Lois Internet et « piratage » : petit tour du monde
La loi Hadopi, organisant la répression du téléchargement illégal sur Internet, et actuellement en débat à l’Assemblée nationale, a mis en lumière le difficile rapport entre mondialisation des pratiques culturelles sur Internet et adaptation des droits nationaux. Si de nombreux pays sont confrontés au problème, tous n’ont pas la même façon de l’aborder. Petit tour du monde des lois en matière de « piratage » sur Internet.
(Carte des connexions aux serveurs de The Pirate Bay, un site suédois très apprécié à travers le monde pour les nombreux fichiers piratés qu’il permet d’échanger. Les flocons de neige signifient un trafic nul. Au moment où cette copie d’écran était réalisée (15h à Paris), les Chinois représentaient plus de 20 % des connexions.)
La diffusion de l’Internet haut débit dans les pays du Nord au début des années 2000 a entraîné la généralisation des échanges de fichiers numériques via des plateformes de téléchargement. Cette pratique, appelé peer-to-peer (P2P), ou pair-à-pair, vous permet depuis votre ordinateur de télécharger un fichier qu’un autre internaute aura mis à disposition sur son ordinateur, que cette personne se trouve au coin de votre rue ou à l’autre bout du monde. Abolissant la frontière de lieu, et réduisant considérablement celle de temps, cette technologie constitue un outil sans précédent dans l’histoire de la mondialisation des échanges culturels.
Mais un problème se pose ici autour de la question des droits d’auteur. Une grande partie des fichiers échangés concerne en effet des fichiers audio et video, permettant à ces internautes d’avoir accès à des films, séries, CD, etc… sans passer par la case paiement, empêchant ainsi toute rétribution des artistes.
En quelques années, le phénomène a pris une telle ampleur que de nombreux pays ont dû légiférer sur la question. En France, en mars 2009, est débattue à l’Assemblée Nationale la loi Hadopi, qui institue la sanction des internautes se livrant au téléchargement illégal par la riposte graduée. Chaque internaute qui télécharge hors des circuits légaux se verra ainsi notifier par courriel le caractère illégal de sa pratique. S’il persiste, une notification lui parviendra par lettre recommandée, puis son abonnement internet pourra être coupé, pour une durée pouvant aller jusqu’à un an. Une nouvelle autorité administrative est également mise en place, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), afin de sanctionner les internautes sans encombrer les tribunaux. Il est à noter ici que l’internaute n’aura dans le cadre de ces procédures aucun moyen de contester la décision prise.
Ce parti pris répressif, soutenu par les ayants droit et notamment la Fédération internationale de l’industrie phonographique, a également été adopté en Italie et aux Etats-Unis. En Irlande, les autorités se dirigent également vers l’adoption de la riposte graduée, et du blocage de certains sites suite aux menaces et procès de l’industrie du disque à l’encontre des Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI). En Suisse, les ayants droit peuvent contacter directement les internautes qui téléchargent les œuvres dont ils disposent pour réclamer leur dû.
Le problème de la riposte graduée, outre son caractère rétrograde, les doutes sur son efficacité et les conditions techniques de sa mise en place, est qu’elle risque de se retrouver hors-la-loi. La coupure d’accès à Internet se heurte en effet au droit européen. L’amendement 138 du « paquet Télécom » (qui n’est pas encore entré en application) stipule en effet qu’« aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire », et pourrait ainsi invalider les décisions prises par l’Hadopi. Un amendement similaire a été adopté l’ année dernière par le Parlement européen. Cet amendement, déposé par Guy Bono et Michel Rocard, appelait à « éviter l’adoption de mesures allant à l’encontre des droits de l’homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d’efficacité et d’effet dissuasif telles que l’interruption de l’accès à Internet ».
Viviane Reding, Commissaire européenne de la Société de l’Information et des Médias, s’est également réjouie de la mobilisation de la société civile européenne contre l’optique répressive, jugeant que les enjeux des libertés numériques, de protection de la vie privée, et de préservation de l’architecture ouverte de l’internet avaient été largement négligés par les législateurs nationaux.
D’autres pays ont adopté des politiques différentes. L’Allemagne, qui s’était engagée sur la voie de la riposte graduée, a finalement fait marche arrière, la ministre de la justice estimant que « le blocage de l’accès à Internet est une sanction tout à fait inacceptable" qui serait "constitutionnellement et politiquement très difficile ». La Grande-Bretagne, comme la Nouvelle-Zélande, se sont quant à elles engagées dans la voie du compromis entre les différents acteurs.
L’application de la riposte graduée se heurte également à des problèmes techniques. L’internaute étant identifié à partir de son adresse IP (chaque appareil connecté à internet possède une adresse IP-pour Internet Protocol- unique, qui permet de l’identifier sur le réseau), les internautes vont être obligés de sécuriser leurs réseaux, ou d’utiliser des techniques de brouillage des adresses IP, ce qui fait dire à Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du net (association de défense des libertés civiles sur internet), que la loi Hadopi est « une mauvaise réponse à un faux problème ». Ce problème pratique a également poussé la Belgique et le Danemark à abandonner leurs tentatives de blocage des plateformes de téléchargement.
Un dernier point : le prix de la réforme. Selon Les Echos, les FAI devraient débourser près de 70 millions d’euros pour s’adapter à la nouvelle loi, et cette somme pourrait peser sur les factures des abonnés. Surtout, dans ces débats passionnés opposant artistes, ayants droit et internautes, on oublie souvent que d’autres alternatives existent, comme par exemple celle de la licence globale. Cette licence se propose de taxer les FAI et de reverser une rétribution forfaitaire aux ayants droit, proportionnellement aux téléchargements des œuvres dont ils disposent.
Le ministre norvégien de l’éducation et de la recherche s’est d’ailleurs prononcé en faveur de cette solution, déclarant que « les artistes doivent être payés pour leur travail. Il est inacceptable de diffuser leur production sans les payer pour cela. Mais nous devons aussi cesser de nous battre contre l’avenir. Certains se comportent comme s’ils voulaient répéter la défiance qu’il y a eu contre la télévision couleur, ou contre les cassettes audio ». C’est également le choix qu’a adopté l’île de Man. Cette petite dépendance de la Couronne britannique de 80 000 habitants a en effet instauré une taxe sur tous les abonnements internet, en contrepartie de laquelle les résidents de l’île pourront télécharger librement toute la musique de leur choix.
Même si cette alternative s’appliquera plus difficilement à un grand pays, elle nous rappelle que les évolutions technologiques, et leurs usages sociaux, ont toujours pris de vitesse les dispositions juridiques, et dans ces cas précis, l’Histoire nous apprend que l’adoption d’une posture défensive rime rarement avec efficacité.
Lire l’article sur le site Globosphere
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