Le retour de la Démocratie chrétienne
Si nul ne peut prédire avec précision quel sera le visage de la nouvelle République, nous pouvons toutefois hasarder un pronostic : le vrai vainqueur de la chute de Silvio Berlusconi est d’ores et déjà connu : la démocratie chrétienne.
De prime abord, le gouvernement présidé par Mario Monti entame sa lourde tâche sous les meilleurs auspices. La totalité des partis politiques représentés à la Chambre des Représentants et au Sénat de la République, hormis la Ligue du Nord, qui souhaite se refaire une santé depuis les bancs de l’opposition, lui ont en effet accordé leur confiance.
L’équipe gouvernementale, entièrement composée d’universitaires et de professionnels aguerris, est de haut vol, saluée par les leaders européens et le président américain dès sa mise sur pied. Par ailleurs, les intentions programmatiques du successeur de Silvio Berlusconi, présentées dans les grandes lignes lors de son discours d’intronisation à la Chambre, s’inscrivent indéniablement dans une démarche de rigueur, certes, mais également d’équité sociale. L’étalon de mesure d’un bon gouvernement pour le citoyen, nous disait ce lundi à Bruxelles Luigi Berlinguer, un des leaders historiques du Parti démocrate, principal parti de centre-gauche, est sa capacité à présenter une idéalité, sa capacité à conduire le pays vers un horizon meilleur.
Mais aujourd’hui, cette dimension n’est plus suffisante, nous précisait-il. Si une force politique reste dans cette idéalité, ce que font un certain nombre de partis d’opposition qui s’accrochent uniquement aux principes, elle se détache irrémédiablement de la quotidienneté du citoyen. Elle doit donc aussi être à même de définir rigoureusement le processus qui tend vers cette idéalité, définir les mesures concrètes, dans le détail, qui instaurent l’équité sociale. A ce prix seul, le politique peur rassurer le coti yen sur sa capacité réelle de leadership.
A cet égard, les propos de Mario Monti, selon lesquels l’heure était à présent venue pour ceux qui avaient peu contribué aux sacrifices demandés par l’Europe d’y mettre du leur, sont irréprochables. Comme l’est sa volonté de coupler les mesures de rigueur pour diminuer l’ampleur de la dette à des normes de relance de l’économie, notamment par l’investissement mixte public-privé, sans coupes budgétaires linéaires mais bien sélectives en fonction des besoins des différents secteurs, ce que refusait l’ancien ministre de l’économie, Giulio Tremonti.
Toujours dans le cadre cette recherche d’équité, M. Monti propose de moduler les taxes sur le patrimoine immobilier en fonction de l’importance de celui-ci, sans exclure de prendre en compte l’ensemble du patrimoine non-immobilier, ce dont ne voulait pas entendre parler le gouvernement précédent, dont le leader Silvio Berlusconi, représente la seconde fortune du pays. De même, si une réforme des pensions est nécessaire au vu, notamment, de l’augmentation de la durée de vie, le chef de l’exécutif envisage d’instaurer une contribution de solidarité à prélever sur les pensions dépassant 100 000 euros net par mois.
Bref, les intentions sont louables et, nous n’en doutons pas, sincères. La difficulté portera sur la réelle volonté des partis soutenant le gouvernement de l’extérieur – puisqu’aucune force politique n’est représentée au sein de cet exécutif strictement « technique » - de jouer réellement le jeu. L’instauration du gouvernement Monti a été organisée de concert par les forces de droite et de gauche pour tourner la page du Berlusconisme sans retour aux urnes. Retour aux urnes proscrit pour la droite car synonyme d’une défaite électorale assurée. Et pour la gauche, car elle se serait retrouvée avec victoire qu’elle n’aurait pas contribué à créer (et donc, vraisemblablement, de courte durée au vu des divergences programmatiques et idéologiques qui traversent la coalition).
L’enjeu, pour les deux camps, est donc d’une part de gagner du temps en n’endossant pas la paternité des mesures d’austérité et, de l’autre, de (re)construire ainsi leurs camps respectifs. La question essentielle est dès lors la suivante : ces deux camps auront-ils le courage et la force politiques pour s’opposer à leurs bases électorales classiques, aux syndicats, à la population, lorsqu’il s’agira de soutenir, à quelques mois de la prochaine échéance électorale, la réforme des pensions, la taxe sur le patrimoine, la réforme du code du travail, la mobilité obligatoire au sein des services publics, etc ?
Il ne fait aucun doute que, dans l’esprit des principaux acteurs du monde politique italien, le gouvernement Monti n’est qu’une transition entre la deuxième et la troisième République. Si nul ne peut prédire avec précision quel sera le visage de la nouvelle République, nous pouvons toutefois hasarder un pronostic : le vrai vainqueur de la chute de Silvio Berlusconi est d’ores et déjà connu : la démocratie chrétienne. Ce que les observateurs appellent le Troisième pôle a, en effet, vu confluer vers ses rangs une nuée impressionnante de mandataires du Peuple de la Liberté (le parti de M. Berlusconi) en quête d’une nouvelle terre d’accueil (et d’une place gagnante sur les prochaines listes électorales).
Un nombre important de nouveaux ministres sont d’ailleurs étiquetés proches du Troisième pôle, trois d’entre eux ont mêmes des accointances ouvertes avec le Vatican. Le Saint-Père lui-même a qualifié le nouvel exécutif de « fort belle équipe », ce qui, en langage vaticanesque, équivaut à un blanc seing officiel. De même, d’anciennes figures historiques de la Démocratie chrétienne se sont réunies en congrès il y a quelques jours, congrès auquel a pris part M. Casini, le leader du Troisième pôle qui, au sortir des la Convention, a déclaré qu’il ne s’agissait pas d’une nouvelle aventure mais de la poursuite, après une courte interruption, de l’ancienne. Les entrepreneurs, par le biais de la responsable de leur Fédération, ont aussitôt affiché leur satisfaction pour les prises de position de M. Casini. Enfin, autre symptôme d’un retour en grâce des démocrates chrétiens : la volonté de plus en plus affirmée d’une réforme de la loi électorale dans le sens d’une proportionnalité accrue, de nature à éroder le conflit bipolaire entre un bloc de gauche et bloc de droite.
La fin de la Première République (1946-1993), sur les cendres de laquelle s’est construit le berlusconisme, avait coïncidé avec l’alliance des conservateurs et des modérés (ainsi nomme-t-on les anciens démocrates chrétiens), massivement intégrés dans les rangs de Forza Italia. Nous étions alors à quatre petites années de la chute du mur de Berlin et l’objectif était, de l’aveu même des leaders de ce qui allait devenir le centre-droit, de barrer la route aux progressistes (il faut entendre les communistes). Ce qui se joue aujourd’hui, hormis la noble tâche de sauver l’économie italienne, tâche que seul Mario Monti peut, en raison de ses capacités et de sa probité, assumer, c’est une convergence entre ces mêmes modérés, qui n’auront donc jamais quitté le pouvoir, avec les progressistes, entre-temps devenus réformistes. Tout porte à croire que l’Eglise et le monde de l’entreprise ont d’ores et déjà marqué leur accord.
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