Afghanistan : alliances variables et trahisons
Le compromis que le gouvernement pakistanais voudrait passer avec les talibans s’inscrit dans la tradition des clans, essentiellement pachtouns, qui ont rendu ce pays ingérable depuis des décennies.

Les talibans ont joué pleinement le jeu des alliances. Ce qui apparaissait comme une vague militaire indestructible, était en effet un ralliement au plus offrant, des petits chefs au début puis des grands caciques. Les combats, impressionnants parfois, jouaient surtout le rôle de levier pour les alliances. Ainsi, et quoi que l’on dise, le pays n’a pas été militairement conquis, mais plutôt bradé par les chefs tribaux.
Il est incontestable que l’administration des talibans, en mettant fin aux guéguerres des caciques a été un soulagement pour la population. Cependant, le fait religieux, surtout chez les pachtouns, n’était pas l’essentiel. Ils n’étaient pas moins fondamentalistes, et leurs traditions féodales n’avaient rien de différent. Ce ‘est pas le cas pour les hazâras, et les ouzbeks (Dostom, le maître de Mazâr-E Sharif était un colonel affairiste adorant l’alcool). Chez eux, les talibans sont entrés par négociation ou renversement d’alliances. Par contre, les tadjiks de Massoud étaient tout aussi « croyants ».
L’opium non plus, n’était pas l’issue. A l’époque, la talibans jouant les Nations Unies contre les Etats Unis, avaient quasiment éradiqué l’opium, tandis que les tadjiks, faute d’un financement extérieur, avaient multiplié les cultures, participant -avec Dostom- à l’ouverture du grand marché de l’Asie centrale et à l’émergence d’une nouvelle route de l’héroïne vers la Russie et l’Europe.
Aujourd’hui, les choses se sont renversées : les talibans, pour se créer une nouvelle assise et un bouclier, défendent les cultures en opposant les paysans et les chefs tribaux aux occidentaux et au pouvoir central. Rien de nouveau sous le ciel afghan.
Le gouvernement central et les occidentaux, ne gèrent pas aujourd’hui différemment ce pays : ils passent des accords et des alliances, avec des chefs tribaux qui ne sont en rien différents des talibans. Et qui en sus, sont des producteurs d’opium. Les empêcher de le faire c’est les jeter aux bras des « étudiants en théologie ». Les laisser faire, c’est aiguiser des nouvelles guerres de territoire, des nouvelles trahisons, des nouveaux renversements d’alliances et se mettre à porte à faux avec une des raisons essentielles de l’intervention de l’alliance. La boucle est bouclée.
Les talibans n’ont jamais perdu la guerre. Ils ont changé de chapeau, et se sont dispersés, se réfugiant, le temps de l’intervention, du côté des territoires autonomes pakistanais. Terre pachtoun elle aussi, tout aussi fondamentaliste. En traversant une frontière poreuse et essentiellement symbolique ils ont trouvé, pendant des années, la tranquillité, et ont confirmé les caciques et les chefs religieux locaux. Aujourd’hui, ils négocient leur non-intervention en échange de la mise en place de la charia. Et le gouvernement pakistanais « négocie », guerroie, essaie d’acheter certains, trahit d’autres.
Ainsi, l’espace opérationnel « afghan » s’est élargi, mais aussi les enjeux diplomatiques. Une fois encore, le Pakistan, terre de naissance des talibans par le bon vouloir de ses services secrets, se situe, en même temps, à l’intérieur et à l’extérieur du conflit. Une fois encore, il demande l’aide sonnante et trébuchante des Etats-Unis, déclarant forfait. Une fois encore, l’arme atomique, financée à l’époque par le trafic de l’héroïne contrôlée par les services secrets devient un enjeu de taille. Une fois de plus, les territoires de non droit et échappant au contrôle de l’Etat, font pourtant partie d’un Etat « allié dans la lutte contre le terrorisme", intouchable, sauf de temps en temps par le tir de quelques missiles, qui soulèvent les protestations d’Islamabad et « l’indignation du peuple pakistanais » qui ne font que renforcer les talibans… De qui se moque-t-on ?
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