Afrique Noire : le grand bond en avant ?
Une importante visite n’est pas sans conséquence, enfin c’est ce qui se dit. Barack Obama se rend au Sénégal, en Tanzanie et en Afrique du Sud à la fin du mois de juin[1]. C’est donc assurément qu’il s’y passe plein de choses. L’occasion est belle de sortir les marrons du poêle et de faire des reportages pleins d’enthousiasmes. Les médias bien sûr se sentent concernés[2]. Le continent africain est donc un marronnier, un de plus, moins récurrent certes que celui de l’immobilier. Restons sérieux tout de même.
Et comme toujours, ces mêmes journalistes, politiques et experts, s’extasient devant le continent noir : « Voyez la croissance, voyez les téléphones portables, voyez comme les jeunes s’intéressent aux nouvelles technologies, quelle modernité ! »
Ironiquement tous ceux qui tiennent ces discours émerveillés semblent sincèrement intéressés par le sujet qu’ils traitent. Peut-être que je manque d’ouverture d’esprit, c’est fort possible, mais je ne vois dans ces commentaires-là que de jolies fables. Non pas qu’ils décrivent n’importe quoi. Car ces « analystes », appelons-les ainsi par commodité et pour leur donner du galon, ne se contentent pas seulement de lire des rapports, sans aucun doute pertinents, il se rendent parfois sur place. Il n’y a donc aucune raison de mettre en doute ce qu’ils constatent. Et puis il y a les chiffres. Les beaux chiffres de l’ONU, de l’OMC, des ONG, des... Donc rien à dire.
Sauf que…
Sauf qu’il est évidemment possible de faire dire tout et son contraire aux chiffres, quand bien même ils reflètent une quelconque réalité. Et sauf que ce que ces « analystes » décrivent semble l’être depuis leurs chambres d’hôtel ou leurs 4X4. Du sous-BHL[3] en quelque sorte. Revenons sur leurs émerveillements :
Les téléphones portables. Quelle appétence ou désir de modernité là-dedans ?
Les africains étant des gens comme n’importe qui (n’ayez pas de doutes à ce sujet) et qui ne vivent plus dans l’obscurité de la brousse, pour quelle raison l’adoption de ces téléphones portables signifierait quoique ce soit de merveilleux ? D’ailleurs essayer de faire installer une ligne de téléphone fixe à votre domicile si vous habitez dans un pays d’Afrique sub-saharienne, c’est quasi impossible. A moins de disposer de moyens conséquents évidemment. Le téléphone portable, si il est accessible financièrement, est évidemment une bonne alternative. Et il est aussi pratique, ne serait-ce que pour la raison évoquée du téléphone fixe, qu’il l’est à Paris. Etonnant, non ? Alors prétendre qu’il représente un signe de décollage économique, culturel, éducatif, social, ou je ne sais quoi, me semble absurde, et pas loin du cliché.
Les nouvelles technologies. Deux remarques.
Les nouvelles technologies en Afrique se limitent souvent aux cyber-cafés. Et très souvent uniquement dans les villes importantes. A cela il faut ajouter des incessants délestages (coupures électriques)[4] et des débits internet plus que poussifs, qui limitent les recherches et lectures poussées, à de simples mail ou notes sur Facebook. Du SMS amélioré en quelque sorte. Bien entendu je parle-là du particulier dans sa vie privée, et je veux bien admettre qu’il en va sans doute différemment pour certains employés de bureau. Et encore, rien de certain. Mais de qui et de quoi parlons-nous alors ?
L’autre remarque revient à ce que j’ai écrit au sujet des téléphones portables. Pour quelle raison l’attrait des africains pour la nouveauté, même dégradée comme je viens de la décrire, signifierait quoique ce soit ? Lorsque l’enfant français s’intéresse à l’informatique (que ce soit aux jeux en ligne ou pas) avant même qu’il ne montre le même intérêt pour l’éducation, se permet-on d’y voir un quelconque progrès économique, culturel, social ou éducatif ?
Enfin la dernière tarte à la crème : la croissance.
Où est-elle cette croissance ? Qui en profite ? et je ne pense pas là seulement du peuple par rapport aux élites. Je pense au pays simplement. Que des investisseurs étrangers se battent sur le terrain africain, c’est évident. Les taux de profits qu’ils y font sont souvent supérieurs à ceux qu’ils peuvent espérer faire dans leur propres pays. C’est vrai au moins pour la France : il n’est qu’à voir les rendements des entreprises comme Bolloré, Bouygues ou Total en Afrique sub-saharienne, pour comprendre de quoi il est question. Quant au grand investisseur actuel en terre africaine, la Chine : Est-elle là également parce que la croissance du continent l’attire ? Je ne suis pas convaincu de cela et le bel enthousiasme des commentateurs me laisse sceptique. Par contre je sais qu’elle y est présente, comme elle l’est partout dans le monde, notamment parce qu’elle n’a plus assez de place pour tous ses ressortissants à l’intérieur de ses frontières[5]. Et certainement parce qu’elle aussi profite d’un rapport de force[6] qui lui permet des profits intéressants. Pour le reste ?
Que ces « analystes » gagnent leur pain quotidien, voire leurs séjours africains, en racontant de telles inepties, rien de bien original bien sûr, ni déplorable en tant que tel. Malheureusement ces discours deviennent la référence et le discours général. La conséquence est que chacun continue ses petites combines, ses gros profits, du moment qu’il est évident pour tout le monde que c’est pour participer et aider à la croissance de l’Afrique…. Le coltan, le pétrole, l’uranium, les surplus alimentaires européens, les déchets européens, les soutiens à des dictatures fantoches, les armes légères, etc., etc. : Tout cela est évidemment pour le développement du continent africain.
La France coloniale ne voyait dans l’africain qu’un éternel enfant. J’ai l’impression, en écoutant ces « analystes » s’émerveiller devant l’attrait des africains face aux téléphones portables, que rien n’a vraiment changé. Evidemment leurs discours ne disent pas que cela, ni si explicitement. Et leur enthousiasme n’est pas que crétin. Car je pense aussi et même j’espère que le développement de l’Afrique se fera. Mais la raison sera peut-être plus prosaïque que tous ces beaux discours sur des soi-disant développements technologiques et sociaux : Elle sera bientôt le continent le plus peuplé, le plus jeune, et elle finira tôt ou tard par bousculer ses élites conservatrices et autocratiques. Oublions pour une fois l’apport venu de l’Occident (voire de la Chine). A chaque fois qu’une telle promesse lui a été faite, c’est tout le contraire qui s’est passé : manque de chance sans doute.
Le 23/06/13, SylvainD.
[1] http://www.rfi.fr/afrique/20130521-barack-obama-afrique-sud-voyage-historique-senegal-tanzanie-etats-unis
[2] http://www.franceculture.fr/emission-le-magazine-de-la-redaction-afrique-noire-le-grand-bond-en-avant-2013-06-21
[3] BHL : Bernard Henri Lévi, intellectuel des salons parisiens et « globe-trotter » 3 étoiles, ridiculement médiatique. Entre autres exemples : http://blog.mondediplo.net/2012-06-05-Attali-et-BHL-s-en-vont-en-guerre,
[5] “D’après un spécialiste officiel de l’environnement chinois : « Nous avons 600 rivières en Chine, 400 sont définitivement polluées. On ne s’en tirera pas sans envoyer 300 millions de personnes en Afrique”. Propos rapportés par François Hautier, Le Figaro, 7 août 2007.
[6] Rapport de force défavorable, souvent créé par les élites du pays sans beaucoup de fierté, qui accumulent ainsi des gains rapides.
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