Hollande face à Poutine : Syrie, un Léonarda diplomatique
« Comme si à l’horizon prédestiné au progrès ne pouvait que succéder l’horizon prédestiné au désastre »
« L’horizon d’attente étant en quelque sorte vidé de sa substance, le présent — temps de l’initiative — s’en trouve d’autant paralysé même s’il se donne à voir comme une succession effrénée d’instants éphémères »
Myriam Revault d'Allonnes, La Crise sans fin - Essai sur l'expérience moderne du temps. Seuil (2012)

Comme chacun sait, les relations entre Paris et Moscou se sont légèrement rafraîchies, la Russie ayant opposé son veto à une résolution française des Nations Unies réclamant un arrêt des bombardements sur Alep, la deuxième ville syrienne soumise depuis le 22 septembre à une offensive meurtrière du régime syrien et de son allié russe dans cette guerre civile qui ensanglante la Syrie depuis désormais cinq années. Malgré l'existence de tensions entre Moscou et Paris sur le dossier syrien qui ont récemment conduit le président Vladimir Poutine à annuler une visite en France prévue depuis longue date pour l'inauguration à Paris le 19 octobre prochain du Centre spirituel et culturel orthodoxe russe abritant la nouvelle cathédrale orthodoxe, le chef de la diplomatie française s'est alors efforcé de réaffirmer " la volonté de la France de poursuivre son dialogue avec la Russie, en toute franchise", selon un communiqué du Quai d'Orsay.
Mais voilà, les faits sont têtus, et si M. Poutine a eu l'élégance de prendre en compte les états d'âme de M. Hollande en lui laissant toute latitude de décider de le rencontrer « quand il serait prêt », les guignolades françaises identiques aux pitoyables déclarations entourant l'expulsion en octobre 2013 d'un ressortissante Kosovare (« l'Affaire Leonarda ») ne suscitent même pas un ricanement tant elles sont révélatrices, après l'affaire de l'annulation de la vente à la Russie des deux navires BPC Mistral (Août 2015) d'un véritable Leonarda diplomatique où là encore le cabotinage le dispute une fois de plus à la mésintellingence la plus achevée du veto russe.
Faut-il donc que la Russie soit patiente avec la France pour supporter pareils camouflets, sauf à considérer - ce qui est le cas -, qu'une fois passé l'intermède socialiste les choses redeviendront normales et que l'on pourra enfin se reparler entre gens sérieux et éviter les questionnements métaphysiques du genre “Je me suis posé la question (…) Est-ce que c’est utile ? Est-ce que c’est nécessaire ? Est-ce que ça peut être une pression ?”
Une double impasse politique et diplomatique
La situation se résume à une impasse politique et diplomatique dans laquelle la France s'est elle-même fourvoyée par cécité idéologique du Président Hollande et refus de voir la réalité d'une géopolitique pourtant très simple à comprendre : la Russie est notre alliée dans une nouvelle forme de guerre mondiale qui est celle que l'islam mène désormais contre tout ce qui lui est étranger et qu'il considère comme un ennemi planétaire.
La suite du programme est donc très simple :
-Comme l'explique F. Balanche, un très bon connaisseur de la réalité syrienne, depuis le « Vendredi 29 juillet 2016, l'armée syrienne a réussi à fermer la route du Castello qui reliait la partie est d'Alep, tenue par les rebelles depuis juillet 2012, et l'extérieur. L'objectif de l'armée syrienne et de ses alliés n'est pas de prendre d'assaut ces quartiers encerclés, mais bien de négocier le départ des rebelles. » Mais les choses ont changé : la contre-offensive récente des rebelles menée par la branche syrienne d'Al-Qaeda, le Front al-Nosra, celui qui « fait du bon boulot », souvenez-vous, comme l'a dit une caricature de ministre des affaires étrangères qui avait ce jour-là perdu une occasion de se taire, ce front reconverti en Front Fateh el-Cham après son divorce blanc avec el-Qaëda, ne réussira pas à briser le siège des quartiers Est d'Alep. »
La situation est irrémédiablement et fort heureusement compromise pour des « rebelles » dont on imagine aisément quel tonnerre d'applaudissements aurait alors entouré leur victoire s'ils avaient pris Damas ou encore procédé au massacre de la communauté Alaouite après la prise de Lattaquié.
-On laissera donc de côté toute une frange bien-pensante pleurer sur la perspective d'un Alep revisité en « Guernica syrien » dans la mesure où il doit être clairement établi que, pris au piège, les rebelles djihadistes n'hésitent pas à utiliser les malheureux habitants comme boucliers humains mis en avant pour faire vibrer l'humanitarisme occidental au point de les empêcher de quitter la ville.
-Les accusations de crime de guerre portées contre le « régime » du président Assad et son allié russe étant à sens unique et se gardant bien de réserver le même traitement aux crimes commis par le « régime » saoudien et la coalition qui opère depuis mars 2015 au Yémen, il devient chaque jour plus probable que le chaudron d'Alep connaîtra le même sort que réserve la technique des « chaudrons » issus des perfectionnements de l'art opératif russe dans lesquels l'ennemi est encerclé et anéanti.
-Qu'on le veuille ou non, Alep sera le « Stalingrad » de l'Etat Islamique. En effet, les Russes se sont lancés dans l’intervention en Syrie avec des objectifs séquentiels précis consistant à intervenir dans le conflit pour affirmer et rétablir la souveraineté de l’Etat syrien dans la partie utile de la Syrie, assurer la sécurité de leur base navale de Tartous comme de leur base aérienne de Hmeimin,libérer la base de Kuweires encerclée, neutraliser l'espace aérien dans la zone Syro-Turque, couper les lignes d'approvisionnement en hydrocarbures issues du pillage mené par l'Etat Islamique en collusion avec la Turquie pour ensuite écraser ce même Etat Islamique en Syrie.
-L'heure tourne et avec elle se précisent deux événements qui expliquent pour quelles raisons il est tout à fait probable que la bataille d'Alep sera très rapidement achevée : l'élection américaine, la bataille de Mossoul en Irak. Certes, il serait encore possible de mettre un terme au martyre d'Alep-Est si les « rebelles » acceptaient, sous contrôle international, de déposer leurs armes, sortir les mains en l'air comme des vaincus et libérer la population civile prise en otage. Qui voudrait de cette option ? Les « rebelles », les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite ? Probablement pas. Pourquoi pas M. Hollande ? ce qui lui permettrait de privilégier une solution dont l'aspect réellement humanitaire viendrait alors conforter de manière intelligente et raisonnée un changement de politique internationale qui se réduit chaque jour pour la France à une impasse dans une confrontation avec des adversaires qui la marginalisent et la mettent en danger. Mais voilà, le voudrait-il que l'on doute qu'il en soit capable.
Dès lors et aussi désagréable que cela puisse être pour ceux qui croyaient tromper une opinion publique bercée dans un manichéisme obsolète entre le « camp des bons » et celui des « mauvais », il apparaît que la Russie a su montrer que la seule stratégie valable et efficace était de mener contre l’Etat Islamique une guerre offensive jusqu’à ce que l’organisation soit défaite militairement, l'idée étant de lui substituer dans les territoires libérés des administrations légitimées par leur attachement à des pouvoirs politiques forts et bénéficiant d’une assise politique solide.
La Russie de V. Poutine a en effet clairement démontré que l'on ne pouvait plus se contenter aujourd’hui - comme l'écrit très justement Benoît Bihan que nous citons ci-après (« Vaincre l'Etat Islamique, un problème stratégique insoluble ? » 2015) -, de jouer la montre et de poursuivre l’attrition des forces de l’Etat Islamique – et plus directement des djihadistes en provenance de pays tiers, dont la France, qui rejoignent l’organisation - tout en espérant que la guerre en cours suscitera une réorganisation du système stratégique du Moyen-Orient dans un sens favorisant l’émergence d’États forts fonctionnant selon des principes adaptés aux réalités sociales des pays qu’ils entendent gouverner, quitte à accepter de revenir sur certains principes aux fondements surtout idéologiques, et qui sont aujourd’hui de moins en moins réalistes, à commencer par celui d’intangibilité des frontières.
On en est aujourd’hui loin, et la guerre se poursuivra tant que les options de son règlement se conformeront moins aux représentations et aux buts de ses participants que ne le fait sa poursuite. Il s’agit là d’une prise de risque non négligeable, y compris pour la France, impliquée directement, et (dont) le résultat en sera très certainement un environnement stratégique très dégradé, dont le terrorisme en France et l’accroissement des migrations de masse vers l’Europe ne sont que des signes avant-coureurs.
Il est difficile d'être plus précis.
Les palinodies diplomatiques de M. Hollande ne sont donc plus de mise. Il est désormais devenu évident et urgent pour la France et l'Europe de se départir d'une pseudo-alliance avec les Etats-Unis dont elles n'ont plus aucun avantage à attendre (si tant est qu'elles en aient jamais eu un) et qui ne lui réservent pour le moment que la perspective de prendre des coups et de s'affaiblir économiquement et financièrement alors que la seule alliance qui vaille n'est que celle attendue et souhaitée par une Russie qui a amplement démontré comment traiter et anéantir un ennemi commun, implacable, qui ne s'embarrasse pas d'états d'âme.
Nul doute en conséquence qu'un véritable programme présidentiel pour 2017 dont on n'entend pas parler se devrait de privilégier avec un succès à la hauteur de l'enjeu la restauration d'une diplomatie française et européenne réellement souveraines tout en recadrant nos relations avec des monarchies clientélistes médiévales qui jouent contre nos propres intérêts, internationaux et nationaux.
Reprenons l'initiative, vite ! Winter is coming.
Sources :
Myriam Revault d'Allonnes, La Crise sans fin -Essai sur l'expérience moderne du temps. Seuil (2012)
Carte : Copyright Sputnik
Situation.
http://www.lorientlejour.com/article/1000408/lechec-annonce-de-loffensive-rebelle-a-alep.html
http://www.causeur.fr/hollande-poutine-alep-syrie-russie-40515.html
Recadrage.
Constats.
https://fr.sputniknews.com/international/201609211027859813-syrie-conflit-medias/
https://fr.sputniknews.com/international/201609101027699668-syrie-conflit-parties-principales/
http://www.causeur.fr/hollande-poutine-alep-syrie-russie-40515.html
Concept, techniques et applications effectives de l'art opératif.
http://www.krasnayazvezda.com/terre/operations/art_operatif_georgie.php
http://www.laplumelesabre.com/2015/08/27/vaincre-letat-islamique-un-probleme-strategique-insoluble/
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