Les Indiens du Brésil sont en guerre... pour leurs droits
Depuis vingt ans, des territoires ont été officiellement reconnus par le gouvernement brésilien comme appartenant aux diverses tribus indiennes du nord du Brésil. Pourtant, cela n’a pas empêché des fermiers de s’installer pour cultiver du riz, et ensuite de défendre ces terres bec et ongle. Le 5 mai dernier, ils ont tiré sur des Indiens qui "envahissaient" leur terre, faisant dix blessés.
Historique de la situation : la "Raposa Serra do Sol" est une immense réserve indienne située au nord-est de l’Etat de Roraima, au nord du Brésil, à la frontière du Venezuela et de la Guyane française, avec une surface d’1,67 million d’hectares. Près de 20 000 Indiens y habitent. La réserve a été délimitée pendant le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. En 2005, le gouvernement Lula a signé le décret d’homologation des terres en continu, avec la prévision de désappropriation des occupants non-Indiens, comme les planteurs de riz qui, venant du sud du pays, s’étaient installés en 1990 et avaient occupé une partie de la réserve. Le plus grand producteur s’appelle Paulo César Quartiero, et c’est à lui qu’appartient la ferme où dix Indiens ont été blessés par balle le 5 mai dernier. Il est également le maire de la petite ville de Pacaraima, située au milieu des plantations illégales.
Depuis 2005, de nombreuses protestations des propriétaires de rizières se sont élevées contre la délimitation de la réserve « en continu » (un territoire unique), au profit d’une délimitation en « îles », créant de nombreuses petites réserves isolées et leur permettant ainsi de garder leur terre. Le mouvement est devenu très violent, avec des barrages sur les routes, invasion de bâtiments publics, pont (en bois) incendiés et enlèvement de prêtres favorables à la délimitation en continu.
En 2007, le gouvernement fédéral a préparé une action pour expulser de force les planteurs rebelles. La police fédéral a demandé l’aide de l’armée qui, non contente de refuser sa participation, a également alerté les parlementaires contraires à la délimitation en continu, ce qui a complètement bloqué le processus. Début 2008, le Tribunal supérieur fédéral (STF, la plus haute instance de justice brésilienne) a suspendu temporairement cette action de la police, tant que les nombreux recours qui lui ont été soumis par les parlementaires ne seront pas jugés définitivement.
Les faits : le 5 mai dernier, des « jagunços » (espèces de cow-boys à la solde des propriétaires) montés sur un pick-up et cinq motos ont tiré sur des Indiens qui construisaient une maison dans la réserve, mais sur le terrain d’une ferme appartenant à Paulo César Quartiero. Ce qui n’aurait dû être qu’un événement « discret » s’est nettement amplifié par le fait que les Indiens ont réussi à filmer cette attaque, et que la vidéo est passée dans tous les journaux télévisés. De plus, cette attaque a fait dix blessés, dont un grave atteint à la tête.
Il faut savoir que, dans ces contrées reculées, le gouvernement a bien du mal à faire respecter l’ordre dans des territoires immenses recouverts de végétation équatoriale. La réalité ressemble plus à un Far-West où la justice est souvent gérée à coup de fusils directement par les "cow-boys" des grands propriétaires, eux-mêmes souvent élus à des fonctions importantes (maires, députés, sénateurs).
C’est dans cette région (Etat voisin du Para) qu’avait été également exécutée la religieuse américaine Dorothy Stang en février 2005, qui faisait campagne contre le déboisement abusif par les grands propriétaires de bétail. Le procès en appel du mandataire, propriétaire terrien condamné en première instance à trente ans de prison, s’est justement terminé le 7 mai dernier par l’acquittement de celui-ci, faute de preuve, tous les témoins à charge (y compris le tueur pourtant condamné à vingt-huit ans de prison) s’étant mystérieusement rétractés. Qui a dit "pratiques mafieuses" ?...
Paulo César Quartiero a été arrêté dès le 6 mai, ainsi que quinze autres suspects de la fusillade. Dix ont déjà été relâchés.
Le STF doit se prononcer définitivement, dans les prochains jours, sur la validité de la délimitation en continu de la réserve Raposa Serra do Sol. Cette décision est très importante, et va conditionner le retour au calme ou un nouveau déchaînement de violence dans cette région.
Même si tout indique que la décision devrait être favorable aux Indiens, dont le statut protégé et la propriété des terres sont clairement définis dans la constitution brésilienne, cela ne veut pas dire pour autant que les propriétaires vont abandonner leur terre facilement. On s’attend à de nouveaux débats, procès et violences pendant de longs mois avant qu’ils cèdent, ou bien qu’ils réussissent, à coup d’intimidation, de corruption et de relations, à faire revenir en arrière le gouvernement ou, plus simplement, à faire traîner les décisions pendant encore de nombreuses années.
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