Restructurations dans l’industrie de défense européenne : -300 000 emplois d’ici 5 ans
La Commission Européenne est en train de concocter un plan de destruction du tissu des PME intervenant dans le secteur de la défense. Quelques détails et commentaires dans cet article...
Bien souvent les choses sont prévues mais non annoncées au public. Bien entendu, c’est la presse la grande coupable car elle a généralement accès aux conclaves où les choses se décident à l’avance. Nous allons ici donner une information qui n’a pas été commentée à ce jour et à la connaissance de l’auteur dans la presse française, bien que cela eut mérité non seulement une information mais aussi, probablement, un débat.
En décembre 2007, la Commission Européenne a invité un certain nombre de personnalités partie-prenantes à une présentation d’une étude réalisée par le cabinet parisien BIPE sur l’industrie de défense et elle a aussi organisé un débat sur le thème traité, à savoir la restructuration de l’industrie de défense. A cette époque, cette réunion s’était tenue sous l’égide de la direction générale de l’emploi.
Résumons brièvement le document présenté par le cabinet BIPE. Le coût des matériels militaires augmentant plus rapidement que les budgets de défense, une façon de faire de potentielles économies consiste à mutualiser l’effort de défense au niveau européen et d’éviter les gaspillages. BIPE retient ainsi 4 scenarii qui sont les suivants : scenario d’achat des équipements militaires européen ou scenario d’achat national, ces deux scenarii étant couplés selon que les acteurs anticiperont le changement ou pas. Il s’en suit une baisse à terme des emplois industriels du secteur de la défense en Europe de 300000 emplois d’ici 2013, le scenario européen avec anticipation étant le plus favorable à long terme en matière d’emplois, comme on aurait pu s’en douter, mais pas à court terme. Encore a-t-il fallu attendre un an et la fin de l’année 2008 pour que BIPE daigne nous donner la courbe du scenario national avec anticipation alors qu’il avait conclu un an auparavant qu’il était vital pour l’Europe de mettre tout de suite en place le scenario européen avec anticipation.
Les 8 et 9 décembre 2008, la Commission convoque à nouveau les parties prenantes, sur le même sujet, avec une petite variante, celle de la co-organisation entre la DG emploi et la DG entreprise. On nous assène le même discours, comme si notre QI de 2007 ne nous avait pas permis de comprendre, avec 2 nouveaux éléments cependant. Le premier est une critique assez sévère des pays qui font appel à l’article 296, peu importe d’ailleurs son numéro, celui qui permet à un pays de se soustraire des règles communautaires et mondiales en invoquant le caractère de défense de certaines activités, ce qui les range sous une protection strictement nationale et les soustrait donc au regard bruxellois entre autres. La Commission trouve que certains pays en abusent. Le deuxième élément, c’est une volonté d’organiser une libre circulation des équipements d’armement sur le territoire européen sans avoir recours aux procédures d’exportation des matériels de guerre qui sont lourdes et coûteuses.
Manifestement, semble-t-il, cette démarche de la commission, a le soutien, au moins, des gouvernements français et allemand.
Maintenant le tableau de la situation brossé, passons aux commentaires qui ne manquent pas. Commençons par le dernier point, à savoir la libre circulation des équipements de défense en Europe. Si l’Europe était une nation, pourquoi pas ? Mais c’est loin d’être le cas aujourd’hui et pis, les notions d’ennemi et d’ami ne recouvrent pas les mêmes concepts parmi les pays européens. Rappelons-nous, à titre d’exemple, l’Allemagne, qui a été le premier pays à reconnaître la Croatie alors que l’allié traditionnel de la France est la Serbie... Ainsi, organiser un libre marché européen des équipements d’armement c’est mettre la charrue avant les bœufs et cela va permettre probablement de retrouver n’importe quel matériel n’importe où en se jouant habilement des frontières.
En condamnant les pays membres à ne plus utiliser l’article 296, la commission entend imposer la création d’une industrie d’armement réellement européenne et non nationale. Néanmoins, comme cela s’est fait historiquement pour l’espace avec la création de l’Agence Spatiale Européenne, la seule règle viable et acceptable est celle du retour géographique. Or, si cela, au début, peut avoir un certain intérêt, très vite, cette règle est absolument délétère et engendre des surcoûts bien supérieurs aux pseudo-économies réalisées. Un rapport de la délégation générale pour l’armement (DGA) des années 80, montrait que si on a n coopérants sur un projet, le coût du projet croît alors comme la racine de n. A 27, cela fait plus de 5 ! La commission, pour se défendre explique que si on faisait n fois le projet, cela coûterait encore plus cher, mais l’argument est de mauvaise fois car, d’une part, les projets ne sont jamais dupliqués à l’identique et, d’autre part, on ne compte que le coût des programmes et non combien ils rapportent à la communauté. Or, pour ce dernier point, et sans parler d’argent, les programmes de défense amènent dans la société une compétence très forte des personnels qui travaillent dans ces domaines. Pour mémoire, dans les inventions fondamentales du XXe siècle, en voici quelques-unes qui sont, à l’origine, militaires : radar, réacteur d’avion, laser, circuits électroniques, théorie de l’information, ordinateur, Internet... Bref ! Où en serions-nous sans le militaire ? En comparaison, le civil n’a que très peu produit de découvertes majeures, y compris dans le domaine de la médecine contrairement à ce que certains pourraient penser. D’ailleurs, ne nous y trompons pas, les Etats-Unis marchent sur ce modèle. Ils investissent massivement dans le secteur de l’armement et transfèrent ensuite au civil les technologies militaires avec les succès que l’on connaît et le pouvoir que cela leur confère (l’Internet est géré depuis les USA et seulement par les USA). Certains, antimilitaristes, pourraient être tentés de proposer d’investir les mêmes sommes dans le civil et qu’on obtiendra les mêmes résultats. C’est probablement vrai mais nous n’avons pas le droit de le faire car tout investissement massif dans le civil violerait le droit de la concurrence établi par l’OMC. C’est d’ailleurs le problème actuel de l’Europe avec l’affaire Airbus contre Boeing. Airbus a eu objectivement moins d’aides que Boeing mais celles de ce dernier sont militaires alors que celles du premier sont civiles et c’est ainsi que Boeing a attaqué Airbus devant l’OMC avec, hélas, quelques chances de gagner...
Plus pernicieuse, la mesure de libre circulation des équipements de défense s’accompagne d’un discours incitateur, pour les PME, à s’européaniser et à devenir des groupes européens équipementiers. Une telle stratégie appelle un commentaire comparatif entre la France et l’Allemagne. En effet, historiquement, la France s’est concentrée sur de grands groupes internationaux et spécialisés dans la maîtrise d’œuvre alors que l’Allemagne s’est spécialisée dans un tissu de PME. Le résultat est éloquent. 20% du PIB français sont liés à l’industrie en France contre 60% en Allemagne et, en 2007, la France a eu un déficit commercial de 30 milliards d’euros contre un bénéfice de 200 milliards d’euros en Allemagne. Ainsi, la stratégie vise-t-elle à « franciser » le tissu industriel d’armement européen avec, à la clé, il faut bien le dire, peu de chances de succès...
Mais arrivons-en à notre commentaire essentiel. Dans un contexte de croissance des budgets militaires à 2 chiffres dans le monde (Chine, Inde, Russie, USA...) l’Europe maintient à peine son effort. Chaque jour elle devient donc plus faible relativement au reste du monde. Par exemple, en termes d’aéronautique, nous commençons à peine à comprendre comment marche la furtivité du F117 américain alors que ce dernier est en train d’être réformé pour cause d’obsolescence... Or, dans un monde de plus en plus égoïste, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la défense qui a vocation à défendre nos intérêts vitaux. Par ailleurs, la démarche de la Commission européenne est délétère dans la mesure où elle laisse entendre que la défense, pour être efficace, doit être européenne. Je n’ai pas la place, dans ce texte, de démontrer le contraire et je renvoie le lecteur à mon ouvrage intitulé « logique de défense : 30 idées en 200 pages » aux éditions Bénévent (mai 2008) pour cette démonstration. Clairement, la volonté nationale d’un pays comme la France pourrait être suffisante, budgétairement parlant, à garder à notre pays le statut de grande puissance et à se faire respecter y compris de géants comme les Etats-Unis pour ne citer qu’eux, y compris en termes militaires. Mieux, notre industrie de l’armement, si elle est bien pensée, pourrait être aussi compétitive voire davantage que celle de l’Oncle Sam avec un budget à la hauteur de ce que peut s’offrir notre pays (pour info, le budget 2008 de la défense américain est de 600 milliards de dollars quand le budget total de l’état français est de l’ordre de 250 milliards d’euros). Là encore, une voie pour y arriver est décrite dans l’ouvrage.
Pourquoi alors l’Europe essaie-t-elle de calquer son système sur le système américain ? En réalité, les élites européennes ne se voient guère qu’en supplétives de l’empire américain. Nous sommes d’ailleurs suiveurs partout et le coup d’éclat de Jacques Chirac refusant l’intervention en Irak est probablement à mettre aux oubliettes de l’histoire à venir tant la tentation, parmi les dirigeants actuels européens, d’être servile et empressé envers Washington semble être grande. Alors, plutôt que d’essayer de changer l’Europe, ce qui semble difficile, nous, citoyens des états, pouvons changer le notre, à notre niveau. Et si, ensuite, une fois élu un indépendantiste, cela nous impose de déserter la table de Bruxelles pendant quelques mois, comme l’avait fait le Général en son temps, tant mieux car l’Europe comprendra enfin peut-être, que sa force ne peut résider que dans sa diversité, qu’elle n’est qu’une mosaïque de peuples indépendants qui doivent s’entendre sur un minimum mais que ce minimum ne saurait étouffer le génie de chaque peuple ni sa liberté ni sa spécificité. On juge l’arbre à ses fruits. Les 300 000 chômeurs prévus dans l’industrie de défense sont des fruits bien amers. Si l’Europe veut être respectée de ses composantes, elle doit créer de la richesse et non de la misère. Or, ce que propose la DG emploi, c’est de débloquer des fonds pour atténuer les effets sociétaux des licenciements d’ores et déjà prévus. Bref ! La DG emploi veut faire de l’euthanasie sociale... Est-ce là le modèle de société que nous voulons vraiment ?
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON