Lula : Le jugement
Attendu par les uns, redouté par les autres, le jugement de la candidature de Lula aux élections présidentielles brésiliennes a eu lieu ce vendredi 31 août 2018, en session extraordinaire, bousculant même la procédure. Une date lourde de symbole quand on sait que c’est le 31 août 2016 qu’a été officiellement destituée la présidente Dilma Rousseff.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH170/Fachin-Voto-TSE-25a6e.jpg)
Après un réquisitoire de deux heures, le juge-rapporteur du dossier d’invalidation de la candidature de Lula rend son verdict : Lula est inéligible au vu de la loi du “casier vierge” (Ficha Limpa) et le recours du Comité des Droit de l’Homme de l’ONU est sans valeur aux yeux de l’ordonnancement juridique brésilien.
À sa suite, le premier juge du Tribunal Supérieur Électoral (TSE) à prendre la parole, juge Edson Fachin, entame une argumentation d’une heure et vingt minutes au cours de laquelle il démontrera, point par point, à la fois la force de la loi de la “Ficha Limpa” rendant Lula inéligible, mais aussi, et surtout, l’obligation de l’État brésilien, signataire d’un traité ratifié par le Parlement, de s’aligner sur la décision de ce Comité onusien et se prononce en faveur de la candidature de l’ex-chef de l’État, et ce malgré sa condamnation, peu importe si justifiée ou non.
Il terminera sa plaidoirie avec une fermeté sans appel en citant le juge de la Cour Suprême américaine, Stephen Breyer : « Les juges peuvent avoir eu une expérience politique, et peuvent personnellement avoir une opinion politique donnée, mais lorsqu’ils revêtent leur robe ils sont politiquement neutres, ils ne favorisent ni une partie, ni l’autre. Si un juge pense agir par idéologie, il sait qu’il fait fausse route, et il essaiera de l’éviter. » Et il conclura par ces mots : « Je suis certain, bien qu’il y ait des divergences sur ce point, que cette leçon s’applique à mon éminent collègue juge-rapporteur, et c’est également par cet éclairage que j’ai arrêté mes conclusions Madame la Présidente. »
Sans voix, celle-ci suspend la séance pour un quart d'heure qui se prolonge une quarantaine de minutes puis, conformément au script préétabli et malgré la voix dissonante du juge Fachin, la candidature de Lula est invalidée par 6 voix à 1. Toutefois, l’avertissement prononcé en session plénière sonne comme une reconnaissance implicite : Lula est l’objet d’une persécution politique.
Quelle sera la suite de cet imbroglio ?
À 36 jours du premier tour des élections, personne ne saurait le dire. Le Parti des Travailleurs va continuer à se battre sur tous les fronts légaux pour faire valoir le droit de Lula à participer aux élections, tout en poursuivant la campagne électorale par le biais du vice-président Fernando Haddad et de Manuela D’Ávila, elle aussi candidate à la vice-présidence et représentante de Lula.
Par ailleurs, des mouvements populaires spontanés pourraient s’organiser, comme cela s’est produit dès ce matin dans la ville de Curitiba où se trouve enfermé de président Lula et où des routes ont été coupées par des barrières de pneus incendiés en signe de protestation.
À mesure que le temps passe, le coup d’État s’embourbe dans ses propres contradictions. La stratégie de Lula et de sa défense fonctionne dans la mesure où elle pousse les putschistes dans leurs retranchements et les force à commettre des actes dont la cohérence échappe à tous les observateurs. En revanche, ce qui n’échappe à personne, c’est le traitement d’exception qui lui est réservé, comme en témoigne encore la visite de l’ex-leader du SPD allemand Martin Schulz, couverte par un article du Der Spiegel. Récemment, c’est Douglas Herbert qui commentait les incohérences du dossier Lula sur France 24 en affirmant : « Je pense que les affirmations de Lula sont très crédibles, car il semble y avoir une tendance profondément enracinée dans une société très divisée et polarisée qui ne veut pas voir Lula de retour à la présidence et tente par tous les moyens de l’en empêcher. »
Alors que la campagne électorale télévisée gratuite commence aujourd’hui, 1er septembre, le PT a maintenant devant lui 10 jours pour désigner le remplaçant de Lula sur les listes électorales, ce dernier n’ayant même plus le droit de voir son nom figurer sur du matériel de campagne. Définitivement, le Brésil est à la dérive et on se demande vraiment comment le pays se relèvera de cette lente agonie, malgré cette affirmation du juge-rapporteur qui pourrait porter à rire, vu que si c’était le cas, il n’aurait certainement pas besoin de le rappeler : « Le Brésil est un État de Droit démocratique. Nous ne sommes pas sous un régime d’exception. Toutes les Institutions fonctionnent normalement et le pouvoir judiciaire est un pouvoir indépendant. »
Face à ce cynisme, je me souviens de la phrase prémonitoire prononcée par le président de la Chambre des Députés, Eduardo Cunha, le 17 avril 2016, lors du vote qui a donné lieu à la procédure de destitution de Dilma Rousseff : « Dieu ait pitié de cette nation ! »
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