ACTA : se protéger des pirates ? Ou soutenir les bio pirates ?
Et si les implications de l’ACTA étaient infiniment plus graves que l’atteinte à la vie privée, à la liberté d’expression et la libre circulation des idées ?
Et si cela concernait également la liberté de se soigner, la liberté d’exploiter les espèces végétales qui poussent sur notre sol, la liberté de se nourrir ?
Assisterions-nous là à la plus formidable opération de piratage par les lobbies et les gouvernements que l’humanité a jamais connue ?
Heureusement, et pour encore quelques semaines, ACTA NON ES FABULA, la pièce n’est pas jouée, mais il faut agir, vite.
L’encre coule à flot depuis que le traité ACTA, l’accord commercial anti contrefaçon a été signé par l’Union Européenne le 26 janvier dernier.
Force est de constater néanmoins que les débats tournent essentiellement autour de la partie traitant de la protection de la propriété littéraire et artistique dans le monde numérique :
Les termes employés dans ce fameux traité sont volontairement flous et pourraient en effet mettre à mal la circulation des créations et des idées, restreignant la liberté d’expression et du droit « de toute personne à prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent » (Article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1)).
• Obliger les fournisseurs d’accès à Internet à surveiller les contenus hébergés sur leurs serveurs, supprimer ou suspendre l’accès à tout contenu « suspect », voire l’accès à Internet en dernier recours (ce qui est illégal dans certains pays), à divulguer l’identité du contrevenant,
• forcer les moteurs de recherche à ignorer ou supprimer les liens renvoyant vers des sites de partage, y compris dans les correspondances privées,
• empêcher la distribution de logiciels libres de lecture multimédia, ou encore :
• autoriser les douaniers à examiner le contenu de nos appareils électroniques lors du passage d’une frontière, leur donnant habilite de détruire les contenus « illicites ».
Il s’agit là sans nul doute d’une atteinte sans précédent au respect de la vie privée et par extension à la liberté d’expression et à la neutralité du net, pourtant plébiscitée par l’Union Européenne elle-même.(2)
L’objectif de ce traité serait de circonvenir les organisations internationales en charge de la propriété industrielle afin que « les efforts internationaux déployés en faveur du respect des droits de propriété intellectuelle…se renforcent mutuellement » (3)
On incrimine le lobbying des industries américaines du film, notamment la Motion Picture Association of America, de la télévision et de la musique qui ont soutenu le vote de ces lois, en oubliant que des sociétés comme l’Oréal, Nike, Pfizer, Ford ou Revlon (parmi quelques 400 multinationales) ont également poussé à la roue, voyant que les SOPA, PIPA, et autres COICA n’ont pu être ratifiées.
Mais la propriété littéraire et artistique n’est qu’une infime partie de la propriété intellectuelle, qui inclue également les créations techniques donnant naissance à des brevets, codes sources de logiciels, bases de données et TPS, les créations commerciales qui donnent naissance à des marques et les créations végétales, donnant naissance à des COV (Certificats d’Obtention Végétale). - les accords de libre-échange avec les États-Unis imposent aux pays partenaires d’adhérer au traité UPOV (L'Union internationale pour la protection des obtentions végétales) qui a entre autres la remarquable particularité de limiter le droit des fermiers à réutiliser leurs graines -.
Mais ce n’est rien comparé à la « brevetabilité du vivant ». On a entendu parler de Monsanto qui entendait breveter un gène favorisant la croissance du porc, gène pourtant présent dans 75% des porcs du monde entier, sans parler de la vente sous licence de semences OGM, ou encore de Lary Proctor, fermier du Colorado, qui, après avoir acheté des haricots jaunes au Mexique a réussi à faire breveter « sa » variété Enola et est en droit d’exiger des royalties entre 10 et 15% sur les exportations de haricots jaunes du Mexique vers les États-Unis, au prétexte que cette variété dont il s’est arrogé la propriété intellectuelle était nouvelle aux USA…
Je vous invite à vous référer à l’excellent texte de Geneviève Azam sur la brevetabilité du vivant (4) ainsi que le documentaire édifiant « Les pirates du vivant » comme Marie Monique Robin sait si bien les faire. (5)
Le dernier point crucial soulevé par l’éventuelle ratification de ce traité concerne les médicaments génériques. L’Inde par exemple fournit à bas prix des médicaments génériques ratifiés par l’Organisation Mondiale de la Santé aux pays en voie de développement, qui n’ont pas les moyens d’acheter les produits originaux. Si ces produits ne sont pas sous licence ni dans le pays de fabrication, ni dans le pays d’utilisation, leur transit pourrait être bloqué, ou à tout le moins infiniment ralenti, par les pays soumis au brevet des substances concernées.
On se demande alors jusqu’où tout ceci peut aller : est-ce que si j’urine dans une rivière je suis en mesure, puisque j’en ai modifié la composition, de faire valoir mes droits à la propriété intellectuelle et demander à tous les utilisateurs en aval de me verser des royalties ? Est-ce que si je suis un gros laboratoire pharmaceutique je peux récolter l’Arbousier en Inde et empêcher les Indous de continuer à l’utiliser dans des recettes millénaires que je me serai appropriées ? Est-ce que je suis certain que ne seront impactés que les pays signataires ? Quelles seront les conséquences sur les autres pays ?
Plusieurs paramètres pourraient aider à apporter une réponse à ces questions : tout d’abord l’opacité totale concernant ce traité, qui est en négociation depuis 2006. Si Wikileaks n’avait pas tiré la sonnette d’alarme en 2008 (6), personne n’aurait eu vent de ACTA. Les diverses demandes de documents ont été refusées (7), en 2008, le député Européen Alexander Alvaro n’a reçu qu’un calendrier des négociations, le gouvernement américain refusa un an plus tard de divulguer le texte à l’association Knowledge Ecology International invoquant la « sécurité nationale », le Canada, forcé de s’exécuter en respect de la loi sur l’accès à l’information fournit, lui, un document vide comportant seulement le titre du traité. C’est finalement Eva Lichtenberg, Eurodéputée, qui forcera la Commission Européenne à diffuser, en avril 2010, une version consolidée du texte du traité.
Ensuite, le silence assourdissant des Main Stream Media Français au sujet des milliers de manifestants européens qui ont envahi les rues ces derniers mois, et samedi dernier en particulier, pour crier leur refus de voir ce traité ratifié par l’Union Européenne. Quelques lignes ici et là, un article dans le Monde ou le Nouvel Observateur, mais le gros de l’information sur les manifestations et leur ampleur se situe sur des webzines, des blogs, des profils Facebook ou sur Twitter. Une partie de la classe politique française s’exprime, parfois avec véhémence et depuis plusieurs années contre ce traité, Marine Le Pen, Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon, quelques autres.
Mais le seul à avoir fait du bruit est peut-être Kader Arif, le rapporteur du texte qui démissionne à la signature du traité et déclare :
« Je tiens à dénoncer de la manière la plus vive l'ensemble du processus qui a conduit à la signature de cet accord : non-association de la société civile, manque de transparence depuis le début des négociations, reports successifs de la signature du texte sans qu'aucune explication ne soit donnée, mise à l'écart des revendications du Parlement Européen pourtant exprimées dans plusieurs résolutions de notre assemblée.
En tant que rapporteur sur ce texte, j'ai également fait face à des manœuvres inédites de la droite de ce Parlement pour imposer un calendrier accéléré visant à faire passer l'accord au plus vite avant que l'opinion publique ne soit alertée, privant de fait le Parlement européen de son droit d'expression et des outils à sa disposition pour porter les revendications légitimes des citoyens.
Pourtant, et chacun le sait, l'accord ACTA pose problème, qu'il s'agisse de son impact sur les libertés civiles, des responsabilités qu'il fait peser sur les fournisseurs d'accès à internet, des conséquences sur la fabrication de médicaments génériques ou du peu de protection qu'il offre à nos indications géographiques.
Cet accord peut avoir des conséquences majeures sur la vie de nos concitoyens, et pourtant tout est fait pour que le Parlement européen n'ait pas voix au chapitre. Ainsi aujourd'hui, en remettant ce rapport dont j'avais la charge, je souhaite envoyer un signal fort et alerter l'opinion publique sur cette situation inacceptable. Je ne participerai pas à cette mascarade. » (8)
Je lui laisserai le mot de la fin.
En savoir plus : www.laquadrature.net
Organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Vous y trouverez tout ce que vous avez besoin de savoir sur ACTA.
Agir :
• le 1er mars 2012, les débats de la commission parlementaire du commerce international seront transmis en direct sur internet. La ratification du traité n’aura lieu qu’au milieu de l’année. (http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/content/20120130STO36537/html/Accord-ACTA-%C2%AB-Tout-ce-qui-%C3%A9tait-autoris%C3%A9-reste-autoris%C3%A9-%C2%BB-Vital-Moreira )
• http://www.laquadrature.net/wiki/Comment_agir_contre_ACTA
Pour info : http://www.wto.org/french/tratop_f/trips_f/intel2_f.htm L'Accord sur les ADPIC, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1995, est, à ce jour, l'accord multilatéral le plus complet en matière de propriété intellectuelle.
Vous pouvez signer la pétition AVAAZ : http://www.avaaz.org/fr/stop_acta_fr/?fp
Pour le plaisir : http://bit.ly/infowar2010 Téléchargez les chroniques de l’Infowar 2010 de Fabrice Epelboin.
Sources et notes :
(1) : http://www.un.org/fr/documents/udhr/
(2) :http://www.laquadrature.net/fr/le-conseil-de-lue-soutient-la-neutralite-du-net-maintenant-une-loi
(3) Extrait du document final en français : http://trade.ec.europa.eu/doclib/html/147938.htm
(4) Geneviève Azam, « Les droits de propriété sur le vivant », Développement durable et territoires Dossier 10 : Biens communs et propriété, mis en ligne le 07 mars 2008, http://developpementdurable.revues.org/5443 (5) Marie Monique Robin : « Les pirates du vivant », « le monde selon Monsanto », « Argentine, le soja de la faim »… http://www.mariemoniquerobin.com/ ou http://www.m2rfilms.com/crbst_6.html) (6) http://wikileaks.org/wiki/ACTA_industry_negotiating_brief_on_Border_Measures_and_Civil_Enforcement_2008
(8) http://www.kader-arif.fr/actualites.php?actualite_id=147
46 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON