Le Sénégal n’aime pas les charters espagnols
Zapatero n’a pas fini de s’en mordre les doigts. Les Espagnols aussi. Et nous par la même occasion, à travers un jeu de billard à trois bandes qui prendra vite des allures de corrida, de part et d’autre des Pyrénées. Avoir ouvert la boîte de Pandore, en annonçant urbi et orbi que l’Espagne allait régulariser 800 000 clandestins, sera jugé par l’histoire comme un des derniers soubresauts des slogans "tiersmondistes" des années 1970, transposés stupidement sur un monde qui a muté depuis longtemps. Fallait-il payer collectivement un tribut aussi lourd pour pouvoir tourner la page ? L’histoire le dira. Le jugement risque d’être sans concession. Et José Luis Zapatero connaîtra sans doute le même verdict que Tony Blair, qui est allé engloutir en Irak plusieurs siècles de perfidie anglaise au Proche-Orient.
Mais avant de porter un tel jugement, il serait utile de s’interroger sur l’état de l’Espagne aujourd’hui, pour tenter de comprendre le sens d’une telle décision.
Depuis son entrée dans l’Europe, l’Espagne a bénéficié d’une manne financière considérable, sous forme de fonds structurels qui lui ont permis de se refaire une santé économique en quelques années. Les secteurs traditionnels (agriculture, pêche, transports, bâtiment et travaux publics) ont connu un boom sans précédent. Et par un jeu de chaises musicales naturel, quand la jeunesse a pu enfin disposer d’une capacité financière à la hauteur de ses ambitions, de nouvelles rentes de situation ont vu le jour permettant à l’économie dite "nouvelle" et au secteur tertiaire de décoller à leur tour. Vu de loin, le tableau semble idyllique, et nos médias, toujours en manque d’un nouveau modèle d’ailleurs-c’est-toujours-mieux-que-chez-nous, nous rabattent sans cesse les oreilles avec le miracle espagnol.
Miracle ou mirage ? Voyons d’un peu plus près ce qu’il en est.
L’agriculture espagnole est confrontée à un problème de fourniture et de gestion en eau catastrophique. Depuis une dizaine d’années, la Généralité de Barcelone est en pourparlers avec la région Languedoc-Roussillon et la Compagnie des eaux du Rhône afin d’amener l’eau de ce fleuve jusqu’au détroit de l’Ebre, grâce à un pipe-line dont la seule évocation fait bondir, à juste titre, tous les agriculteurs du Languedoc et de la Catalogne Nord, ainsi que les défenseurs de l’environnement qui n’ont aucun envie de voir le massif des Corbières et celui des Albères éventrés sans pitié pour faire passer les boyaux. D’autre part, l’Europe a financé des plantations en oliviers qui s’étendent de Grenade à Madrid. Depuis, les grandes huileries du Maghreb s’approvisionnent de l’autre côté de la Méditerranée, où les fruits sont produits à un coût de main-d’oeuvre inférieure. Situation qui a de quoi laisser songeurs ceux qui rêvent, de jour comme de nuit, à un "co-développement durable et équitable" pour sauver l’Afrique... Toujours dans le domaine agricole, on peut imaginer, sans risque de se tromper, que les touristes en goguette qui se promènent dans le Sud de l’Espagne, notamment dans la région allant de Murcie à Malaga (300 km au bas mot), ne manquent pas d’être étonnés par l’océan de serres qu’ils traversent, notamment autour de Motril (ville qui a connu de "tragiques évènements" racistes il y a peu). La route passe entre mer et montagne, et il est impossible de distinguer un bout de terre nue sur des étendues d’une taille équivalant en France à plusieurs cantons. La bande littorale et les versants du Sud de la Sierra Nevada sont tapissés d’immenses nappes de plastique gris du plus bel effet, ce qui permet aux "agriculteurs/financiers" du coin de produire chaque année deux à trois récoltes de légumes qui n’ont aucun goût. De quoi ravir les amis de Jean-Pierre Coffe.
Pour ce qui est de la pêche, le constat est plus alarmant encore. Et là aussi, la politique de l’Europe peut être mise en cause. Les Espagnols sont devenus les râcle-tout des fonds marins. En dix ans, ils ont même réussi à mettre à genoux le port d’Agadir qui était, il y a peu, le plus grand port sardinier du monde ! Safi et El Jadida sont exsangues. Après les sardines, ils s’en sont pris au poulpe, dont ils sont particulièrement amateurs avec les Japonais. En Méditerranée, ce sont les anchois qui ont disparu... Et pour le thon, les Italiens leur donnent un sérieux coup de main. Mais les Espagnols ne se contentent pas d’armer des bateaux et de laisser traîner des kilomètres de filets n’importe où. Ils contrôlent toute la chaîne de conditionnement et de distribution des ressources halieutiques par des réseaux plus ou moins mafieux ibéro-marocains, dans lesquels les militaires du coin trouvent quelque intérêt. Sans oublier les Chinois et les Coréens. A Laâyoune, Tantan et Dakhla, tout ce beau monde récupère la moindre prise (même celle des desperados de la canne à pêche, qui vivent accrochés à un bout de falaise balayée par des vents terribles pour sortir de l’écume deux ou trois dorades). Et s’il est toujours possible d’aller déguster dans ces villes des sardines fraîches près du port, les poissons de plus de valeur sont, dans leur quasi-totalité, détournés vers des marchés extérieurs (plus rentables).
A noter qu’au Maroc, agriculture et pêche sont deux secteurs totalement défiscalisés. C’est dire le bénéfice que peut en retirer l’Etat pour ses investissements d’une "mise à niveau" du pays, proposée et cofinancée par l’Europe...
Le secteur des transports intéresse lui aussi beaucoup les Espagnols On pourrait même dire qu’il les fascine. Car qui dit transport, dit possibilité de trafic, et, faut-il le rappeler, une vieille tradition ibérique a fait de la péninsule et de ses satellites canariens, majorquins et rifains une des plus importantes plates-formes de la contrebande qui fleurit entre trois continents Europe, Afrique et Amérique (Nord et Centre confondus). Il suffit de rappeler l’extraordinaire guerre du sucre que l’Espagne a menée contre la France, quand les deux pays administraient l’empire chérifien, au temps du Protectorat. Il est particulièrement instructif de prendre connaissance des rapports mensuels du bureau des Affaires indigènes des Confins (Cercle de Guelmim). On y voit les Espagnols faire passer d’énormes chargements de sucre clandestinement au Sud de l’Anti-Atlas, pour faire chuter les cours sur les souks tenus par les Français où ils venaient, par la même occasion, recruter des auxiliaires pour nourrir leur guerre civile. Sans parler des épisodes célèbres de trafics d’armes durant la Première Guerre mondiale, organisés pour le plus grand bonheur des Allemands à l’embouchure de l’oued Assaka et de l’oued Massa. Dans le Rif, la contrebande fait vivre aujourd’hui des centaines de milliers de personnes (électrons libres ou petits fonctionnaires en mal de fin de mois) : Marocains, Algériens, Espagnols de Sebta et de Melilla, tous s’adonnent à ce sport international. Il n’est qu’à passer la frontière de Melilla pour voir la procession ininterrompue de petites gens qui s’aventurent à pied, dans les collines, avec des sacs remplis de petites marchandises destinées à d’autres petites gens... Pour les trafics plus importants, adressez-vous aux autorités supérieures des deux pays... Vous aurez au moins la version officielle...
Dernier secteur qui a permis à l’Espagne de "décoller" : le bâtiment et les travaux publics. Pour ces derniers, rien à dire, l’Espagne avait un important retard à rattraper, et il est bon qu’il ait été comblé rapidement, même si, comme toujours dans le BTP, il n’a pas manqué d’engendrer quelques détournements de fonds qui ont laissé des traces (qu’on leur envoie J.-P. Pernaud !). L’essentiel du travail a été accompli, et saluons la performance. Il en va autrement dans le secteur du bâtiment privé, où le résultat obtenu commence à faire peur à tout le monde, tant pour ce qui est de l’environnement que des futures "crises de banlieues" que le pays vient de se programmer pour les vingt prochaines années. De la Costa Brava (Nord de Barcelone) à la Costa del Sol (Gibraltar et Algésiras), l’Espagne n’est plus qu’un gigantesque parc immobilier pour retraités européens et familles princières arabes, parmi lesquels les pays nordiques et anglo-saxons se taillent la part du lion. Les lotissements de 500 "villas typiques" ne se comptent plus à Torremolinos, Marbella, mais aussi du côté de Benidorm, Cartagène, Elche, Alicante. Pour ce qui est de la Costa Brava, il y a longtemps déjà qu’elle est saturée. Dans les années 1970, il s’y pratiquait même un sport original, dont j’ai été le témoin, du côté de Rosas. Le jeu consistait à faire sauter, de nuit, à coups de dynamite, quelques pans des magnifiques remparts de Charles Quint qui entouraient la ville, afin de libérer des terrains "constructibles". A noter qu’à cette époque, l’Espagne n’avait pas de loi permettant d’ordonner une démolition en cas de litige. Ce qui avait été construit le demeurait par la grâce du fait accompli. Aussi beaucoup de promoteurs se dépêchaient-ils d’élever des carcasses d’immeubles à la va-vite et sans permis, pour pouvoir les "remplir" tranquillement quand ils en auraient le temps et les moyens financiers... Pour ce qui est de la situation qui prévaudra bientôt dans les banlieues, il suffit de se perdre quelques heures à la périphérie de Valence, Malaga, Sabadell (banlieue de Barcelone) Lérida, et Madrid bien sûr. Les immeubles de dix ou quinze étages y sont collés les uns aux autres. Si Sarko rêve d’un bon kärcher pour nos cités, Zapatero aura besoin d’un bon malaxeur (genre toupie à béton) quand il lui faudra commencer à se pencher sur les problèmes de mixité qui ne manqueront pas de surgir dans peu de temps entre les tours de ces quartiers-clapiers.
Ce tableau brossé succinctement ne serait pas complet sans ajouter que le secteur hôtelier, par nature en grande partie saisonnier, emploie lui aussi de la main-d’oeuvre étrangère à des tâches subalternes (service, plonge, jardiniers, chauffeurs, gardiens, etc.).
C’est donc dans ce contexte-là que Zapatero régularise ses 800 000 clandestins, créant ainsi un appel d’air puissant pour l’immigration africaine (aux derniers nouvelles, des Pakistanais ont débarqué aux Canaries), qui prend chaque jour un peu plus l’allure d’un tsunami, sauf qu’au bout d’un compte forcément macabre, on risque de devoir dénombrer un peu plus de cadavres qu’en Indonésie. Etrange politique se proclamant socialiste et qui cherche avant tout à satisfaire des patrons soucieux de se procurer toujours plus de main-d’oeuvre pour bêcher, pêcher, monter des murs, charger des camions ou porter des assiettes sous le regard souvent hautain d’une population de nouveaux riches. D’ailleurs, l’exercice commence à faire peur à ceux qui parlent de justice sociale et qui tentent de l’appliquer sur le terrain : défaut de logement, de structures scolaires, encombrement des services sociaux, marché du travail bouleversé, sans compter l’inévitable polémique qui risque de couper le pays en deux à propos de l’intégration des familles des nouveaux "entrants". Pour le fun, je signale qu’à l’époque où les Espagnols allaient capturer leurs premiers esclaves noirs ou maures sur la côte de l’actuelle Mauritanie, ils utilisaient déjà le mot "entradas".
Conscient qu’il y a peut-être quelque chose de pourri au Royaume de la conscience sociale, depuis quelques jours, M. Zapatero demande un coup de main à l’Europe, qui en a l’habitude. Oh ! Pas une aide technique pour endiguer le problème. Il n’en est pas question. Et la fierté de l’hidalgo de base alors, qu’est-ce que vous en faites... Non, juste une petite aide pécuniaire de quelques centaines de millions d’euros ; ça peut toujours servir. Pour une fois, la réponse ne s’est pas fait attendre, et le chef du gouvernement espagnol vient de se faire renvoyer gentiment dans les cordes par ses collègues européens qui ne se sont pas privés de lui dire : "T’avais qu’à pas commencer"... Alors, pour assurer la promotion de sa politique qui n’est pas sans rappeler une campagne d’affichage qui nous avait émus en d’autres temps et pour des raisons bien plus affriolantes : " Aujourd’hui, j’enlève les vannes - demain, c’est vous qui épongez", le gouvernement espagnol a décidé d’organiser quelques vols "équitables" d’Africains vers l’Afrique, façon charters à Pasqua lorsqu’il était encore en grande forme...
N’oublions pas que, question voyages, depuis Christophe Colomb, l’Espagne en connaît un rayon. De plus, ce sont sans doute les mannes de Don Quichotte qui ont poussé le gouvernement espagnol à apporter une touche personnelle à ces nouveaux moyens de propulsion vers "l’inaccessible étoile" : les clandestins concernés ne connaissent pas leur destination quand ils montent dans le bel oiseau qui doit les amener vers l’Eden... La plupart croient dur comme fer qu’on est en train de les transférer sur le continent européen... Dans les avions, il est même prévu des forces de sécurité spécialement entraînées aux réveils brutaux, pour calmer ceux qui ont un peu trop le sens de l’orientation et qui sont capables de s’apercevoir, même dans les airs, qu’on est en train de leur jouer un sacré tour de cochon qui s’en dédit. Juan Fernando Lopez Aguilar, ministre espagnol de la Justice, s’est vu contraint de confirmer sur la chaîne de télévision Antena 3, qu’il existe bien une "procédure pour assurer la sécurité dans les avions". Ajoutant : "On peut avoir des mutineries à bord si les personnes rapatriées découvrent que leur destination n’est pas Madrid, Barcelone ou Séville"... Et dire que Lilian Thuram est toujours au FC Barcelone...
Mais là où le plan du bon docteur Zapatero connaît d’autres ratés autrement plus sérieux pour l’efficacité du processus, c’est qu’à l’arrivée, les Sénégalais n’en veulent pas, de ces oiseaux du malheur qui ramènent à la maison des gens dont ils n’étaient pas fâchés de s’être débarrassés, d’autant qu’ils allaient faire tourner tranquillement la lessiveuse à billets qui envoie chaque année quelques milliards d’euros au pays du Nil noir et dans les environs.
Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà... Tout compte fait, les temps ne changent pas tant que ça.
Patrick Adam
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