4 more years...
Ce matin (i.e. le 7 novembre) vers huit heures, Mitt Romney concédait sa défaite. Il entérinait alors le tweet laconique de Barack Obama publié à 5:16 heure de Paris (22:16 à Chicago) : « 4 more years », une légende pour un cliché entre le Président et la First Lady qui entrait immédiatement dans la postérité.
La communication politique de Barack Obama est une mécanique implacable de victoire, une mécanique élevée au rang d'oeuvre d'art. En apparence simple et dépouillée d'artifices, cette prise - cet instantané d'histoire, est chargée de symboles. Le Président tient dans ses bras sa victoire ; il étreint de fait celles et ceux qui l'ont porté vers un second mandat à la Maison Blanche : les femmes et les afro-américains mobilisés comme jamais. On y retrouve en creux l'image de cette Amérique multiculturelle, émancipée et progressiste, cette Amérique "de coté" à qui Obama s'est adressé en priorité, et qu'il entend défendre face à une autre, plus conservatrice et rongée par des peurs séculaires, nonobstant légitimes. C'est de cette lutte fratricide, qui aura peut-être fracturé encore davantage un pays déjà profondément divisé sur de nombreuses questions socio-économiques, religieuses et éthiques, dont l'Amérique d'Obama sera finalement sortie victorieuse, du moins dans les urnes. Jamais il n'aura été question de rassembler les deux visions antagonistes de l'Uncle Sam ; au contraire, les deux camps se sont violemment affrontés, n'hésitant aucunement à exacerber les réflexes mauvais de leurs concitoyens, pour finalement réduire ce moment historique en un choix binaire : le progrès ('Forward') ou le conservatisme républicain ('Believe in America') encore imprégné des deux générations successives de Bush ayant laissé le pays exsangue.
Loin de l'aura qu'il avait su générer en 2008, Barack Obama a rangé l'espoir ('Hope') au vestiaire pour adopter un pragmatisme froid, une intelligence appliquée et une force de conviction dont l'étrange fermeté dénote avec l'image apaisante, moderne et "Lincolnienne" qu'il aura su bâtir. Cet habit nouveau a surpris, déçu même, mais l'on comprend rapidement qu'il sied beaucoup mieux à l'homme ambitieux et déterminé qu'il est en réalité. 'Forward' c'est "aller en avant", mais c'est aussi "transmettre". Le message de sa campagne tient sur ces deux piliers : confirmer l'idée de mutation de la société américaine instillée lors de son accession au pouvoir, construire un patrimoine qui soit plus conforme au tissu social et ethnique en devenir, et transmettre le témoin à la génération d'après, authentiquement multiculturelle. En contre-champ, il semblerait comme une résurgence silencieuse de la guerre d'indépendance des Etats-Unis : les colons britanniques ont laissé la place aux Latinos, aux Afro-américains, aux Femmes, aux Gays, aux 'pro-Choice'... et ils revendiquent désormais une place lisible, claire et forte dans ce pays qu'ils transforment jour après jour.
Obama tient sa victoire, et son Amérique l'enlace en retour. Il y a la confiance dans cette image, celle de cette partie du peuple américain qui l'a élu. Il y a la fidélité d'un homme qui assume et affiche désormais ses origines et son héritage. Il y a le remerciement, de part et d'autre, une manière de victoire imprimée sur le visage du Président, rassurante et joyeuse, et l'on croirait entendre raisonner les mots : « we know in our hearts that for the United States of America, the best is yet to come ». Une image désaturée, en "Noirs" et blanc, puissance intemporelle, qui signe un moment d'histoire, un moment qui fait l'Histoire. Obama dit à ses électeurs qu'en le soutenant, ils ont pris en mains leur destin, que ce ciel blanc est déjà porteur d'éclaircies, et qu'ensemble, les pieds sur terre, le coeur résolu, ils sont prêts à affronter les tempêtes à venir. Barack Obama et son équipe ont choisi d'immortaliser une victoire électorale en plein coeur, malgré une conjoncture terrible ou plutôt, parce que la crise, en dénudant l'Amérique de tous les attendus de sa puissance, tous sauf un : l'humain immigré, les reins populaires du pays sous la robe à 89 USD de Michelle. Pas de drapeaux ni d'hymne, mais un hymen.
Oui, il y a tout cela dans un si simple cliché. Mais ce moment figé sur le papier des bulletins du 6 novembre 2012 est déjà passé. Nous sommes le jour d'après. Et devant Obama, il y a une exigence dont il ne pourra plus se départir, une exigence de réussite pour un pays en faillite, à l'endettement galopant, au chômage historiquement haut et à l'économie dangereusement en panne. Une exigence d'unité et de rassemblement aussi, alors que le communautarisme institutionnalisé montre là-bas, comme ici, ses limites pour une gouvernance sereine, équitable et objective. Une exigence diplomatique enfin, de ne pas ignorer les conflits meurtriers qui secouent le monde oriental, de ne pas snober une Europe outrageusement absente de cette campagne, de savoir communiquer avec l'Asie, avec fermeté mais justesse.
Il n'y a rien de tout cela dans un si simple cliché. Mais la légende en dessous, « 4 more years », rappelle l'urgence, et tout ce qui n'a pas pu ou su être réalisé depuis. Il attend au toujours 44e Président des Etats-Unis un exercice extrêmement compliqué, celui de déconstruire cette figure historique de premier métis à la Maison Blanche pour investir celle d'un gouvernant inspiré. Pour la première fois sans doute, il est devenu hier soir un Président comme un autre, de qui on attend une politique efficace davantage que le symbole. Il n'avait pas su saisir cette chance inouïe qui lui avait été offerte en 2008, celle d'être entré dans l'histoire avant même le début de son mandat, lui ôtant du même coup le réflexe compulsif tenant beaucoup des gouvernants occidentaux depuis les De Gaulle et les Churchill d'avoir à tous prix démagogiques, belliqueux ou idéologiques, à marquer de leur empreinte leur passage parmi les puissants.
Et dans 4 more years, demain, on saura si Obama vaut mieux qu'un cliché historique, s'il vaut sa place dans l'Histoire.
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