Vers un État Européen ?
Le 7 juin prochain, 492 millions d’électeurs provenant des 27 États membres de l’Union Européenne sont appelés aux urnes pour élire les 785 députés européens qui les représenteront au Parlement de Strasbourg.
Cette élection permet de nous prononcer sur la direction dans laquelle nous souhaitons que l’Europe aille dans l’avenir.
Le 7 juin, le second plus grand électorat du monde, derrière l’Inde, s’exprime. Avec le Conseil de l’Union européenne (réunion des ministres nationaux) et la Commission européenne (nommée), le Parlement européen forme le pouvoir législatif des institutions européennes. Cette élection est importante puisque environ 80% des lois des pays sont issues de directives supranationales venant de Bruxelles.
Cette élection permet de nous prononcer sur le futur que nous voulons pour notre Europe. Souhaitons-nous un approfondissement de l’intégration de l’Europe pour aller vers l’Europe politique ? Europe fédérale ou Europe confédérale ? Souhaitons-nous une Europe ultra-libérale ou Europe régulée ?
Tels sont aujourd’hui les enjeux de la construction européenne. Et tels seront les enjeux du vote du 7 juin.
Depuis 2005 et la non-ratification du traité instituant une constitution pour l’UE par la France et les Pays-Bas, l’Europe est à nouveau bloquée dans sa marche en avant vers l’Europe politique. Après l’échec de l’Europe politique fédérale en 1954 avec la CED (Communauté Européenne de Défense), l’échec de l’Europe politique des Etats souhaitée par de Gaulle en 1962, cette dernière tentative d’union politique, avec cette fois une constitution et un président européens, ne suffit pas encore à convaincre une majorité de citoyens. Cet énième blocage est une conséquence du système des prises de décision à l’unanimité : un seul pays peut empêcher d’avancer ceux qui le souhaitent. Avec le Traité de Lisbonne de 2007 proposé par la France, un redémarrage semble possible.
Historiquement, la perspective d’un Etat fédéral européen supranational a souvent été évoqué et pensé. Mais elle a du mal à s’imposer. Les Etats-Unis d’Europe furent imaginés pour la première fois au XIXe siècle, cités dans le journal Le Moniteur, puis repris ensuite par Victor Hugo. Cela est à nouveau réclamé au XXè siècle par Churchill (mais sans la GB) en 1946, puis par Jean Monnet quand il fonde en 1955, le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe. Depuis un demi-siècle, la défense et la sauvegarde des souverainetés nationales étaient les causes des refus d’une telle perspective. Depuis 2005, en plus de celles-ci sont apparues les raisons sociales, totalement laissées de côté depuis le début de la construction européenne où on avait décidé de se concentrer sur ce qui marchait et faisait consensus : l’économie. Ainsi a-t-on institué une zone de libre-échange, sans taxation douanière, où les capitaux et les personnes circulent sans entraves. Le capitalisme et l’économie de marché règnent donc en maître sur l’Europe, comme dans le monde entier. Ce système a montré certaines limites : on peut y voir des riches s’enrichirent et des pauvres s’appauvrirent, des patrons ayant échoué partir à la retraite avec des chèques dont le montant dépasse l’imagination (les « parachutes dorés »), des entreprises délocaliser dans des pays où la main d’œuvre est moins chère pour faire plus de profits, laissant sur le carreaux des centaines d’ouvriers européens.
Les consciences anti-libérales et anti-capitalistes, réclamant une Europe plus sociale et plus protectrice, ont ainsi vu leur audience augmenter. Ces revendications ont participé en grande partie à la victoire du Non en France et aux Pays-Bas en 2005, et sont très présentes dans la campagne actuelle, notamment de la part des partis d’extrême gauche, très présents en France, ou encore en Allemagne avec Die Linke.
S’il convient bien sûr de tout faire pour limiter les excès du capitalisme, nous ne pourrons certainement jamais les supprimer totalement, à moins de changer de système économique. Mais tout autre système économique a toujours créé davantage de misère et de pauvreté dans l’Histoire. Alors quoi d’autres ? Telle est la question à laquelle ne savent pas répondre ceux qui veulent changer le système… L’enjeu est donc de trouver un juste milieu afin que l’Europe soit compétitive dans la « guerre » économique mondiale. Les citoyens européens ne doivent pas être mis en concurrence les uns avec les autres, et l’Europe doit se protéger de la concurrence déloyale de pays comme la Chine qui ne respectent pas les mêmes contraintes sociales et environnementales.
L’Europe doit donc présenter une alternative crédible à la vision américaine conservatrice et ultra-libérale. Ce serait l’économie sociale de marché, justement prévue dans la constitution européenne mais qui n’avait pas convaincu car trop abstrait.
L’objectif apparaît d’uniformiser au maximum les politiques fiscales, énergétiques, sociales et écologiques, un peu à la manière de l’OCDE, mais au niveau de l’UE.
La reprise de la construction européenne est réclamée par tous les gouvernements d’Europe. Pour faire face à la mondialisation, les « petites » nations européennes doivent en effet s’unir politiquement pour former un Etat continent, capable de contrebalancer les USA, Chine, Inde, Japon, Brésil.
Mais pour être à la hauteur de ces pays, ne doit-on pas nous résoudre à constituer un Etat fédéral ? Nous devons comprendre qu’un petit pays (géographiquement) ne peut plus s’en sortir seul et peser dans la compétition mondiale, et donc qu’il doit consentir à abandonner une partie de sa souveraineté à un Etat supranational. Jean Monnet, un des pères fondateurs de la Communauté économique européenne après la guerre et grand défenseur du fédéralisme, ne croyait pas en la coopération intergouvernementale ; pour être efficace selon lui, il fallait fédérer : « il faut attaquer les souverainetés nationales » disait-il. Attention attaquer les souverainetés ne veut pas dire attaquer les nations. Nous devons rester avec nos particularismes culturels nationaux. Mais il faut voir plus loin que ses propres frontières ! Il faut voir maintenant jusqu’aux frontières européennes. Il faut se voir dans une culture plus grande et un projet plus grand que notre seul pays : l’Europe.
Déjà sur nos passeports, il est écrit Union européenne puis la nationalité du pays : cela est une preuve du fait que nous appartenons dorénavant à un ensemble commun qui dépasse nos nations ancestrales. Nous sommes maintenant compatriotes avec tous les européens. Unifier et rassembler, telle est la belle idée de l’Europe ! Au-delà des nations, il y a l’Europe ! Et l’Europe, c’est la paix.
Comme le pensait le Général de Gaulle, la France est une grande puissance, une puissance qui, c’est un fait, est en Europe ; la France ne peut donc être forte que dans une Europe forte. L’avenir de la France, comme de toutes les nations européennes, c’est l’Europe. Rappelons la phrase de l’un des grands précurseurs de l’idée d’union européenne, le Comte Richard Coudenhove-Kalergi (1894-1972), au début du XXe siècle : « Unification ou écroulement ». Le fédéralisme est un moyen de lutter contre les nationalismes qui ont fait tant de mal à notre continent : « le nationalisme, c’est la guerre » (François Mitterrand).
Nous n’aurons jamais un Etat fédéral à l’image des Etats-Unis d’Amérique compte tenu de l’Histoire des pays européens, et afin de ne pas faire disparaître les nations qui existent. Il n’y a en effet aucun rapport entre la conscience nationale de l’Etat du Nebraska et celle de la France par exemple.
Si l’on en reste à une simple coopération entre Etats, ceux-ci n’auront de cesse de se préoccuper avant tout que de leurs intérêts nationaux. Pour que l’Europe fonctionne, il faut dépasser ces intérêts nationaux pour réfléchir aux intérêts européens. C’est pour cela qu’il faut généraliser les décisions prises à la majorité qualifiée. Aujourd’hui, elles sont prises à l’unanimité, ce qui bloque les prises de décision : un seul Etat peut bloquer l’ensemble du continent. Il faut un véritable chef de l’exécutif européen qui n’aurait pas à s’occuper aussi de son propre pays, comme c’est le cas des chefs d’Etat et de gouvernement qui se succèdent à l’heure actuelle à la présidence de l’UE tous les six mois. Ce président de l’Europe serait au-dessus des enjeux nationaux et pourrait arbitrer et mener une politique à long terme, en collaboration avec les présidents nationaux. Mais ses compétences seraient surtout économiques et diplomatiques, le reste des pouvoirs (police, éducation, justice) restant aux mains des pays avec leur propre gouvernement.
Avec lui, il conviendrait donc de donner une personnalité politique à l’Europe afin qu’elle puisse s’exprimer d’une seule voix à travers le monde, et afin que l’Europe soit visible à l’étranger, mais aussi et surtout par ses propres citoyens ! En effet, l’opacité de l’Europe ne favorise pas la confiance en l’Europe des citoyens. Aujourd’hui, qui connaît le nom du président du Parlement et des commissaires ? Du coup, nous arrivons à des taux d’abstention très importants quand arrivent les élections européennes ; on prévoit environ 60% d’abstention la semaine prochaine ! C’est terrible pour l’Europe !
A terme, le président de l’Europe devrait être élu au suffrage universel direct. Il mettrait ainsi fin au système actuel des présidences tournantes tous les six mois qui nuit à cette visibilité du pouvoir exécutif européen. De plus, ce fonctionnement empêche l’engagement de politiques sur le long terme.
Pour imaginer un Etat politique, il faut aussi une armée européenne : nous devons mettre en place une armée européenne pour défendre le territoire et intervenir là où l’on menace nos intérêts et nos valeurs. Nous devons mettre en commun nos armées nationales et partager nos dépenses en matière de défense. Tout le monde y gagnerait. Chaque pays conserverait quand même une part d’armée nationale. Concernant la question épineuse de la dissuasion nucléaire, elle doit être au service de l’Europe, comme c’est déjà le cas, mais doit rester nationale : le Bouton reste entre les seules mains de la France et de la Grande-Bretagne.
Quand l’armée européenne existera, l’union politique suivra car il faudra bien un pouvoir pour diriger et encadrer cette armée européenne. C’est ce que veut dire Christophe Barbier quand il dit « en démocratie, le civil s’impose au soldat ».
Dans ce processus, ce sont les pays aux armées puissantes qui doivent recouvrer leur mission pionnière en matière de construction européenne.
Avec le Traité de Lisbonne, la France a repris un rôle, son rôle moteur dans la relance de la construction européenne. Le Traité de Lisbonne est centré sur les mécanismes de décisions institutionnels. Il propose aussi de stopper tout élargissement à d’autres partenaires tant que la réforme des institutions permettant de s’adapter aux douze nouveaux Etats membres depuis 2004 n’a pas été effectuée. En effet, l’Europe continue de fonctionner comme s’il y avait toujours 15 pays ! Ce qui provoque sa paralysie. La prochaine étape était la ratification de ce traité par tous les pays. La France fut parmi les premiers pays à le ratifier début 2008. La République Tchèque, qui préside l’UE ce semestre, l’a ratifié le 6 mai dernier.
Ce n’est qu’une fois les institutions européennes réformées, que l’Europe pourra de nouveau avancer et faire de plus grands pas. Il faudra aussi réécrire une nouvelle constitution européenne.
Pour renforcer le sentiment européen, il faut faire retentir l’ « Ôde à la joie » partout en Europe bien plus souvent. Et pas seulement le 9 mai. Beaucoup trop de personnes aujourd’hui ne savent même pas que l’Ôde à la joie de Beethoven est l’hymne européen ! Hymne européen depuis 1972, il doit devenir autant familier pour les européens que leur hymne national.
Un des principes de l’Europe est de partager et défendre, sur un territoire défini, des valeurs communes. La belle idée de nation peut donc être envisagée dans sa dimension continentale. Dans le respect des nations européennes qui composeraient ce super Etat, les pays européens pourraient consacrer l’ « Europe Unie des Etats »[1].
Continuer la construction européenne, une Europe intégrée, est donc essentiel : c’est aller dans le sens d’un monde multipolaire, seul garant de son équilibre. Un monde où l’Europe ne risquera pas d’être « mangée » par les autres pôles, que ce soit au niveau économique dans le cadre de la mondialisation, ou au niveau des décisions politiques internationales majeures.
Pour prendre en main notre destin européen, nous, citoyens européens, devons aller voter le 7 juin.
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