Comment gérer le risque de rupture de barrages ?
Si un jour la concession sur le barrage du Lanoux venait à être renégociée, il conviendrait que l’avis des différentes parties prenantes puisse être intégré aux critères de décision et de bonne gouvernance d’un tel contrat, notamment exiger des engagements clairs quant à la sécurité et à la rénovation ou la déconstruction d’un ouvrage qui subit l’érosion du temps.
Rappelons que la dernière catastrophe en France due à une rupture de barrage fut à Fréjus et que l’ingénieur qui construisit le barrage de Fréjus est le même que celui qui a construit le barrage du Lanoux.
La durée de vie des barrages voûtes de grande hauteur tels que le barrage du Lanoux (35 m de haut, 176 m de long et 70 millions de mètres cube) n’est pas connue. D’autre part, il n’existe pas de moyens de savoir quand un tel ouvrage peut entrer dans une période de risque accru de rupture. Preuve en est le mode de contrôle permanent mis en place par EDF : vidage tous les cinq ans, visite sur site deux fois par mois et mesures télémétriques qui permettent de mesurer les plus petites déformations.
Mais ces méthodes ne peuvent
cacher la question : quand aura lieu une rénovation majeure ou pire, la
décision d’une déconstruction ou d’une reconstruction ?
En effet, la manne financière que représente l’hydroélectricité et son utilité accrue dans le développement des énergies alternatives tient à sa nature qui permet de fournir de l’électricité à la demande, mais aussi et surtout à son modèle économique où le coût du kilowattheure reste le plus bas à produire. Sauf que, tout comme pour les centrales nucléaires, les coûts de rénovation majeurs ou de déconstruction ne sont pas intégrés dans le coût global du projet initial, parce que dans les années 50, on croyait encore que le béton était un matériau éternel et les réalisations humaines supérieures à dame Nature. Mais alors si ces rénovations ne sont pas budgétées et qu’elles deviennent urgentes, qui va les payer si elles doivent survenir ? Comment un exploitant qui prendrait en charge une telle concession pour trente ou cinquante ans et qui devrait subir un tel arrêt de production pendant plusieurs années ferait pour assumer sa perte d’exploitation ou de revenus ?
Alors que les années passent, le risque de rupture croit avec l’usure et l’érosion du béton, notamment sous l’effet de l’acidité de l’eau et de l’omniprésence du gel en altitude (2100m).
Ce risque accru vient rencontrer la somme des efforts et des investissements pour favoriser le développement économique de la vallée du Carol. Des efforts qui pourraient être tout simplement rayés de la carte si un jour cet ouvrage venait à céder sous le poids des ans et de l’inconséquence des responsables, publics et privés, car nous sommes tout bonnement devant un cas flagrant de fuite en avant et d’une inconséquence notoire. La conséquence directe de cette stratégie est simple : si le barrage cède, il y aura des morts et il faudra reconstruire ! Une stratégie actuelle qui dénie les effets destructeurs d’une telle catastrophe sur le milieu naturel et aquatique, supprimant en quelques minutes tous les efforts entrepris par des générations d’agents économiques d’un canton pour faire vivre une haute vallée. Pourtant tous ces vacanciers sont tellement heureux de venir se détendre pour le ski, la randonnée, la pêche, la chasse ou pour évacuer le stress d’une année de travail. Que faire ?
La question qui se pose est alors simple : doit-on subir indéfiniment le schéma mental de certains fonctionnaires centraux qui consiste à penser que notre volonté humaine peut être plus forte que les éléments, plus forte que la matière ? La planification des investissements est indispensable, mais tant de catastrophes n’ont-elles pas démontré que cette attitude d’esprit est criminelle et irresponsable ? De sorte que les discours tranquilisants de l’exploitant actuel ne peuvent en aucun cas être une garantie à 100% ou un blanc seing !
Des discours qui viennent rencontrer un phénomène psychologique que connaissent toutes les populations qui vivent à proximité d’un site pouvant connaître un risque majeur : un phénomène d’accoutumance au danger immédiat et bien réel. Le proche exemple d’AZF démontre ce comportement qui a conduit les élus toulousains durant plusieurs mandats à autoriser la construction de maisons et bâtiments à proximité d’une bombe ambiante jusqu’à... la catastrophe !
Depuis la privatisation d’EDF, les modes de gestion des barrages ont considérablement changé qui peuvent légitimement engendrer de la crainte et de la perte de confiance dans la responsabilité de l’exploitant de ces barrages. La transmission de l’expérience et d’une responsabilité tant financière que morale entre les générations a fait place à une gestion strictement économique où ces ouvrages trés rentables et qui ont un rôle crucial dans la production d’électricité à la demande par leur extrême souplesse de fonctionnement sont perçus, parfois même par leurs équipes, comme peut-être plus totalement sous contrôle.
On peut alors légitimement s’interroger sur la responsabilité de l’exploitant ou de l’Etat dans la gestion à long terme de ce parc et de cette ressource, ô combien centrale, dans sa stratégie de production énergétique. Preuve en est le plan de rénovation précipité de certains barrages particulièrement vétustes et surgi soudain en 2006 après que des révélations par les médias aient mis en exergue un certain diletantisme dans les investissements de maintenance.
Pourquoi cette diatribe ?
Il ne s’agit pas de crier « Au loup ! », une attitude qui serait, elle aussi, totalement irresponsable. Mais seulement de rester vigilant, de ne pas se laisser endormir par des discours techniques qui visent à s’attribuer le consentement des parties prenantes en les rassurant et en les faisant se prononcer sur des éléments qui masquent le fond de la question : a-t-on encore en France les moyens de nos ambitions ? Accepte-t-on le risque de détruire une vallée pyrénéenne parce que nous n’avons pas les moyens d’entretenir et de rénover tous les ouvrages qui ont été construits après-guerre ? Si ce risque est accepté, que peut-on mettre en œuvre pour faire en sorte que si ce barrage cède, on puisse sauver les vies, même si on peut accepter de voir détruite une partie de notre territoire et de ses infrastructures ?
Il existe une nécessité de transparence de l’information et des critères de décision qui peuvent avoir une influence directe sur les populations et les agents économiques de deux pays (France et Espagne) qui subissent la potentialité d’un tel risque technologique sur un bassin versant de 230 km pour aboutir à Tarragonne, à l’embouchure de l’Ebre !
La toute-puissance du rayonnement du génie français (et humain) en action dans ces grandes entreprises est et reste comme nous tous : génial quand il partage et qu’il communique, mais tout aussi faillible quand il s’empreint de vanité et qu’il croit, fou de certitudes, qu’il est parvenu à dominer la nature.
Ainsi, le temps est venu que les populations et les agents économiques aient le choix de se déterminer et donner leur avis sur la manière dont l’exploitant exécute son contrat à partir du moment où ces populations, ces exploitations agricoles, ces commerces, ces stations de ski peuvent subir un risque majeur à cause de cet ouvrage pour sortir une fois pour toute de cette logique du risque subi et pour rentrer dans l’ère du risque individuellement accepté. Ce qui ne signifie pas que ces agents économiques et ces citoyens doivent tout refuser, parce que nous avons besoin de cette électricité pour notre indépendance énergétique et que nous devons individuellement rester conséquents dans nos décisions si nous acceptons le confort et le progrés.
Mais les conditions de l’exploitation et de la vie d’un tel ouvrage et les critères de décisions qui président à ces choix doivent tenir compte des facteurs à risque qui concernent directement ces populations, au même titre que les intérêts des exploitants, qu’ils soient EDF ou autre.
Enfin, n’oublions pas que seuls 20 km de ce bassin versant se situent en France, mais tout comme les nuages radioactifs ne s’arrêtent pas à nos frontières, 70 millions de mètres cube d’eau en furie ne s’arrêteront pas à la Vignole, commune de Latour de Carol, devant la voie ferrée transfrontalière... Qu’on arrête de nous prendre pour des idiots...
7 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON