Les ambitions régionales de l’Iran au coeur de la tourmente
Les pressions des Etats-Unis sur le régime iranien se font de plus en plus pressantes depuis quelques semaines. Ces pressions marquent un changement de la politique américaine dans la région. L’Iran ayant profité de la politique américaine en Irak pour augmenter son influence dans la région, les Etats-Unis cherchent aujourd’hui à contenir les ambitions régionales de l’Iran.
Les déclarations américaines se multiplient quant à la nature agressive du régime iranien, dans un scénario qui rappelle les déclarations sur le régime de Saddam Hussein avant le lancement des opérations en Irak en 2003.
En février 2007, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale, fait part d’un scénario plausible pour justifier le départ en guerre contre l’Iran. Seymour Hersh, dans un article du New Yorker de mars 2007, analyse ce changement de politique américaine au Moyen-Orient comme étant destiné à réduire l’influence grandissante de l’Iran dans la région ; influence qui est une conséquence profonde et inattendue de la politique américaine en Irak.
Les ambitions géopolitiques de l’Iran au Moyen-Orient et sur la scène internationale sont multiples, que ce soit sur le plan stratégique et militaire, politique ou encore économique. L’Iran, de par sa taille et ses potentialités, ambitionne de devenir un leader dans la région qui l’entoure. Cette ambition n’est pas nouvelle dans les relations internationales iraniennes, puisqu’elle était déjà envisagée dans les années 1970, quand le Shah Mohammad Reza Pahlavi rêvait de faire de l’Iran le "gendarme du Golfe".
L’Iran a réussi à développer
une industrie militaire depuis la fin de la guerre Iran-Irak et est
aujourd’hui en mesure de produire des avions de transport et de combat,
des véhicules blindés, des missiles et des munitions. Ce développement
de l’industrie militaire a été rendu possible par les synergies avec la
technologie des principaux fournisseurs (Chine, Corée du Nord, Russie
et Ukraine) qui assurent aujourd’hui à l’Iran une autonomie dans la
conception et la production d’armements, ou la transformation de
ceux-ci en versions plus modernes[1]. Le matériel produit en Iran reste
toutefois obsolète par rapport au matériel employé par les pays
voisins. Le rôle du programme nucléaire de la République islamique
d’Iran a été considéré comme une force de "dissuasion virtuelle"
par certains experts. L’Iran montre ainsi ses capacités à développer la
technologie nucléaire, en essayant de rester dans la légalité prévue
par le TNP.
Les forces militaires et la position géographique du
pays lui donnent une position d’importance au débouché du Golfe persique, dans le détroit d’Ormuz, par lequel transitent 40 % du pétrole
mondial. De plus, l’Iran est naturellement un pays de transit avec les
quinze pays voisins avec lesquels il partage des frontières terrestres
et maritimes. Au cours des dernières années, le développement du chemin
de fer, des routes et des voies aériennes marque une avancée dans ce
sens. L’Iran, qui possède les deuxièmes réserves mondiales de gaz
naturel, cherche par ce moyen à développer ses ambitions régionales et
internationales. Oman a signé en mai 2007 un accord de coopération avec
l’Iran pour l’exploitation d’un champ de gaz du Golfe persique. Un
gazoduc reliant l’Iran à l’Arménie a été inauguré le 19 mars 2007. La
Géorgie, qui cherche à réduire son indépendance énergétique vis-à-vis
de la Russie, pourrait être intéressée par une extension de ce gazoduc
jusqu’à son territoire[2]. L’Iran est également en train de finaliser
les pourparlers autour d’un projet de gazoduc reliant le pays à l’Inde
via le Pakistan, qui permettrait d’exporter 60 millions de mètres cubes
de gaz par jour afin d’alimenter ces nations de l’Asie du Sud en fort
développement (ce projet rencontre d’ailleurs l’opposition des Etats-Unis, qui voudraient construire un gazoduc entre le Turkménistan et l’Inde passant par l’Afghanistan).
La République islamique d’Iran essaie également
d’étendre son influence en finançant des projets dans les pays voisins,
comme elle l’a fait par exemple au Tadjikistan en finançant des
projets d’importance stratégique (tunnel routier, central et réseau
électrique). Téhéran cherche également des ouvertures vers d’autres pays en développement, comme le montrent les rapprochements avec le Venezuela ou les actions commerciales lancées dans les pays d’Afrique.
D’un point de vue industriel et commercial, l’Iran devient de plus en plus présent chez ses voisins. Les biens d’origine iranienne envahissent les marchés irakiens. Les échanges avec la région autonome du Kurdistan irakien se seraient élevées à plus d’un milliard de dollars en 2006 d’après le gouvernement iranien. Le 13 juin 2007, les premières Logan fabriquées en Iran (sous le nom de Tondar-90) étaient livrées aux clients iraniens. Cette nouvelle voiture est le résultat d’une joint-venture entre IranKhodro, Saipa et Renault, qui a investi 300 millions de dollars dans ce projet. Cette joint-venture devrait permettre de produire 10 000 véhicules par mois à partir de mars 2008[3].
Enfin, l’Iran semble être un partenaire incontournable pour les Etats-Unis dans la stabilisation de la situation en Irak. Les Américains ont d’ailleurs été obligés de reconnaitre ce rôle de l’Iran en s’asseyant à la même table que les Iraniens lors du sommet de Charm-el-Cheikh début mai 2007. Ce rôle de l’Iran en Irak est lié aux tensions sur le programme nucléaire iranien[4].
Les Etats-Unis, mis en difficulté en Irak, vont maintenant chercher à déstabiliser l’Iran, qui prend trop d’influence dans la région. Cette politique de "containment" des ambitions iraniennes passe par des pressions de la part des Américains, et, dans l’hypothèse la plus pessimiste, par la mise en oeuvre du scénario évoqué par Zbigniew Brzezinski. L’Iran, déjà catalogué parmi les pays de l’Axe du mal, fait l’objet de déclarations américaines répétées visant à démontrer publiquement le pouvoir de nuisance, réel ou supposé, de Téhéran. Récemment, le sous-secrétaire d’Etat américain, Nicholas Burns, faisait état des preuves irréfutables dont disposait les Etats-Unis au sujet des armes d’origine iraniennes livrées aux talibans en Afghanistan. Les références aux Pasdarans (Gardiens de la révolution) dans le soutien à des groupes terroristes comme le Hezbollah au Liban ou le Hamas en Palestine sont régulières.
L’affaiblissement de l’Iran passe aussi par les sanctions qui sont proposées par la communauté internationale à l’encontre de l’Iran. Washington est un moteur dans ces proposition de sanctions, quand le département du Trésor américain demande le gel des avoirs internationaux de la banque Sepah ou de la banque Saderat par exemple. Les mouvements indépendantistes aux marches de l’Iran, qui seraient, selon certains experts, aidés par les Etats-Unis, visent également à déstabiliser le régime iranien. Les évènements violents qui ont eu lieu récemment dans les zones kurdes (échanges de coups entre indépendantistes kurdes et les forces de l’ordre), baloutches (attentat contre un bus de Pasdaran) ou l’agitation régulière qui soulève la communauté azérie sont des illustrations de ce point de la politique américaine.
La suite du scénario décrit par Zbigniew Brzezinski serait de rendre l’Iran responsable d’une attaque terroriste organisée par Al-Qaida sur le sol américain, qui serait présentée comme organisée depuis le territoire iranien. Il est encore difficile de savoir si ce scénario se réalisera. L’issue de la crise entre l’Iran et les Etats-Unis dépendra en grande partie de l’orientation prise par la Maison-Blanche. Seymour Hersh relatait au mois de mars l’existence de deux vues qui s’affrontaient à Washington : certains voient l’Iran comme le plus grand danger, d’autres pensent que ce sont les extrémistes sunnites. Les forces armées qui se pressent autour de l’Iran et les rapprochements entre Israël et l’Arabie saoudite (qui voient tous deux l’Iran comme une menace dans la région) laissent à penser que réduire l’influence de l’Iran est effectivement le nouvel objectif de l’administration américaine, quel qu’en soit le prix.
Notes :
[1] : voir Autarcie : l’industrie militaire iranienne. Projets et développements de systèmes d’armes,
Michel Brunelli, Groupe d’étude sur le Nucléaire et les relations
internationales et stratégiques, janvier 2001. Voir également « Iran makes big strides in missile capability », Nadim Kawach, Gulf News, 15 mars 2004.
[2] : voir « GEORGIA SHOWS INTEREST IN IRAN-ARMENIA GAS PIPELINE », Maryanna Gregorian, Eurasianet, 12 avril 2007.
[3] : voir « First Iranian-made Renault Logans hit the road », Middle East Times, 13 juin 2007
[4] : voir Iran’s influence in Iraq, un rapport de Kenneth Katzmann destiné au Congrès américain.
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