Intégration : un succès européen, un échec africain. Mais pourquoi ?
L’Europe et l’Afrique ont entamé leur processus d’intégration à la même époque – 1951 et 1957 pour la première, 1963 pour la deuxième [1]. Les deux avaient les mêmes buts pour leurs peuples : prospérité, paix et droits sociopolitiques.
Cependant, un demi-siècle plus tard, on ne peut que constater que si les Européens ont bien avancé à tous égards, il n’en va pas pour autant pour les Africains. A tel point que cette écart de réussite semble être devenu normal aux yeux d’un grand nombre d’observateurs.
Mais il n’y a rien de normal à cela.
Alors, pour quelles raisons l’Afrique n’a-t-elle pas réussi à suivre le modèle d’intégration harmonieux suggéré par l’Europe tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle ?
Éclatement économique…
Une première explication serait qu’alors que le régionalisme économique a permis d’augmenter le poids économique de la Communauté européenne sur la scène internationale, l’Afrique n’a pas eu accès à cette possibilité. En fait, non seulement l’Afrique a-t-elle été ravagée par le fardeau du post et du néo-colonialisme, mais elle est essentiellement demeurée divisée sur le plan économique a l’échelle continentale – au point qu’aujourd’hui le continent ne compte pas une, mais treize unions économiques.
De plus, malgré les énormes sommes d’argent que l’Afrique a reçues au fil des ans, les États africains n’ont jamais bénéficié d’une initiative telle que le Plan Marshall et ses structures de gestion, comme ce fut le cas pour certains des États d’Europe de l’Ouest. Bien au contraire, l’Afrique a longtemps servie de cobaye pour des politiques d’aide au développement aussi instables qu’infructueuses.
… et violences endémiques héritées…
Une autre sombre illustration du manque d’intégration africaine se trouve dans les éruptions presque continues de violence qui ont lieu sur le continent africain et qui s’inscrivent en contraste avec la « communauté de sécurité » qu’est devenue l’Union européenne, au sein de laquelle la guerre a non seulement disparue, mais est devenue quasi-inimaginable.
L’origine de cette différence se trouve, au moins en partie, dans le passé colonial des politiques ethniques et du découpage des frontières en Afrique, que les nouveaux États indépendants ont malgré tout accepté de préserver en 1964 au nom du principe de stabilité.
Le problème est que cette décision – prise par l’Organisation de l’unité africaine (OAU) – a mené à une interprétation trop zélée du concept de souveraineté par beaucoup de leaders africains qui préfèrent encore aujourd’hui se cantonner à des interventions post hoc pour le maintien de la paix plutôt que de se soumettre à des ingérences diplomatiques entre pairs.
Même si la peur fort répandue de l’hégémonisme régional (provoquée par l’Afrique du Sud, le Nigeria ou l’Éthiopie) explique en partie cette approche sous-optimale de la sécurité, on comprend également aisément que l’absence d’une menace extérieure – du type de celle de l’Armée rouge en Europe au temps de la guerre froide – a pu nuire aux efforts potentiels de cohésion militaire au plan continental en Afrique.
… empêchent toute solidarité continentale
Force est donc de constater que, dans un tel contexte, le processus d’intégration africain n’a pu apporter ni respect des droits individuels ni compréhension supranationale de la démocratie ni extension régionale de quelque forme de soft power, à la différence de l’Union européenne ces dernières années.
Le premier point à prendre en compte est que la promotion du respect des droits de l’homme est difficile dans n’importe quel contexte régional. Même en Europe, elle fut complexe et lente. Ainsi, même malgré sa reconnaissance internationale, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) – pour ne prendre qu’un exemple – est aussi connue en Europe pour le manque de respect des États membres vis-à-vis de ses décisions.
C’est la raison pour laquelle la Cour de justice des Communautés européennes – les compétences de laquelle se limitaient initialement aux différends économiques – en est arrivée à jouer un grand rôle sur le plan des droits de l’homme. Grâce à ses décisions, la Cour a connu un grand succès en promouvant les droits des femmes, des travailleurs et des immigrés au cours de trois dernières décennies. Et ceci malgré l’absence d’un mandat explicite pour ce faire. C’est parce que les Etats membres de l’UE s’étaient habitués à respecter toutes les décisions de la Cour qu’ils se sont également engagés à respecter ses décisions en la matière, et ce en fort contraste avec les échecs précédents de la CEDH.
En Afrique, cela n’a jamais été le cas. Non seulement la Cour africaine de droits de l’homme est-elle encore très jeune (elle fut créée en 2004), mais, tout comme son homologue européenne, sa voix peine à se faire entendre par les dirigeants africains. Dans ce contexte, une éventuelle fusion de la Cour avec le courant dominant qu’est la Cour africaine de justice pourrait – espérons-le – amener à la même symbiose que l’Europe a connue il y a longtemps.
En somme, ce fut le vorace appétit géographique des leaders africains qui s’avéra être le plus grand « handicap » à leurs ambitions intégrationnistes
Quant à la création d’une démocratie supranationale à l’échelle continentale, du type de celle promue par le philosophe allemand Jürgen Habermas, les espoirs demeurent très minces compte tenu de l’absence du respect des principes démocratiques dans de larges parts de l’Afrique, même au niveau national. D’autant que l’absence d’effet de boule de neige partant du siège de l’Union africaine à Addis-Abeba vers les villages les plus reculés de l’Afrique d’aujourd’hui n’est pas une surprise compte tenu de l’approche intergouvernementale peu prometteuse de l’UA à ce jour.
Au final, sans doute l’une des plus graves explications de la faiblesse de l’intégration africaine est-elle le choix des États-membres de l’OUA puis de l’UA de ne pas adopter le pourtant bien utile principe de conditionnalité qui aurait pu servir de bâton et de carotte diplomatique pour de nouveaux entrants. Au contraire l’OUA a-t-elle préféré opter pour une politique d’adhésion la plus vaste possible et ouverte à tous les États africains dès sa création, ce qui ne lui a pas permis de se transformer en un « empire » normatif comme a pu le faire l’UE.
En somme, ce fut le vorace appétit géographique des leaders africains qui s’avéra être le plus grand « handicap » a leurs ambitions intégrationnistes.
Un tournant nécessaire
Jean Monnet a un jour déclaré que « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Le problème est que l’Afrique est confrontée depuis des décennies à la nécessité du changement et à ses crises. Et pourtant, peu de transformations, pourtant nécessaires, y ont été opérées.
Certains avanceront non sans raison que le but principal de l’OUA n’était pas l’intégration du continent, mais plutôt d’apporter aux États africains, fraîchement indépendants, un sentiment de cohésion contre le colonialisme. Dans ce sens, le processus d’intégration africain n’a commencé qu’en 2002 avec la création de l’Union africaine.
D’autres ajouteront qu’il aurait été difficile pour les Africains de bâtir à la fois de nouveaux Etats et une institution supranationale ambitieuse en seulement cinquante ans, alors qu’il fallut plus de huit siècles aux Européens pour n’en faire – que partiellement – de même.
Aujourd’hui, cependant, l’intégration continentale paraît être à l’horizon de l’ambition d’une majorité des peuples et des leaders d’Afrique. Pour y parvenir, ils devront surmonter la majorité, sinon l’ensemble des obstacles mentionnés ci-dessus.
[1] Sommet d’Addis-Abeba des 21 au 26 mai 1963
Illustration : carte coloniale des colonies hollandaises sur le continent africain.
Cet article a été publié à l’origine sur le blog WhatYouMustsRead.blogsport.com.
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