ce que sont les grands défis de la mondialisation et de la compétitivité internationale, au lieu de croire qu’ils auront un travail rémunéré convenablement toute leur vie. Et puis quoi encore ?
"Pour les entreprises, notamment les PME, les avantages sont la capacité de recruter du personnel aux qualifications plus adaptées aux besoins, qui seront donc plus productifs, et la possibilité d’ajuster (= licenciement économique) rapidement leur propre organisation, et de contribuer ainsi à l’innovation (on ne voit pas très bien le rapport - ni comment d’ailleurs, mais nous n’en sommes pas au premier syllogisme), à la compétitivité et à la saisie plus rapide des occasions qui se présentent. Ceci à son tour produira un impact positif sur la croissance et la création d’emplois (’cercle vertueux’)."
Ah, oui, le coup de "cercle vertueux", on n’y avait pas pensé. C’est un peu comme "la main invisible du marché", peut-être ?
"Pour l’UE et les États membres, la flexicurité est synonyme d’avancée réussie vers une économie de la connaissance (cf. Conseil de Lisbonne en 2000) caractérisée par une croissance constante et durable et une plus grande cohésion sociale nous donnant les moyens de préserver et d’améliorer nos modèles sociaux, nos pensions, nos soins de santé et la qualité des services d’intérêt général (= services publics du moins ce qu’il en reste)". No comment.
La fin du communiqué nous parle d’avenir. Et c’est là qu’on apprend - oh surprise ! - que "L’année prochaine (donc cette année),
la nouvelle génération de programmes nationaux de réforme devraient
préciser de quelle manière les États membres mettent en œuvre des
politiques de flexicurité."
Est-ce
que ça veut dire que les États européens sont tous en train de mettre
en application les mesures sur la flexisécurité - comme en France ? Cela
voudrait dire qu’il importe peu qu’un gouvernement soit de droite ou de
gauche, puisqu’il applique de toute manière les politiques européennes
qui, il est vrai, sont soutenues à grands renforts de directives et
autres règlements. Mais les orientations sont quand même arrêtées par
les chefs d’État et de gouvernement, avec la Commission.
En octobre 2007, nous avons droit à un rapport sur la flexisécurité intitulé : "La flexicurité, ou comment répondre aux questions liées à la mondialisation et à la démographie en combinant flexibilité et sécurité". On nous reparle de la "capacité d’adaptation" des travailleurs (cette fois nous ne sommes plus seulement de la "main-d’œuvre") qui est nécessaire en ces temps de compétition mondiale. Il nous faut également oublier les emplois stables :
"La protection de l’emploi qu’ils [les travailleurs] occupent pourrait ne plus suffire, voire s’avérer néfaste dans certains cas. Pour pouvoir planifier leur vie et leur carrière, les travailleurs ont besoin d’un nouveau type de sécurité, qui leur permette de rester sur le marché du travail et d’affronter les changements auxquels ils sont confrontés. Ce nouveau type de sécurité ne doit pas se limiter à un emploi précis, mais porter plutôt sur les transitions d’un emploi à l’autre." Aucune contradiction n’est trop énorme, même si la "logique" qui nous est rabâchée depuis quelques années commence presque à sembler cohérente si l’on n’y regarde pas de plus près.
Mais
ne nous voilons pas la face : cela fait un moment que nous constatons la
remise en cause du droit du travail, qui va de pair avec la fin des
services publics. Car, tout cela est la conséquence du credo européen
de la "compétitivité". Credo suicidaire s’il en est, surtout si l’on
cherche à entrer en compétition avec des pays comme l’Inde ou la Chine,
qui ont un coût du travail extrêmement bas ainsi qu’un droit du travail
quasi inexistant. Pour en arriver au même stade, il faudrait donc
détruire l’ensemble des acquis sociaux.
L’Europe (souvent à partir du Conseil c’est-à-dire les chefs d’État et de gouvernement) donne les orientations, et les États appliquent. Et, comme ça ne donne que des résultats négatifs du point de vue des populations, on accuse l’Europe, ce qui témoigne d’une mauvaise foi sans limite.
En décembre 2004, en France, on a entamé une grande "simplification" du droit du travail, qui a permis de jeter aux oubliettes quelques aménagements obtenus de haute lutte par le passé. De plus, ce genre de procédé revient à faire écrire le droit du travail par l’exécutif et plus par le législatif comme c’est prévu. La même année, la présidence néerlandaise de l’Europe lance sa consultation sur la simplification du droit du travail. Quelle coordination...
Pourquoi une telle coordination ?
Ce sera l’objet de bien d’autres articles, bien que j’ai déjà évoqué ces questions.
Mais
il faut comprendre qu’un grand nombre de lobbies travaillent, au niveau
européen et national, pour que le processus de libéralisation avance
rapidement. Parmi ces lobbies ou think tank, on a des groupes comme l’Institut Montaigne, think tank financé par 90 entreprises, qui a sa tribune sur "BFM la radio de l’éco" (mais aussi dans la presse en général et dans la presse économique en particulier) et dont le credo est "réfléchir, proposer, influencer", créé en 2000 par Claude Bébéar d’Axa - et membre du Siècle-, ou encore l’Institut de l’entreprise, qui formule le point de vue des entreprises (et pas vraiment des PME) pour le politique.
Ce sont ce que l’on appelle des "boîtes à idées", qui fournissent des rapports aux décideurs politiques et exercent une influence considérable via les médias (qu’ils possèdent, faut-il le rappeler ?). L’Institut de l’entreprise est présidé par Michel Pébereau, PDG de BNP Paribas, administrateur de Total, Saint-Gobain, Lafarge, Axa, membre du Siècle. On y retrouve tout le ghotta français de l’entreprise, comme Gérard Worms, vice-président de Rothschild France, personnage aux relations influentes et également membre du Siècle. Il est le président de la commission "modernisation du travail" de l’Institut de l’entreprise. Toujours en 2004, mais dès le mois de janvier, ledit Institut publiait ses "réflexions sur la modernisation du droit du travail", une somme de 80 pages.
Je
vais vous épargner la litanie de principes ultralibéraux qui y sont
contenus au nom de la fameuse "simplification", mais quelques perles
sont à noter, surtout rétrospectivement.
Encore une fois, les exemples chez les voisins, puis on pointe "l’archaïsme" et les "complications inutiles" du droit du travail. Modernisons et simplifions, exactement comme le disent l’Europe et le gouvernement juste avant ou juste après, finissons-en avec "ce formalisme procédural qui engendre des effets pervers sans pour autant mieux protéger les salariés".
Le licenciement est attaqué d’entrée de jeu, trop compliqué. Car, nous dit-on, "ce formalisme conduit à interdire à des employeurs de faire valoir leurs droits du seul fait qu’ils n’ont pas respecté certaines règles, ce qui conduit à des injustices choquantes et à la prolifération de contentieux qui n’ont d’autre raison d’être que de faire gagner un procès à un salarié dont il est certain qu’il ne devrait (soulignons le choix du conditionnel) pas pouvoir se prévaloir des droits qu’il invoque". On ne saurait être plus clair...
Article par article, le rapport reprend et corrige l’ensemble du Code du travail. Aucun alinéa n’y échappe.
Au passage, on préconise de réviser les critères de représentativité des syndicats, sans préciser comment on organise la négociation en l’absence éventuelle de syndicats. On critique aussi la jurisprudence en matière de droit du travail, devenue "très interventionniste". Il est toutefois envisageable que la jurisprudence augmente au fur et à mesure que se délitent le droit social et le droit du travail.
Le programme pour le droit du travail c’est, en gros, d’avoir une base minimale fixée par la loi, et que toutes les améliorations restent "exceptionnelles" et n’aient pas force de loi. Comme ça les avancées se feront au coup par coup dans des négociations décentralisées, ce qui permet à l’employeur d’exercer une pression maximale pendant la négociation.
On nous explique encore qu’il faut faciliter la rupture des contrats de travail, simplifier le licenciement, etc. Sur la durée du temps de travail, on peut lire (p. 32), tout simplement : "Reste enfin l’organisation de la durée de travail, celle destinée à répartir la durée au cours de la semaine, du mois, voire de l’année, et qui doit être adaptée au fonctionnement des entreprises" on aurait pu ajouter, aussi "dans le respect des conditions de vie des salariés". Pour l’Institut de l’entreprise, tout cela devrait être décidé par la négociation collective, mais décentralisée (comme il est précisé plus loin (p. 72), il faut "redonner une impulsion à la négociation au niveau des entreprises").
L’Institut Montaigne a aussi fait son rapport (106 pages cette fois) en novembre 2004, intitulé "5 ans après Lisbonne :
comment rendre l’Europe compétitive ?". Si vous avez le courage, vous
pourrez y lire les mêmes arguments que dans les autres textes dont
parle cet article, mais avec en plus des préoccupations
institutionnelles au niveau européen, puisqu’il faut renforcer les
compétences de l’Europe (et donc diminuer celles des États). On s’étend
également beaucoup plus sur l’économie de la connaissance, et ses
corolaires.
Mais, dès septembre 2003, l’Institut Montaigne publia un rapport sur "la formation tout au long de la vie et l’employabilité"...
D’autres think tank et lobbies comme l’Institut Aspen, le Medef ou l’Ifri (présidé par Thierry de Montbrial, bilderberger notoire) ont fait la même chose, et comme par hasard on voit aujourd’hui appliquer leurs recommandations. Il n’y a pas eu de contrepoids citoyen, et les syndicats semblent achetés. Ces mesures ne vont donc que dans le sens de l’intérêt des entreprises. Le rapport du Medef date de mars 2004, et reprend les mêmes préconisations que ses collègues.
On se retrouve donc avec une nébuleuse de think tank nationaux qui emboîtent immédiatement le pas sur l’Europe dès qu’une réforme libérale est possible. Ils distillent leurs rapports auprès de l’exécutif et du législatif, et "communiquent" vers l’opinion publique via les médias. Seulement, au niveau international, on retrouve d’autres lobbies comme le Council on Foreign Relations, la Trilatérale ou le Bilderberg qui, eux, impulsent leurs réformes dans les institutions internationales et autres moments forts du capitalisme comme Davos.
Au final, on a des réformes qui ne tiennent compte que d’une seule facette de la réalité, la seule préoccupation des entreprises, et pas les moindres puisque ce sont les banques internationales et les multinationales qui financent lesdits lobbies.
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