Amérique, faux rêves et vraies réalités
Les élections ont été un test grandeur nature pour le Président Barack Obama le mardi 2 novembre. Référendum vérité de moindre risques mais qui pourrait rendre la vie plus difficile à la Maison Blanche. Il était prévu que des millions d’Américains ne se déplaceraient même pas pour aller voter. Une période d’euphorie, il y a deux ans. Élections de la colère, hier.
Avant les élections de 2008, j’avais écrit "L’Amérique, présidences pragmatiques". Je voulais trouver quelques caractéristiques de l’Américain type, sous les directions successives de ses présidents. Ce "proud to be american" qui s’affichait, le distinguait de l’Européen type, plus attaché à son pays, à sa région, voir à son environnement immédiat. Dichotomie politique affirmée de l’Américain qui soit républicain, soit démocrate, s’aligne après les élections derrière son président. Je terminais l’article par un souhait que le nouveau président qui allait être élu, puisse "mettre de l’huile" après les deux mandats de Bush.
Dans cette période aux crises multiples, pour Barack Obama, l’huile a été de la partie, tiède, chaude et, parfois, brûlante.
Les élections à mi-mandat ont démontré que la vague républicaine est passée plus forte que prévue par les sondages.
Dans son discours du 3 novembre, Obama reconnaissait sa responsabilité dans la raclée qu’il avait subit : "Les gens sont profondément frustrés par le rythme de la reprise économique. Des progrès mais insuffisants".
La résurgence de la mouvance citoyenne populiste, le "Tea-Party" avait influencé les résultats du vote. Ses principes, avec les fondateurs de la nation, Benjamin Frankin, Samuel Adams et George Washington comme porte-drapeau : la coopération libre et volontaires entre les individus, prôner la disparition des pouvoirs étatiques avec la fondation "Americans for Prosperity" et les Hedges Funds de "Freedom Works" de Steve Forbes. Ce sont de puissants hommes d’affaires avec leurs alliés conservateurs, tel que Sharron Angle, Dick Armey, Charles et David Koch, qui finançaient la campagne des anti-Obama. Sous des tenues d’époque victorienne, le mouvement Tea-Party s’érigeait contre les déficits abyssaux, contre l’augmentation des impôts et contre l’omnipotence du gouvernement fédéral.
Le Tea Party a joué sur le velours en rappelant, avec insistance, le crash de 1929. Angoisse identitaire de la part de la communauté blanche qui se retrouvait en plein Maccarthisme et derrière les discours de Barry Goldwater. Personne n’y voyait la réapparition du K.K.K. pourtant.
La "Dream team" d’Obama du départ n’était déjà plus en place. Des "Trois mousquetaires", Larry Summer, Christine Romer, Timothy Geitner est le seul rescapé.
« Barack Obama doit apprendre à gérer ses rapports avec les humains. Il doit accepter de faire escale sur Terre en redescendant de la stratosphère », blaguait Washington. La nation entière aurait eu peut-être avantage à le faire pour entrer dans un monde plus humain du 21ème siècle.
"I want to work". Le vert pour l’environnement passe désormais au second plan.
Dans le même temps, la Chine, d’"usine du monde" était devenue le "tire fesse" de l’économie mondiale et narguait les États-Unis. La nouveauté, il fallait reconsidérer les autres d’égal à égal.
Dans sa politique extérieure, Obama avait redoré le blason des États-Unis pour donner l’illusion d’une nouvelle Amérique.
La phase "un" des slogans, est désormais derrière lui. Place à la deuxième et elle sera très différente.
La cohabitation à la Maison Blanche est désormais au programme. Les Républicains devront trouver des alternatives crédibles et entreront dans la responsabilisation. La limite du pouvoir d’Obama pourrait se retrouver plus en politique intérieure qu’en extérieure. Réduire les troupes d’Afghanistan, forcer la paix entre Palestiniens et Israéliens, calmer le jeu avec l’Iran et le petit nouveau coréen.
The show must go on...
Pragmatisme américain oblige. Ok. Aux déficits, les moyens de traverses pour y répondre. Dévaluer le dollar, pour remettre les exportations sur les rails. Au diable, l’inflation si c’est pour une "dévaluation compétitive". La planche à billet a repris sa vitesse de croisière. On n’aime décidément pas l’austérité "à l’européenne".
Dans une carte blanche, il disait ""L’Europe et l’Amérique, côte à côte". C’est vrai, mais il a de nouvelles priorités. Sa visite au Sommet de l’OTAN a été le lot de consolation pour les Européens, car l’Asie attire, cette fois, comme l’aimant, bien plus que l’Europe.
Bien plus importantes, les visites en Inde, en l’Indonésie, en passant par la Séoul pour le G20 et au Japon, confirmaient le changement d’orientations privilégiées par la nouvelle Amérique. Cela rappellerait presque l’idée de la "vieille Europe" que Donald Rumsfeld avait lancé dans la période Bush, qu’on ne s’y tromperait qu’à moitié.
Les mémoires de G.W.Bush, "Instants décisifs", on apprend même qu’il aurait été contre la guerre en Irak. Surprenant pour un Européen de lire cela. Bush en avait remis une grosse couche de méfiances, au sujet de l’"American way of life".
Qu’adviendrait-il à la chanson de Joé Dassin "L’Amérique" (1970), si elle sortait aujourd’hui, sinon, un bide magistral. L’impérialisme américain fait toujours peur et dégoût, même si à certains moments, il fait fantasmer.
A Bruxelles, une exposition l’"Amérique, c’est aussi notre histoire", est en cours. Arriverait-elle à changer cette vision ? L’idée, rappeler que les Américains sont les dignes successeurs ou les dérivés de notre "vieille Europe". Quand on se rappelle que la culture américaine a toujours placé un pied sur tout ce qu’elle approche, dans le réel ou le virtuel, par l’intermédiaire de marques comme Coca-Cola, par celle des films d’Holywwod, par sa prédominance de présences sur Internet, par son contrôle de ses clés d’accès, il y avait de la gageure dans l’air.
"Je t’aime, moi non plus"... Voilà, sans doute, ce qui résumerait ces trois siècles de relations entre les États-Unis et l’Europe. "Une histoire passionnée mais jamais neutre", comme le disait sa publicité de l’exposition.
Sa vidéo descriptive montre les étapes et le but de son éminence grise, Elie Barnavi. Cette personnalité charismatique juive explique, aussi, le lien sacré historique des Américains avec Israël et la volonté de créer cette exposition. Quelques voix perdues par Obama pourraient aussi provenir du fait qu’Obama contredisait un peu trop Netanyahu lors de sa visite aux Etats-Unis.
Cette exposition avec ses fresques graphiques, productions audiovisuelles, témoignages, dispositifs interactifs, objets et œuvres d’art jalonnent en trois parties le parcours du visiteur, n’y changera rien à la politique même avec l’aide du découpage du temps et de l’histoire. Mais revoyons cela, (en photos ici).
Première étape (de 1620 à 1783), l’Amérique européenne avec les premiers Européens qui arrivent avec la Mayflower et s’installent dans ce "nouveau monde". Aventure impériale qui tourne plutôt bien au départ en continuant le commerce avec la mère patrie européenne. Son indépendance se construit, alors, contre les puissances européennes, mais en s’inspirant des mouvements philosophiques européens. Une guerre de sept ans dès 1756 qui se termine par le Traité de Paris. A Boston, en 1773, la révolte du Tea Party contre la domination anglaise éclate. "No taxation without representation". Ce sera la bataille de Bunkers’Hill en 1775 suivie, le 4 juillet 1776, par la signature d’indépendance des 13 colonies. Indépendance, qu’il faudra consolider en 1783, à la bataille de Saratoga.
Deuxième étape (de 1783 à 1917), l’Amérique américaine. Le peuple français offre la Statue de la Liberté en 1886. Le Far West est l’eldorado qu’il faut gagner sur les Indiens. Effroyable guerre de Sécession qui ouvrira une autre ère de prospérité. L’Amérique se détache petit à petit de l’Europe à travers sa propre culture, sa science, sa technologie, son idéologie libertaire fixée dans ses amendements. Isolationnisme décrété en 1823 par le Président James Monroe. Diplomatie et révolutions sud-américaines qui liquide l’empire espagnol mais abstentionnisme volontaire dans les affaires européennes. En 1831, Alexis de Tocqueville dans son livre "De la démocratie en Amérique", fait comprendre que l’avenir de l’Europe, ce serait aux États-Unis. L’immigration des Européens commence. Anton Dvorac décrit cet épisode en musique en reflétant l’enthousiasme et la tourmente par sa 9ème symphonie.
Troisième étape (de 1917 à 1989), l’Europe américaine avec ses propres ambiguïtés et incertitudes. Par deux fois, les Américains volèrent au secours d’une Europe déchirée, meurtrie après une longue période d’absentéisme dans chaque cas. Les Américains s’incrustent économiquement et politiquement après la 2ème guerre mondiale. Fascinée par les GI’s et Hollywood, l’Europe s’américanise tout en contestant la suprématie de cet « l’Oncle Sam ». Le jeudi noir du 24 octobre 1929 commence la Grande Dépression qui se propage en Europe. Nouvelle séparation d’optique. Aux États-Unis se sera le New Deal préché par F.D.Roosevelt. En Europe, ce sera la faillite de la démocratie et une alternative totalitaire, rouge, noire ou brune. D’un bloc, Américains et Européens font front à l’URSS dans une guerre froide. La chute du Mur de Berlin mettra fin à celle-ci et à l’URSS dans la foulée.
Quatrième étape (de 1989 à 2010), l’Europe et l’Amérique ont des destins parallèles, mais s’embourbent dans les mêmes crises de bulle en bulle avec une certaine peine pour définir leur relation. Le 11/9/2001, l’Amérique découvre ses faiblesses. Le Monde écrit alors, "Nous sommes tous des Américains" en solidarité avec les victimes. La guerre en Irak va ruiner cette union solidaire. Obama redonnera un nouvel espoir dont on connait les suites.
Le but avoué de l’exposition, c’était de rompre le silence historique et montrer le socle commun de civilisation des deux côtés de l’Atlantique. Le silence est rompu, mais je ne suis pas sûr qu’elle aura changé les mentalités pour autant. Limiter les idées et l’idéologie américaine à l’histoire, tout comme mettre tous les Américains dans le même panier, serait rater une partie de réalités du terrain.
San Francisco, que j’ai visité, est ce qu’on peut appeler la ville la plus européenne, tandis que New-York, la plus représentative au niveau mondialiste.
On a souvent lu que la dernière crise était arrivée par les États-Unis et qu’elle devait repartir par la même voie. C’est peu dire que cette relation dominante-dominée n’est pas prête de crever tous les abcès.
Le livre et le film "Stratégie du Choc" (1,2,3,4,5) de Naomi Klein ont dénoncé les tendances idéologiques américaines. Mickael Moore a été un des détracteurs de Bush. Obama aura les siens.
Dom DeLillo, souvent considéré souvent comme un écrivain prophétique américain, osait écrire "L’Amérique est un cauchemar". Les rêves d’immigrants se sont transformés en cauchemars de survie dans un monde fou et de plus en plus dangereux. Pour lui, c’est le début de la fin de l’empire américain dans une chute inéluctable, enfoncée par des peurs virtuelles et réelles, maintenue en vie par des religions qui masquent les intérêts et les affrontements. Alors, au milieu, Obama, même reconnu comme le meilleur orateur restera un "story teller". Le prix Nobel de la Paix qu’Obama aura alors été le couronnement d’un espoir plutôt que de réalisations effectives.
WikiLeaks vient de dévoiler une nouvelle salve de documents et cables secrets sur la diplomatie américaine après celles autour de la guerre en Irak. "Un agent trouble" titrait un journal. Contre-pouvoir, divulgations anonymes de vérités qui dérangent, théorie du complot ou marionnettes de la CIA ou encore d’autres ? Qui finance et d’où viennent ces sources ? De toutes manières, cela n’arrangera pas les relations entre Europe et USA.
Libertaire ou liberticide, un Américain ?
Cela dépend de la conjoncture, du regard vers l’intérieur ou vers l’extérieur que les States y trouveront dans leur propre futur.
Les dérégulations et les privatisations sont restés les fers de lance de l’idéologie capitaliste prêchée par les États-Unis ultra-libertaire. Milton Friedman a été un bon représentant des Américains. Contesté, il a reçu le Nobel de l’Economie. Il a été suivi plus qu’il n’aurait pu penser l’être. Ses émules se sont succédés selon des contextes et des étiquettes différents, quitte à faire décoller celles-ci de leurs devantures.
Une histoire en commun faite d’incompréhensions mutuelles, de compromis ou de désaccords, partagée entre des polémiques constructives et destructives pour les relations.
Ce n’est pas le seul Obama, après un mi-mandat qui changera, avec les meilleurs volontés du monde, une idéologie capitaliste, conservatrice, vieille de trois siècles.
"On se trouve différent des deux côtés de l’Atlantique.
L’Europe, "sortie de religion", attachée au rôle de l’État et soucieux d’un ordre mondial fondé sur la loi internationale et la diplomatie multilatérale. Jugée sans Dieu, craintive, pacifiste, esclave de l’Etat-Providence.
Les États-Unis, pieux, individualistes, partisans de la libre entreprise, méfiant à l’égard de l’État et n’hésitant pas à projeter à l’extérieur une puissance "unilatérale". Accusés de mélanger le sacré et le profane et de ne penser qu’à en découdre, qui passe des condamnés à mort sur la chaise électrique et laissent mourir les gens faute d’assurance maladie. La caricature se porte bien.".
Pour Obama, ce n’est plus le "Yes, we can", mais "Yes, we could and we would do it".
Quant aux Européens, y trouveront-ils les retours sur investissements ?
C’est une autre histoire que l’on verra en temps opportuns.
L’enfoiré,
Citations :
- "Chacun a son Amérique à soi, et puis des morceaux d’une Amérique imaginaire qu’on croit être là mais qu’on ne voit pas.", Andy Warhol
- "Il n’y a pas de chute de l’Amérique pour la simple raison que l’Amérique n’a jamais été innocente. Il est impossible de perdre ce qu’on n’a jamais possédé.", James Ellroy
- "Bien entendu, l’Amérique avait été découverte avant Colomb, mais le secret avait été bien gardé.", Oscar Wilde
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