Contrat de douze sous-marins militaires à l’Australie : victoire française ou défaite japonaise ?
- Le sous-marin Barracuda, source DNCS.
La nouvelle a ému les industries, les politiques et les presses nationales. En France, la société DNCS ne cachait pas sa satisfaction après une année 2014 difficile, d’autant que le constructeur français ne partait pas gagnant. François Hollande, Manuel Valls et François Rebsamen plastronnent fièrement l’excellence française pendant que la presse brandit le chiffre de 8 milliards d’euros et se découvre une admiration pour une industrie longtemps restée dans l'ombre. Le dossier révèle pourtant une vraie bataille diplomatique, qui cristallise les enjeux géopolitiques de la région.
Leçon de diplomatie et d’humilité pour le consortium japonais
L’affaire semblait entendue. Les relations entre l’australien Abbott et son « meilleur ami en Asie », Shinzo Abe, était une garantie de succès. L’amitié entre les deux pays assure déjà la stabilité de la région du Pacifique, sous le regard approbateur de l’allié américain. En 2014, le contrat de 40 milliard de dollars enhardissait le géant Mitsubishi, soutenu par le gouvernement japonais. La stratégie du premier ministre, qui consiste à développer une industrie militaire de pointe sans renoncer au pacifisme, était déjà entérinée. Le ministre français de la défense Jean-Yves le Drian saisit alors l’occasion du centenaire du premier convoi de soldats australiens pendant la Première Guerre mondiale pour faire une offre à son homologue. Mais à ce stade, les japonais restaient favoris.
C’était sans compter la démission du ministre de la défense australien, David Johnston, et la pression de l’opposition. Mitsubishi entendait construire les sous-marins sur son propre sol, prétextant, un brin condescendant, que la main d’œuvre australienne n’était pas assez qualifiée. Johnston se rangea de cet avis ; l’opinion renvoya le ministre au placard. Le premier ministre Abbott fut forcé d’examiner la concurrence, pour le bonheur du français DNCS et de son rival allemand, TKMS.
S’ensuivit un fiasco commercial et diplomatique du côté japonais. Sûr de lui, le groupe feignit de jouer le jeu pour soigner son image, mais toujours convaincu qu’il s’agissait là d’un simple contretemps. « Même si nous étions dans la compétition, nous avons agi comme si rien n’avait changé » confirme une source gouvernementale japonaise, citée par le Japan Times. La conférence du SEA1000 Australia’s Future Submarine Project se tint fin mars l’année dernière : on déplora l’absence de la délégation japonaise, tandis que ses concurrents français et allemands voyaient déjà la situation leur sourire. En avril, la DNCS embauchait Costello, un marin déjà rompu à la négociation pour avoir fait partie de l’équipe du précédent ministre de la défense, David Johnston. Costello l’assure, il aurait été ravi de travailler pour les japonais, mais « ils n’ont pas pris le téléphone. » Les Français prenaient donc une longueur d’avance.
Si le groupe nippon prétendait construire « les meilleurs sous-marins du monde », le gouvernement australien parut circonspect, eut égard à leur manque d’expérience. TKMS et Mitsubishi brandissaient des croquis, pendant que DNCS proposait aux Australiens une version non-nucléaire du sous-marin Barracuda dont le premier exemplaire sera déjà construit en 2017 pour la Marine française. Les Japonais tenaient à construire les sous-marins chez eux - avant d’offrir une sorte de compromis fin septembre - pendant que les Français promettaient des appareils conçus en Australie, dans la région la plus touchée par le chômage, à Adelaide. La bataille diplomatique paraissait déjà plus favorable aux Européens. Mais lorsque le premier ministre Malcolm Turnbull succéda à Tony Abbott à la fin de l’année passée, l’assurance des japonais pris un revers sans précédent.
L’importance du contexte géopolitique
La sécurité de la région préoccupe particulièrement les Etats-Unis, allié commun de l’Australie et du Japon, dans ses rapports avec la Chine. La consolidation des relations australo-japonaises ne fut guère ébranlée par le changement de gouvernement. « Nous sommes dévoués à notre fort engagement stratégique trilatéral entre l'Australie, le Japon et les États-Unis » assura Turnbull, cité par Japan Today. La France, très implantée en Asie du Sud-Est, n’a pas les désavantages d’une telle alliance avec le géant américain. Le Japon, à l’inverse, souffre doublement de son positionnement géostratégique.
Les îles Senkaku/Diaoyu, disputées par la Chine et son rival japonais, sont le théâtre de manœuvres navales militaires fréquentes. Elles sont au cœur des rapports difficiles entre les deux pays. Jean-Pierre Maulny, chercheur à l’IRIS et cité par 20 minutes, rappelle l’importance des Etats-Unis dans le processus de décision, puisqu’il constate qu’un ancien secrétaire d’Etat à la Navy, Donald Winter, faisait partie d’un panel d’experts engagés pour conseiller le gouvernement australien. Mais cette alliance s’est peut-être révélée pénalisante pour le groupe japonais. Une alliance maritime et militaire entre l’Australie et le Japon aurait pu être interprétée par la Chine comme une provocation, sinon comme une compétition pour la domination des mers, et dont les îles Senkaku auraient été le symbole. L’Australie ne désire pas le moins du monde amorcer un conflit avec la Chine, qui demeure son premier partenaire commercial. La présence française en Polynésie Française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna ne présentent guère le même risque.
Non seulement le Japon pâtit de son conflit en Mer de Chine, mais ses liens avec les Etats-Unis ne lui permettent pas un positionnement neutre par rapport aux jeux de dames qui se joue entre les acteurs du Pacifique.
Le génie industriel succède au jeu diplomatique
Les délégations françaises successives eurent sans doute raison de l’accord tacite qui flottait dans les esprits jusqu’à la fin de l’année entre l’Australie et le Japon. Mais il fallait encore prouver aux Australiens toute la force de l’industrie navale française, emmenée par la société DNCS. Avec une expérience bientôt quadri-centenaire, soutenu par le gouvernement et par le groupe Thales, le groupe a écrasé du poids des siècles son homologue japonais, fraîchement introduit dans le cercle de la vente d’armes par un gouvernement japonais lassé d’être réduit à ses contributions pécuniaires pour le compte de l’ONU. Mitsubishi vantait une technologie de pointe ; DNCS ne disait pas autre chose, mais pouvait disposer de preuves pour l’avancer. Le travail des délégués français s’observent également dans le souci méticuleux qu’ils ont eu pour adapter leur offre aux besoins de la marine australienne. Pendant que le Japon campait sur ses positions, fier de ses aptitudes et sans doute avec raison, la France développait une relation particulière avec sa clientèle, faite de proximité et de compréhension. La déclaration finale du premier ministre australien, faite à Adelaide, reflète cet état de fait rapporté par les observateurs dans la presse hexagonale : « L'offre française représentait les capacités les plus aptes à répondre aux besoins uniques de l'Australie. »
L’allemand TKMS aurait pu répondre à ces caractéristiques s’il avait eu quelque expérience dans la construction de bâtiments de plus de 4000 tonnes. Le savoir-faire français dans le domaine aura suffi à faire pencher la balance. Jean-Yves le Drian promet un millier d’emplois en France, la filiale DNCS évite les licenciements prévus à cause des difficultés de l’année 2014, y gagne au moins 8 milliards d’euros, et l’Australie construira les sous-marins sur son sol. La victoire française est éclatante, et les relations franco-australiennes présagent de beaux jours.
Après l'échec
La défaite japonaise laisse la presse et les acteurs politiques et industriels amers. Le communiqué officiel en témoigne : « Il est profondément regrettable que les capacités du Japon n’aient pas été suffisamment communiquées, ce qui a conduit au résultat annoncé aujourd'hui. » Même dans l’échec, Mitsubishi Heavy Industries semble toujours sûr de la supériorité de son offre, accusant visiblement un problème de communication. Le chef de l’agence d’approvisionnement de la Défense, Hideaki Watanabe, l’assure : « nous avons mis nos plus grands efforts dans l'offre ». Cette déception, qui risque de porter une estocade à la stratégie géostratégique du premier ministre Shinzo Abe qui subit déjà les foudres de l’opinion, n’enlève rien au désir des Japonais d’apprendre de leurs erreurs. Plusieurs sources officielles ont fait savoir qu’elles souhaitaient que l’Australie apporte les raisons de l’échec japonais. « Nous avons pensé jusqu'à la fin que nous aurions pu gagner » rapporte encore une source citée par le Japan Times. Peut-être un autre jour.
Sources : Japan Times, Japan Today, Le Monde, 20 minutes.
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