Il paraît qu'une grosse énergie est dépensée en ce moment dans certaines sphères gouvernementales parisiennes pour trouver une justification légale ou un cadre juridique à l'agression française contre la Syrie. On ne trouvera pas.
Il n'existe aucune justification légale, en droit international actuel (basé sur la sacro-sainte souveraineté des Etats), à l'agression d'un pays tiers. La seule exception pourrait être une autorisation d'usage de la force donnée par le Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations Unies en considération d'une menace imminente à la paix mondiale, c'est-à-dire de l'imminence d'une attaque par le pays considéré. Non seulement la France n'a pas demandé cette autorisation, mais elle aurait de plus du mal à la justifier puisque la Syrie ne menace aucun de ses voisins. Cependant cette agression légalement injustifiable, en elle-même, détermine un cadre juridique spécifique en droit international, qui est l'état de guerre. Le fait générateur de l'état de guerre est soit sa déclaration soit sa concrétisation manifeste. Le terme même de déclaration de guerre recouvre deux concepts, l'un qui est une annonce faite à l'ennemi soit explicitement ("désormais nous sommes en guerre") soit implicitement ("si vous n'obtempérez pas à cet ultimatum d'ici 48 heures nous serons en guerre"), et l'autre qui est une simple constatation, dans ce cas adressée généralement à la population propre plutôt qu'à l'ennemi ("depuis ce matin nous sommes en guerre") : ainsi le 3 septembre 1939 le gouvernement français déclara à la population que la France était en guerre contre l'Allemagne, alors que sa déclaration envers ce pays évitait le mot qui gêne.
On avancera l'argument selon lequel il ne s'agit pas d'attaquer la Syrie mais les positions de l'Etat Islamique. L'argument ne tient pas tant qu'on ne reconnaît pas la souveraineté de cet Etat Islamique : ses positions sont soit en Syrie soit en Irak. Ce prétendu état n'est pas un sujet de droit international, le seul sujet de droit international sur le territoire syrien est la Syrie. Attaquer qui que ce soit en Syrie, c'est violer la souveraineté de ce pays (sauf s'il demandait une aide militaire) et attaquer ses ressortissants ou ses biens. Car les membres mêmes du prétendu Etat Islamique peuvent être Syriens, Irakiens, Français ou ce qu'on veut, sur le territoire de la Syrie ils sont des résidents (légaux ou clandestins) du pays, sont censés obéir à ses lois et seul l'Etat syrien a le monopole de l'usage de la force contre toute personne présente sur son territoire. Il est vrai qu'en certaines portions du territoire syrien (et par la faute de la France notamment) l'autorité de l'Etat n'est plus respectée, ses services publics sont absents et un autre droit est, de fait, appliqué, mais c'est aussi le cas en France sans que ces enclaves soient pour autant extraterritorialisées : de même tous les pays du monde (sauf l'occupant) reconnaissent la souveraineté du gouvernement chypriote sur l'ensemble de l'île même si la moitié en échappe à son contrôle depuis une génération et demie.
Sauf erreur, si l'URSS ou la Turquie avait envoyé une flottille aérienne attaquer en France les positions de l'Armée Secrète Arménienne de Libération de l'Arménie, la France l'aurait considéré (à juste titre) comme une agression.
Il paraît qu'on cherche un argument relevant du droit de poursuite. Or l'Etat Islamique n'a commis aucune agression contre la France, à plusieurs milliers de kilomètres de son emprise, et de toute façon le droit de poursuite n'est opposable qu'en cas d'action immédiate et ininterrompue suite à un flagrant délit ; passé le flagrant délit et interrompue la poursuite, si la France a un grief envers des bandes armées qu'elle soupçonne d'avoir trouvé refuge en Syrie, elle doit en demander le jugement ou l'extradition selon les voies interétatiques prévues à ce effet.
Faute d'arguments juridiques, on avancera des prétextes moraux comme la monstruosité des pratiques de l'Etat Islamique, prétendant oublier que la France (certes pas toute seule) a déclenché par une agression militaire, puis facilité par une occupation, exactement ces mêmes crimes, à savoir mutilations et décapitations au canif, viols systématiques, exterminations de villages entiers, extraction et commercialisation d'organes (chez l'Etat Islamique ce n'est que le sang), esclavage et commerce de femmes, destructions des sites archéologiques (inscrits au patrimoine de l'humanité) antérieurs à l'islamisation, bref tous les crimes aujourd'hui imputés à l'Etat Islamique, pratiqués à grande échelle au Kossovo et en Métochie de 1999 à ce jour.
Toujours sur le plan moral, on plaidera qu'on ne peut humainement laisser ces populations sous ce joug sans rien faire. Il y a pourtant d'autres possibilités d'action, la première étant de faire pression sur l'allié de la France, les Etats-Unis d'Amérique, pour qu'il retire son intimation faite aux gouvernements grec et bulgare, il y a quelques jours, d'interdire le passage de l'aide humanitaire russe : le premier secours serait justement de laisser arriver cette aide que, comme pour les populations civiles bombardées par l'armée ex-ukrainienne, aucun pays de l'OTAN ne souhaite offrir. Une autre possibilité d'action serait l'interruption immédiate de l'aide militaire (matériel et formation) envers les ennemis de la Syrie. Quatre ans de prétendues erreurs démontrent l'évidence : il n'y a en Syrie que les forces de la Syrie et celles de ses ennemis, dénommer "amis de la Syrie" des factieux extrémistes islamistes armés n'en fait pas des "modérés". Comme prévu, les armes et les guérilleros de l'Armée Syrienne Libre sont passées au front Al Nosra (Al Qaïda) et à l'Etat Islamique, il peut y avoir des escarmouches entre factions ou des changements esthétiques de noms mais on savait d'avance que le groupe le plus puissant absorberait les plus petits jusqu'à être à son tour absorbé par plus puissant. On a formé et armé une guérilla pour conquérir la Syrie, elle le fait. Le seul moyen de l'arrêter si on réprouve aujourd'hui les méthodes qu'elle a pratiquées depuis 2011, c'est d'une part de cesser de l'armer et de la financer, et d'autre part d'armer et d'aider le gouvernement du pays.
Au contraire, harceler (ou faire semblant, comme les Etats-Unis) l'Etat Islamique par quelques bombardements aériens sans les faire suivre par l'offensive terrestre seule à même de balayer cette organisation, c'est d'une part renforcer sa popularité et faciliter son recrutement, et d'autre part l'énerver. Certes le gouvernement français peut considérer cela comme un inconvénient mineur si le véritable objectif de son agression contre la Syrie est, comme c'était le cas jusqu'à présent, le renversement du gouvernement syrien et la destruction de la dernière société multiculturelle, multiconfessionnelle et pacifique du Proche-Orient. La modification constitutionnelle de 2008 a donné tout pouvoir au gouvernement français d'agresser un pays tiers sans autorisation parlementaire de déclaration de guerre, le régime a donc mis la France en état de guerre avec la Syrie. Mais en fait d'escalade préméditée, c'est peut-être la Russie (que la presse britannique a accusée mensongèrement la semaine dernière d'intervention militaire en Syrie) dont on espère pouvoir rencontrer les avions en duel aérien...