De l’évaluation à la domination (II) - La faillite du système éducatif
De nombreux lecteurs sont convaincus de la faillite du système éducatif, incapable de produire les ressources humaines nécessaires à l’activité économique. Mais lorsqu’ils énoncent cela, ils sont très loin de soupçonner la réalité de ce qui se prépare. Ce que nous allons découvrir est tout simplement incroyable.
Chacun a son opinion sur le système scolaire, et j’entends les plaintes qui se manifestent. J’irai même plus loin que beaucoup en affirmant qu’un certain nombre de professeurs s’abritent derrière le statut de fonctionnaire. Or si les ressources humaines ne peuvent être efficaces sous la conduite de la crainte, elles ne le sont pas davantage lorsque la sécurité est garantie en cas d’incompétence ou d’absence de motivation. Encore faut-il en étudier les sources. J’ajoute également que l’Education Nationale fait preuve de nombreux dysfonctionnements et qu’il existe des solutions : certaines sont dans le secteur privé. Une Education Nationale repliée sur elle-même développe une forme d’autisme.
La faillite du système éducatif
Ces professeurs d’université révèlent qu’entre 1999 et 2004, seuls 35% des 2400 étudiants testés sont parvenus à résoudre un problème algébrique élémentaire ; un problème qui concerne les fractions ! Ces professeurs disent que si on ne sait pas manipuler des fractions, on est incapable de maîtriser l’algèbre, or l’algèbre est une discipline très importante dans les études d’ingénieur. Les enseignants de polytechnique sont stupéfaits de constater que leurs étudiants ne savent pas résoudre des équations ! Ils ajoutent que la diminution des compétences en mathématiques les a conduits à revoir le programme à la baisse. Ces professeurs ont aussi remarqué que dans les universités techniques, les étudiants ne connaissaient pas les bases. Cela est aussi le cas des lycéens, reconnaissent-ils. Ils mettent clairement en cause le système scolaire, du collège au lycée. Une grande partie de la première année de polytechnique est une révision du programme des lycées ! Et une grande partie du lycée est une révision du programme de collège ! Bref, ils se demandent ce qu’ont appris leurs étudiants, à l’exception du calcul numérique qu’ils maîtrisent, c’est-à-dire le calcul qui sert aux compétences à déployer dans la vie de tous les jours. Ce qui est mesuré par PISA.
Vous l’avez deviné, les 201 professeurs d’université qui tiennent ces propos accablants sont des professeurs… de Finlande ! On retrouvera les documents originaux sur le serveur de l’université d’Helsinki : ici et ici Ce ne sont donc pas des syndicalistes de FO, de « méchants gauchistes ». Juste des enseignants honnêtes et lucides ; des enseignants de terrain, aux prises des réalités, non des hommes politiques qui manipulent les citoyens et installent des préjugés. N’oublions pas que les enseignants ont pour mission d’élever les élèves au-dessus d’eux. La majorité d’entre eux s’acquittent de cette tâche, peu importe le système scolaire. Pour ceux qui n’iront pas consulter ces documents, voici ce qu’on y trouvera également :
- L’une des grandes erreurs du système finnois est que les lycéens peuvent obtenir leur bac sans avoir obtenu tous les crédits ; qu’ils peuvent s’absenter sans aucune raison des cours ; que le fait de pouvoir choisir son cours est préjudiciable.
- Le LUMA (un centre interdisciplinaire qui lie l’industrie, les collèges, lycées et universités) a conçu un examen (différent du bac) pour les lycéens finnois, avec pour objectif 17000 reçus. En 2004, il n’y en a eu que 12000.
- Les mathématiques au collège et au lycée sont pauvres
- Les étudiants à l’université ont du mal à apprendre
- « The PISA survey provides us with useful information regarding the mathematical literacy needed in everyday life and the ability to solve simple problems. These skills are simply not enough in a world which uses and utilizes mathematics more and more. » : PISA mesure l’habileté à résoudre des problèmes simples ; ceux auxquels on est confronté dans la vie quotidienne. Ces compétences sont insuffisantes dans un monde fait de plus en plus de mathématiques.
Un autre document très intéressant sur le serveur de l’université libre de Bruxelles est disponible (en français) ici . On y apprend notamment que :
- le 13 janvier 2008, un professeur d’université finnoise a écrit : « Nos élèves n’ont pas la moindre idée de ce que le mot démonstration veut dire. Ils ont de sérieuses difficultés pour résoudre de vrais problèmes en algèbre, en géométrie ou en arithmétique. » et « Je pense que les maths de tous les jours ont leur place dans l’enseignement à l’école mais ne suffisent pas. Elles ne fournissent pas les bases indispensables pour une éducation supérieure. De plus, chaque enfant doit avoir l’occasion de développer un système de pensée rigoureux. Les mathématiques sont le seul sujet abordé à l’école qui permette cela. »
- Le 10 janvier 2008, Pascale Pombourcq, présidente de l’APMEP (Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public) a écrit une lettre ouverte édifiante au ministre Xavier Darcos ; lettre que l’on retrouve ici.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que PISA mesure des compétences que l’OCDE estime qu’il faut posséder à 15 ans pour vivre une vie de citoyen. Tout le monde doit avoir la même compétence : appuyer sur un bouton ! Réfléchir, ce sera pour les autres. Je le prouverai dans les futurs articles. Les tests PISA ne mesurent pas les compétences mathématiques ni scientifiques, mais les compétences textuelles : la lecture ! Et, comme tout test psychométrique – qui ne sont pas la meilleure forme d’évaluation -, le test mesure la compétence à réussir le test ; pas la compétence elle-même. C’est compliqué, mais je l’expliquerai de façon plus claire. Comme j’expliquerai que, contrairement à ce qu’a écrit un commentateur (mais je comprends son commentaire car il relève du bon sens) dans mon précédent article, il est très utile de connaître Victor Hugo ou le logarithme népérien, même si on n’exerce pas le métier d’ingénieur, ni celui de professeur de français. Cela relève du fonctionnement du cerveau. J’essaierai d’être clair pour tous.
A ce stade, faisons le point :
- nous avons une évaluation internationale psychométrique, PISA, dont on sait maintenant qu’elle est née selon des circonstances qu’il faudrait éclaircir, et dont on est sûr qu’elle n’a pas suivi le protocole ordinaire à l’OCDE ;
- Les entreprises qui font partie du consortium PISA sont toutes d’obédience anglo-saxonne.
- PISA mesure des compétences, or on ne sait pas qui a décidé quelles compétences étaient nécessaires à la vie quotidienne ;
- PISA mesure des compétences simples, de l’avis de professeurs d’université de Finlande, soit le pays qui est le premier à PISA ;
- L’enseignement supérieur finnois pâtit du système scolaire.
- L’économie de Finlande est menacée en raison de son système scolaire.
- Xavier Darcos s’appuie sur PISA pour fonder sa politique éducative.
Maintenant, ajoutons les éléments suivants :
- Xavier Darcos a été ambassadeur de France auprès de l’OCDE (on comprend mieux maintenant non ?) ;
- Les pays encensés par PISA sont des pays avec une économie assez faible. A l’exception du Japon. Mais au Japon, tous les élèves suivent des cours particuliers, et cela fausse de facto la comparaison, surtout de la façon professionnelle dont sont effectués les cours particuliers au Japon, et qui n’a rien à voir avec l’amateurisme que l’on retrouve en France. La règle est de comparer ce qui est comparable ; dans les mêmes conditions. Cela n’est pas le cas avec PISA.
- Les pays pointés du doigt ( les « mal classés » ) par l’OCDE sont les grands pays, ceux qui pèsent :
De même, je ne remets pas en cause le principe des évaluations internationales, ni l’OCDE comme institution, ni la volonté de ceux qui pilotent PISA d’améliorer cette enquête. Le choix de Nathalie Mons comme experte scientifique démontre tout le contraire.
Mais voici ce qu’elle écrivait et qui mérite réflexion (page 8) : « A l’opposé de la décentralisation, l’existence de forces internationales exerçant une influence significative sur les réformes éducatives, avec des thèmes de prédilection comme la décentralisation, la privatisation, l’évaluation ou le choix de l’école (Carnoy et Rhoten, 2002) ont conduit à la création de zones éducatives globales dépassant le niveau de l’Etat-nation. »
Ce qui est en jeu, ce n’est rien d’autre que la disparition de la démocratie, le transfert du pouvoir des citoyens à celui des multinationales et des organisations transnationales dont les représentants ne sont pas élus. C’est la disparition des cultures locales qui ont mis plusieurs centaines d’années à se forger, au profit d’une culture synthétique. La lecture de ce document ici (en anglais) est édifiante. Des documents comme celui-ci, j’en ai des milliers. La lecture de
L’éducation est l’enjeu majeur du début de ce siècle ; elle est la base de toute société, la condition de la démocratie. Cela dépasse largement le combat mesquin entre la gauche et la droite, le privé et le public. Quand certains se divisent pour des broutilles, quand d’autres se focalisent sur la taille de la bague de Rachida, les plus malins avancent leurs pions.
J’approfondirai tout cela dans le prochain volet.
Evaluer, c’est dominer.
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