L’anticolonialisme selon Sassou
Devant la cour de l’Elysée, le président congolais Denis Sassou N’Guesso a commenté la procédure judiciaire qui le vise pour « recel de détournement de biens publics », en présentant une conception toute particulière de « l’anticolonialisme ».
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Hier, dans la cour de l’Elysée, le président congolais Denis Sassou N’Guesso a appliqué cette vieille technique avec un art consommé et un cynisme scandaleux, en évoquant la procédure judiciaire consécutive à la plainte déposée par vingt-sept associations pour « recel de détournement de biens publics » contre son homologue gabonais (et gendre) Omar Bongo et lui-même - où ces présidents ont-ils, en effet, pris l’argent grâce auquel ils ont acheté leurs somptueuses résidences parisiennes, ce que leurs salaires et avantages ne permettent pas ?
Sassou N’Guesso a hurlé, après un entretien tout de complaisance avec Nicolas Sarkozy, au « néocolonialisme ». « Si cette affaire n’avait pas des relents, disons, de colonialisme, de néocolonialisme, de racisme et de provocation gratuite, on l’aurait plutôt laissée mourir (...) C’est plutôt honteux et triste de traiter ce dossier-là (...) En France tous les dirigeants du monde ont des châteaux et des palais, qu’ils soient du Golfe, d’Europe, de l’Afrique (...) On peut même s’étonner de voir que, de la manière la plus triste, on ait trouvé deux cibles sur lesquelles ont voudrait tirer. Je n’en dis pas plus ».
Passons sur la manière grotesque dont Sassou justifie sa kleptomanie et le pillage de son pays. Il aimerait, peut-on comprendre, qu’au titre des droits de l’homme, on reconnaisse les droits des tyrans à affamer leurs peuples sans distinction de race. Pour Sassou, les associations et les juges français ne s’intéressent, pour les embêter, aux dictateurs qui détournent l’argent de leurs peuples que lorsqu’ils sont africains. On aimerait lui rétorquer que c’est une agréable déclinaison de la « discrimination positive » et qu’il faudrait plutôt s’en féliciter.
Le problème, dans la rhétorique de Sassou, est plus profond. S’il s’autocélèbre en héraut du combat contre le néocolonialisme, il devient le compagnon de lutte des morts de l’Ivoire tués par les soldats de la force Licorne en novembre 2004, de François-Xavier Verschave, de Nelson Mandela. C’est une insupportable imposture. Le néocolonialisme, ce n’est pas la dynamique vertueuse qui ambitionne de traduire les pantins de l’Empire devant les tribunaux de la République ; c’est la force vicieuse qui a permis au dictateur congolais de revenir au pouvoir par les armes en 1997, dans les chars de l’armée française et au prix de plusieurs milliers de morts, après en avoir été chassé par les urnes cinq ans plus tôt.
Par ailleurs, seuls les naïfs s’étonneront de l’empressement de Nicolas Sarkozy à recevoir à l’Elysée des présidents africains richissimes qui ne symbolisent en rien la « rupture » avec les « réseaux d’un autre temps » dont il s’est prévalu durant sa campagne. Si ce n’est pas un moyen d’intimider les juges, alors qu’est-ce donc ?
Les milieux les plus réactionnaires ont toujours aimé vider de leur contenu les mots qui les menacent. Objectif : les banaliser, créer la confusion sémiologique et discréditer avec eux ceux qui, en les portant, prêchent pour un nouveau monde, radicalement différent de celui qui existe.
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