Après le Brexit : et si on parlait vrai de la Russie de Vladimir Poutine
Vue de France la Russie a souvent été fantasmée. Déjà à la fin du 19ème siècle l' "ogre russe" était présenté par notre presse dans ses tentatives expansionnistes dans son propre périmètre territorial (mon étude "La Russie tsariste à travers la presse française").
Il y a quelques jours, ce sont les hooligans russes qui retiennent seuls l'attention et sont accusés de tous les maux par les autorités françaises complètement dépassées en matière de maintien de l'ordre républicain. Daniel Cohn-Bendit éructe sur un Poutine qui connaitrait bien les casseurs mais qui ne voudrait pas les dénoncer. Il propose même du haut de sa tribune footballistique !! de priver la Russie de compétitions internationales sur son sol.
L'information sur la Russie véhicule toutes sortes d'approximations, loin des réalités et il faut régulièrement faire un point sérieux, argumenté, factuel, de la situation de ce pays, en tenant compte des analyses des spécialistes de terrain.
La Russie et son économie
La nouvelle Russie est revenue de loin : le legs soviétique a été très lourd avec une ouverture minimale sur l'extérieur et un retard technologique conséquent, pendant des décennies. La thérapie de choc de la Perestroïka, l'ouverture de l'économie à la concurrence, des stimulations à la modernisation, la fin de la planification, ont accentué le délitement général avec une baisse de la production manufacturière. Heureusement les matières premières étaient un atout non négligeable et le secteur énergétique repris en mains a permis un redémarrage modeste. Ont suivi cependant la fuite de capitaux, des capitaux productifs absents au rendez-vous, des capitaux spéculatifs, une économie grise hors de toute fiscalité.
Dans une deuxième phase récente la volonté d'attirer des investissements directs étrangers et d'accentuer la recherche et le développement a donné un coup de fouet aux exportations. Cependant on note une prédominance des produits de base, des hydrocarbures et des produits chimiques, les produits manufacturés ne représentant que 15% de l'ensemble avec le matériel de transports, les machines industrielles, les produits agro-alimentaires.
Actuellement la Russie sort son premier avion de ligne moyen-courrier MC-21 avec 150 à 210 passagers à bord,en remplacement des anciens Tupolev TU 204 et qui annonce la renaissance de son aviation civile, avec le constructeur public Irkout.
Après l'annexion de la Crimée, la crise ukrainienne, les sanctions économiques prises par l'Europe et les USA, les contre- sanctions russes prises par mesures de rétorsion, le PIB croit à nouveau, les capacités budgétaires sont en hausse, ainsi que les recettes fiscales,le déficit budgétaire est en baisse de 3,4%,la croissance agricole est de 3%, le chômage est de 5,6%, la dette extérieure est en baisse de 13%, les infrastructures portuaires, énergétiques, aéronautiques sont en très nette progression. La production de pétrole est à un haut niveau, même si la baisse des prix est générale et gêne la reprise. Gazprom bénéficie de la dépréciation du rouble et n'a plus d'investissements lourds à supporter, sauf dans l'Est sibérien et pour la liquéfaction.
Il suffit, pour un voyageur à bord du transsibérien Moscou-Vladivostok, de croiser la cohorte des wagons débordant de marchandises, pour comprendre que l'impact des sanctions occidentales sur l'économie est vraiment réduit. Gêné à l'Ouest, la Russie se tourne vers l'Est.
L'Union Economique Eurasiatique, lancée comme union douanière à la date prévue de 2011, progresse à grands pas avec, depuis janvier 2015, une réelle dimension économique, face à l'Europe, mais aussi face à la Chine ( ce qui n'empêche pas des accords bilatéraux avec ce pays). Les biens, les services, les capitaux, les personnes circulent librement entre Russie, Biélorussie, Kazakhstan, Arménie, Kirghizistan. De nombreux ressortissants des provinces de l'ancienne URSS émigrent vers la Russie. La Russie se dit garante de la sécurité de la zone Asie Centrale-Caucase. Une zone de libre échange est mise en place avec le Vietnam, l'Egypte.
Seules l'Ukraine où il y a une vraie carence de l'état, la Moldavie où se développe instabilité politique et corruption et la Géorgie se sont tournées vers l'Union Européenne. Avec l'Ukraine les accords Minsk 2 tiennent tant bien que mal et le cessez-le-feu est globalement respecté, même s'il y a des entorses. Le conflit régional semble gelé, tout du moins en surface.
Qu'en est-il de l'armée russe ?
L'armée russe en très mauvais état au moment de la crise géorgienne en 2008 a été remise à niveau avec une grande réforme militaire . Car les ambitions de la Russie sont grandes, après la déconfiture liée à la disparition de l'URSS en 1991, et le partenariat possible Russie- UE- USA qui a volé en éclat avec une forte méfiance de part et d'autre.
Les russes veulent redevenir un grand centre de pouvoir du monde multipolaire qui se fait jour, ce qui explique par exemple leur positionnement en Ukraine (2014) en Syrie (2015). Les dirigeants russes veulent reprendre la main. Vladimir Poutine veut reconstruire le statut de la Russie dans des limites très strictes, car il sait qu'il n'y a pas de place pour l'aventurisme. La coopération est souhaitée avec les autres puissances en Syrie.
Face à l'humiliation imposée par l'Occident, qui pensait exploiter la mort de l'URSS et la dissolution de la puissance russe, l'OTAN poussant ses pions, face à un sentiment de vulnérabilité dans la population russe, Vladimir Poutine a rétabli à l'intérieur un état d'autorité et sécurisant, avec l'appui de la majorité de la population, pour pouvoir agir à l'extérieur. Une opposition intérieure critique fortement ces choix mais a du mal à s'exprimer, à se faire entendre, face à des autorités qui font tout pour la museler.
Moscou veut gérer les relations internationales à égalité avec les USA. Moscou veut poursuivre les discussions avec les USA sur la défense anti-missiles, les missiles à longue portée, le système conventionnel mais aussi l'armement dans l'espace. Moscou veut aussi se rapprocher de l'Europe, considérant qu'il y a une vraie communauté culturelle avec l'Europe. Vladimir Poutine souhaite réellement une détente avec l'Ouest.
Actuellement les activités militaires représentent 4 à 5% du PIB. Des forces entrainées. La constitution de forces de défense aérospatiale intégrées. Un ministère des opérations d'urgence. Une mobilité stratégique. Une meilleure coordination interarmée. Une créativité conceptuelle renaissante. De nouveaux avions, de nouveaux missiles de croisière. Des forces spéciales aéroportées. Les professionnels sont désormais plus nombreux que les conscrits pour une armée 2.0. 70% des outils militaires sont modernes.
Mais le chiffre de l' investissement par soldat montre que la Russie est encore loin derrière les USA, l'Allemagne, la France même. Les moyens de l'OTAN sont très importants aux dires des spécialistes. Et les sanctions prises par la communauté occidentale, dont la France, pèsent malgré tout sur la défense. Le budget des dépenses militaires est réduit actuellement de 4%.
Malgré cette situation le moral des troupes est meilleur avec la hausse des soldes des militaires, des salaires des contractuels, la construction de logements neufs. Et selon un sondage à l'occidentale 82% de la population a confiance dans la défense du pays.
"Une nation indispensable"
Depuis fin septembre 2015, face à la déstabilisation au Moyen-Orient, la Russie est entrée en guerre contre l'état islamique avec efficacité et détermination, en soutenant la Syrie de Bachar el Assad ( ce qui n'empêche les critiques envers ce dirigeant pour le forcer à évoluer). Elle a profité de l'absence dramatique de l'Europe. Elle n'a pas oublié sa quête historique et ancienne, d'ouverture sur les mers chaudes et sa volonté de présence en Méditerranée. La Russie et la Syrie c'est une vieille histoire puisque l'URSS avait déjà des intérêts majeurs en Syrie, la marine russe disposant d'une base navale stratégique dès 1971.
Le danger islamiste a été clairement identifié par les autorités russes depuis longtemps, non seulement pour la Russie elle-même mais aussi pour le reste du monde. Les Chrétiens du Moyen-Orient ont trouvé dans la Russie un vrai défenseur alors qu'ils étaient abandonnés. La Russie a très vite vu les menaces venues aussi de l'Asie Centrale, qui a fourni 5000 combattants : katibas (bataillons) ouzbeks, étudiants kirghizes, Kazakhs, Tadjiks, tchétchènes, partent vers le califat avec un passage particulièrement facile par une frontière syrienne. La révolution numérique en Asie Centrale et le Digital Islam sont autrement plus dangereux que les imams des mosquées sauf peut-être au Turkménistan peu moderne. La pauvreté et l'autoritarisme de certains états ne constituant que des facteurs moins importants pour lancer le djihad. Les vétérans du djihadisme venant du Pakistan, de l'Afghanistan complétant le tableau.
Dans le brouillage total de l'ordre international, l'imprévisibilité, les incertitudes d'un monde plus dangereux que celui de la guerre froide, l'interdépendance générale, l'action des acteurs non-étatiques qui peuvent constituer une vraie nuisance, face à des armements sophistiqués plus accessibles, face à Daech état sans état, la Russie est devenue une "nation indispensable".
Et il serait dommageable, aux dires de nombreux analystes, en sus du terrorisme, de la guerre contre le djihadisme, du Brexit et de son onde de choc à venir, de rajouter un conflit même larvé avec la Russie. Mieux vaut comme le propose l'ex président de la République française additionner Russie-Europe-Turquie dans un cercle de coopération étroite économique et de sécurité collective commune, pour éviter tout dérapage.
Le président américain Obama, on a tort de l'oublier, considère Vladimir Poutine comme "un homme courtois, scrupuleusement poli et très franc"..." qui compte dans le monde actuel avec ses tensions, ses conflits, ses incertitudes politiques et économiques".
En France des responsables aux opinions divergentes comme Jacques Attali et François Fillon considèrent la Russie comme un élément essentiel dans la conduite des affaires internationales...
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