Aide au développement ! Comment changer ?
Cet article revisite l’aide au développement, principalement en ce qui concerne l’Afrique.
Quelles solidarités, quelles coopérations pour quel développement ?
L’aide au développement continue à préoccuper non seulement les pays concernés mais également le « simple » citoyen qui s’interroge sur le futur de ce monde. Je me propose de faire partager ces quelques réflexions issues de mon expérience dans les pays en voie de développement de plus de 20 ans à appuyer la mise en place de collectivités locales en Côte d’Ivoire, en Guinée Conakry et au Niger.
Je ferai deux constats et je proposerai trois pistes d’action.
Premier constat : les besoins financiers en faveur du développement sont considérables. Cela paraît être presque une banalité mais l’aide au développement ne se fait qu’au compte-gouttes alors que les besoins sont considérables pour que les choses changent significativement dans la vie quotidienne des populations. Quand tout va bien, c’est-à-dire quand le pays n’est pas sous redressement financier renforcé, voire en rupture de ban avec la communauté financière internationale pour cause de déficit démocratique, on met en place des programmes de financement, urbain par exemple, de 20 ou 30 millions d’euros dans le cadre de programmes de financement de l’ordre de 300 à 400 millions d’euros sur cinq ans, alors qu’il en faudrait dix fois plus pour que les choses commencent à bouger réellement. La présence des Etats-Unis en Irak, c’est 720 millions de dollars US par jour soit plus de 500 millions d’euros. Le rapprochement de ces données, sachant que comparaison n’est pas raison, n’a d’autre but que de montrer que lorsque le monde occidental le veut, il peut dépenser en une seule journée ce qu’il donne, et encore avec des conditionnalités énormes, ce qu’il donne à un pays entier sur 5 ans ! Mais finalement pourquoi donner ? D’autres l’ont dit : « La Corrèze avant le Zambèze ! » La réponse est simple : il faut donner parce que le monde ne peut s’accommoder d’un tel écart entre les pays riches et les autres. C’est d’abord une question d’équité. Cet écart est illustré avec la consommation d’énergie : elle est de 4,5 tonnes équivalent pétrole-tep dans un pays comme la France alors qu’elle n’est que de 0,3 tep dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Tous les autres chiffres connaissent des écarts du même ordre. Il serait vain de pratiquer toutes les politiques anti-immigration en Europe tant qu’il y aura un tel écart entre les pays riches et les autres. De fait, aider les pays en voie de développement c’est d’abord s’aider soi-même à vivre demain un monde plus sûr, un monde meilleur et un monde où les échanges économiques seront plus féconds et renouvelés. Comment trouver de tels volumes financiers supplémentaires : pourquoi ne pas emprunter ? Dès lors que l’on sait que l’on va consacrer une certaine somme chaque année pour l’aide au développement, il est possible pour une collectivité concernée d’un pays riche (Etat, commune, conseil général ou régional) de recourir à l’emprunt pour augmenter substantiellement les montants de son aide et faire ainsi des opérations significatives, quitte ensuite à ne rembourser que sa dette au titre de l’aide au développement. Gordon Brown, lorsqu’il était aux finances dans le gouvernement de Tony Blair avait déjà fait ce type de proposition. Peut-être voudra-t-il lui donner un contenu concret maintenant qu’il est Premier ministre de Grande Bretagne ?
Deuxième constat : il faut trouver un modèle de développement économique pour les pays en voie de développement dans ce nouveau contexte de mondialisation. Il n’existe plus aujourd’hui de schéma de développement économique pour les pays en voie de développement. Ce constat est grave et a de nombreuses conséquences. L’aide au développement avec des montants beaucoup plus conséquents qui seraient nécessaires comme cela est rappelé plus haut n’a de sens que si on sait comment on va entretenir et augmenter par la suite le stock de capital dont on dispose, les investissements qui auront été faits. Or actuellement, personne ne peut dire comment susciter et alimenter un développement économique durable dans un pays en voie de développement. Même si on ne l’a jamais bien su (sinon, il y a longtemps que tous les pays seraient développés...), on peut dire que dans les années 60 on se raccrochait à la théorie du développement par « import-substitution » : le but était de mettre en place des industries manufacturières pour produire sur place ce que le pays avait l’habitude d’importer. Des politiques complexes, de type keynésien le plus souvent (c’est-à-dire incluant une forte participation de l’Etat), alliant des aides à la mise en place d’industries et une politique monétaire visant à rendre plus chères les importations étaient mises en place. Un pays comme la Tunisie a assez bien mis en œuvre une telle politique avec un succès certain. Aujourd’hui, avec la mondialisation, il est plus simple et moins coûteux d’acheter des produits chinois que de produire le moindre boulon. Cette théorie d’import-substitution n’est donc plus du tout applicable. Elle l’est d’autant moins dans des pays où les marchés sont étroits et où la monnaie est forte, comme le franc CFA arrimé à l’euro. Il n’y a pas d’autre modèle et des pays connus pour savoir attirer des investissements grâce à une main d’œuvre qualifiée et peu coûteuse comme Maurice par exemple marquent le pas dans leur développement.
Il faut donc inventer un nouveau modèle de développement économique qui soit fiable et reproductible comme a pu l’être, avec des adaptations bien sûr, le précédent modèle. Parmi les pistes à creuser, celles-ci. La première : partant du principe que les biens manufacturés qui peuvent voyager facilement par containers seront de toute façon plus avantageux à importer qu’à fabriquer sur place dans les pays en voie de développement, la seule production manufacturée pouvant être produite localement avec un avantage comparatif ne peut être basée que sur la transformation de produits pondéreux produits sur place tels que la transformation de produits agricoles ou le bois, sans oublier les produits miniers. En d’autres termes, par exemple, plus une seule grume de bois ne devrait quitter un pays africain sans y avoir été transformée en produit fini. Pour cela, il faut que les pays en voie de développement puissent disposer des infrastructures nécessaires à de telles transformations de produits et d’abord d’une électricité produite en quantité suffisante, ce qui est rarement le cas actuellement, et à un prix abordable.
C’est là qu’intervient la seconde piste de réflexion. Il s’agit d’avancer sur le concept de « relocalisation de la production énergétique ». Ainsi, au lieu d’importer du pétrole de plus en plus rare et cher, on replante des arbres à pousse rapide (5 ans en moyenne) et l’on exploite rationnellement ces nouvelles plantations d’arbres pour produire de l’électricité avec des turbines à vapeur au lieu d’utiliser des combustibles fossiles. On gagne ainsi sur tous les plans : pendant que les arbres poussent ils produisent de l’oxygène qui fait du bien à la couche d’ozone et la vente des arbres fait vivre des paysans du pays au lieu de profiter aux compagnies pétrolières et aux Emirats du Golfe persique (notamment).
Quant aux trois pistes d’actions, ce sont les suivantes :
Première piste d’action : remettre la technique au cœur du développement. En voulant suivre les pays développés, les pays en voie de développement se passionnent pour les métiers du tertiaire négligeant totalement les aspects techniques des problèmes auxquels ils sont confrontés. Or pour distribuer de l’eau, il faut de bons plombiers. Idem pour l’électricité, pour les routes, etc. Il faut des techniques appropriées et il faut qu’une recherche spécifique se mette en place. Il n’en est rien et on utilise exactement les mêmes concepts et les mêmes techniques dans les pays en développement que dans les autres. Comment est-il possible ensuite de produire un bien (eau ou électricité) qui soit à un prix adapté aux bourses des gens des pays en voie de développement alors qu’on utilise exactement les mêmes techniques que dans les pays riches ? C’est tout simplement impossible ! Il faut donc revisiter les techniques et il faut que les pays d’Afrique subsaharienne disposent de spécialistes en énergie solaire, en énergie éolienne ou en biogaz. Or il n’y en a pas ou très peu et il faut des techniciens pour faire évoluer positivement les choses au niveau des populations.
Seconde piste : la démocratie doit être conçue comme un espace de liberté. On a eu trop tendance à penser que la démocratie se résume à des élections libres et transparentes. C’est déjà excellent et c’est un premier pas quand elles le sont et ce n’est pas si fréquent, hélas. La démocratie, c’est aussi la liberté d’entreprendre et voir son bien à l’abri de l’arbitraire et de la prédation, c’est aussi oser penser différemment des autres, c’est aussi oser s’habiller différemment des autres et on peut multiplier les exemples de libertés qui sont peu ou mal respectées dans les pays en voie de développement. Les migrations sont aussi poussées par ce manque de libertés à l’échelon individuel, en plus de l’être par la faim. Cette démocratie passe bien sûr par l’échelon national mais aussi par l’échelon local, par des institutions décentralisées responsables et démocratiquement élues : le maire d’une commune doit être le garant à l’échelon local du respect de cette liberté individuelle pas seulement dans les secteurs qui focalisent l’attention des médias internationaux mais aussi des autres, celles moins visibles mais tout aussi importantes.
Troisième piste : le concept de solidarité doit être revisité. Trop souvent on arrête le concept de solidarité en cherchant à ce qu’il soit décliné des pays riches vers les autres. C’est un peu simple tout en étant fondamental comme je l’ai rappelé à travers le premier constat de cette réflexion. Mais la solidarité doit aussi se décliner au sein des pays en voie de développement, notamment par le paiement régulier des impôts par les classes les plus aisées en laissant à l’Etat le soin de jouer son rôle de redistribution des richesses. Il faut que l’on sente l’engagement citoyen des personnes les plus riches dans les pays en voie de développement en faveur des plus déshérités par l’existence de fondations et d’autres instruments de solidarité. Elle peut se décliner de pays en développement à pays en développement et il faut que d’éventuelles susceptibilités à caractère national soient laissées de côté. La solidarité doit intégrer deux autres dimensions : une dans l’espace, l’autre dans le temps.
Dans l’espace : le développement ne doit pas profiter qu’aux régions les plus faciles d’accès et là où les apports extérieurs ont le plus de chances de bien marcher et de produire des « success stories ». Les régions les plus reculées et les moins développées d’un pays doivent être concernées aussi dans le cadre d’un aménagement du territoire bien compris, sans que cela ne soulève des débats à caractère ethniques dans les pays concernés.
Dans le temps : la solidarité, c’est d’abord une aide qui doit s’inscrire dans le temps de manière progressive mais ferme et déterminée. On peut faire patienter les populations si on inscrit son action dans la durée et si on tient ses promesses. Certes, cette réflexion n’est pas de nature à révolutionner l’efficacité de l’aide au développement mais elle est de nature à lui faire prendre un nouveau chemin et pourquoi pas, à lui donner un nouveau souffle.
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