Monsieur le président Nicolas Sarkozy je vous fais une lettre...
... que vous lirez peut-être... Vous vous rappelez le texte de Vian pendant la guerre d’Algérie... des tas de gens l’ont chanté. Dont un bon nombre de ringards, il est vrai. Il n’empêche, ce « Déserteur » avait eu un succès retentissant, exprimant pour la première fois des réticences sur ce qui était présenté comme une simple « opération de police » par le ministre de l’Intérieur de l’époque (à vous de deviner qui *) et qui s’est très vite transformée en guerre véritable, avec son cortège d’exactions de part et d’autre.
Aujourd’hui, donc, notre bon président dans son infinie sagesse militaire a décidé que nous allons mourir pour le pavot. Comme le dit mon confrère Henry, le hic "c’est que ça ne passe pas". Ni à l’Assemblée nationale, plutôt frileuse, ni dans l’opinion publique qui se dit déjà qu’elle n’a pas voté pour qu’on entre en guerre... alors qu’on l’est déjà, en fait. L’envoi de "forces de sécurisation " cet euphémisme, évoque étrangement en effet cette fameuse "opération de police" dans les années 50 qui s’est terminée piteusement à... Evian. Une opération commencée par une phrase célèbre :“contre les séparatistes, ça ne peut être que la guerre”**. Allons-nous recommencer la même erreur ? Devrons-nous à nouveau déserter ? Fort heureusement, me direz-vous, l’armée de conscription n’existe plus, ne restent que les engagés...
Se battre, et pas contre n’importe quoi, comme vient de le rappeler fort maladroitement notre Premier ministre bien pâlichon. Ils vont se battre, nos valeureux soldats "pour qu’il n’y ait pas un nouveau 11-Septembre 2001", a-il déclaré avec emphase devant une Assemblée nationale bien surprise devant cette évocation inopinée de la catastrophe. Une déclaration qui laisse bien perplexe : même un Redeker, ce faux philosophe d’opérette n’y aurait pas pensé, à cette explication sortie du chapeau d’un Premier ministre venu à l’Assemblée tenter de vendre (plutôt en traînant les godillots) la nouvelle lubie présidentielle. Ou bien, effectivement, il y en a un autre en préparation, de 11-Septembre, et seul le président l’aurait appris lors de ses dernières rencontres avec le président américain, ou bien l’intervention de "quelques" soldats supplémentaire va réussir à inverser la vapeur et faire gagner une coalition hétéroclite de soldats qui jusqu’ici n’avait en rien endigué la reconquête du pays par les talibans. Ou notre Premier ministre prend ses renforts pour des surhommes et ses Rafale comme l’avion du siècle, ou... ce sera un fiasco, dont certains s’extraient à tire d’aile en ce moment dans les forces engagées, les Canadiens comme les membres de l’Otan. Même les Anglais n’y croient plus : retranchés sur l’aéroport de Bassorah, leur "autre planète", ils n’ont participé en rien aux derniers événements et aux coups de boutoir des milices de Sadr.
Cette guerre, perdue d’avance tant elle s’est mal engagée, nous n’avons donc pas à la faire... oui, mais. Notre président, un peu têtu sur les bords y tient. Et, pour arriver à convaincre son peuple, devra bien trouver une méthode. Sa récente visite au Royaume-Uni devrait l’y aider : là-bas, il y en a un qui a tout compris, à comment vendre une guerre, et ce, même sur plusieurs années d’affilée. En s’attaquant à la base aux futures recrues parmi les soldats : les lycéens.
Récemment encore, on vous expliquait ici même que la propagande américaine continuait à fonctionner à pleins tubes en Irak, alors qu’elle s’était imposée avec force en 2003 déjà à l’ONU avec un Colin Powell en représentant de commerce de la mort. Il n’y a pas que lui. Un homme s’était associé au mensonge, et est allé tout aussi loin en s’enfonçant dans des affaires louches comme celles de la mort du Dr Kelly, c’est Tony Blair, le meilleur allié de W. Bush avant que n’apparaisse sur la planète son deuxième "caniche" européen... un Tony Blair qui a pensé qu’un jour, peut-être, il serait rattrapé par l’Histoire, qui le jugera pour ce qu’il a commis, à savoir un énorme mensonge d’Etat. Un Tony Blair sur ses gardes, qui a songé à cette perspective dans quelques années en prévoyant dès à présent son désamorçage. Avec un procédé dont je vous laisse juge : celui de vouloir présenter l’arrivée de l’Angleterre dans cette guerre irakienne de façon frelatée dans les livres d’histoire des lycées anglais, en commençant cette fois par des recommandations faites aux enseignants sur la façon d’aborder le problème, en provenance directe du ministère de la Défense anglais (MOD).
Ce sont ces recommandations douteuses qui ont fait bondir aujourd’hui les enseignants anglais. A sa façon, donc, Blair revisite sa propre histoire, qui n’est pas pour le moins très reluisante : à espérer que notre bon président ne s’en inspire pas. On peut même parler sans hésiter de falsification et de réécriture de l’histoire en général, ce dont ne se privent pas les enseignants anglais littéralement révoltés par la méthode employée. Il n’y a donc pas non plus qu’en France, au final, que l’Etat, en son chef, se targue de vouloir influencer les esprits via l’école...
Dans la partie "étudiants", ces recommandations évoquent bien la "reconstruction" du pays, mais en parlant des 5 000 écoles et des 20 hôpitaux reconstruits ou pas. Mais rien sur les destructions des bâtiments civils en général. Dans la partie "notes pour les professeurs", plusieurs phrases et commentaires font davantage bondir les enseignants. Car elles sont rédigées dans le plus pur style de propagande d’un autre âge :
A propos des armes de destruction massives, on atteint en effet des sommets :"Iraq was invaded early 2003 by a United States coalition. Twenty-nine other countries, including the UK, also provided troops... Iraq had not abandoned its nuclear and chemical weapons development program". After the first Gulf War, "Iraq did not honour the cease-fire agreement by surrendering weapons of mass destruction...", dit la note. Vous avez bien lu : selon le ministère de la Défense, les Anglais ont trouvé des armes de destructions massives, c’est sûr, puisqu’ils affirment que Saddam continuait à en produire ! L’intéressé lui-même dans son interview à 60 Minutes avait dit le contraire, mais il ne semble pas que le ministère anglais s’embarrasse de cette sorte de détails. Pour lui, on en reste à... Colin Powell et son grand cirque médiatique dans la version des écoles ! Quant à la "fantastique" coalition mise en avant, ses 32 cités contiennent L’Erythrée, Le Salvador (avec 374 soldats) et la Macédoine et le Kazakhstan. L’avant-dernier pour 31 malheureux soldats, et pour 27 chez les Kazakhs. Najaf, la ville sainte a été désertée dès 2004 par les Dominicains (300 soldats) et les Honduriens (368 hommes). Les Anglais vivent terrés sur l’aérodrome de Bassorah et n’en sortent plus depuis des mois.
A propos du pouvoir en place au moment de l’intervention, les textes officiels valent également leur pesant de cacahuètes : "The invasion was also necessary to allow the opportunity to remove Saddam, an oppressive dictator, from power, and bring democracy to Iraq". On évoque la grande idée généreuse d’apporter la démocratie, mais sans jamais évoquer non plus le fait que les Nations unies n’avaient en aucun cas soutenu cette décision. Présentée ainsi, elle ne peut qu’être une "bonne" décision aux yeux des étudiants ! D’autant plus que l’armée anglaise recrute aisément dans les écoles, on voit bien le danger à présenter les choses de façon unilatérale et sectaire. Et l’idée d’envahir l’Irak pour renverser le dictateur n’a jamais été au programme de l’invasion au départ : Saddam Hussein était alors celui qui avait protégé et armé Ben Laden, et était censé posséder de super-armes, un fait qu’aujourd’hui le Pentagone lui-même dénie "discrètement", mais qui est la seule excuse véritable qui a servi pour le renverser. "Nous savons qu’il (Saddam Hussein) a de nouveau essayé de fabriquer des armes nucléaires et nous savons qu’il entretient des relations de longue date avec des groupes terroristes, dont Al-Qaïda" clame à l’époque Dick Cheney : ce sera longtemps la seule thèse officielle. Et pas un journaliste pour le lui rappeler aujourd’hui. Pour ce qui est de la "démocratie" apportée, il faut tout autant minimiser, sinon dénigrer totalement : les Chiites seuls ont été portés au pouvoir, se mettant à dos la communauté sunnite et provoquant de facto une scission dans le pays. Le fait aussi de ne pas accepter la réintégration des anciens cadres du parti Baassiste au sein des administrations, en plus de désorganiser le pays, peut être aussi considéré comme un sectarisme et un déni de démocratie. Les hommes en place ayant des compétences ont manqué lors du redécollage économique du pays, si tenté qu’il y en ait eu un. Il est toujours au point mort : les seuls qui en profitent sont... américains.
Question chiffres, également, dans les manuels, ce n’est pas tout à fait ça : "Over 7,000 British troops remain in Iraq... to contribute to reconstruction, training Iraqi security forces... They continue to fight against a strong militant Iraqi insurgency." En fait le chiffre est en dessous des 5 000 depuis plus de cinq mois, Bassorah a été désertée par les Anglais et le "contrôle" de la ville est aux mains des milices privées payées par le gouvernement, on l’a clairement vu la semaine dernière avec les combats sanglants qui s’y sont produits. Les Anglais ne contrôlent plus que l’aéroport, et ne participent plus aux combats. Une interview au vitriol en avril 2007 d’un soldat anglais parue dans The Independent dressait un tout autre tableau de la situation. "Basra is lost, they are in control now. It’s a full-scale riot and the Government are just trying to save face", avoue le militaire de 27 ans à une journaliste, et qui précise aussitôt "I want people to see it as it is ; not the sugar-coated version". "Towards the end of January to March, it was like a siege mentality. We were getting mortared every hour of the day. We were constantly being fired at. We basically didn’t sleep for six months. You couldn’t rest. Psychologically, it wore you down". Pour lui, les jeux sont faits : "We should speed up the withdrawal. It’s a lost battle. We should pull out and call it quits." Partir, c’est ce que sont en train de faire les Anglais, dès aujourd’hui. Un seul homme a réussi à les empêcher de le faire plus vite : non ce n’est ni Gordon Brown ni Maliki, c’est Sadr et ses milices.
Partir, donc, certes mais en laissant quoi derrière ? Selon nos fameux propagandistes blairistes, un monde en marche, véritablement, entièrement sécurisé : "Over 312,000 Iraqi security forces have been trained and equipped (Police, Army and Navy)." affirme le manuel du parfait endoctriné. En fait, le pays est aux mains des factions et des groupes de miliciens icontrôlables, la police elle-même étant infiltrée par les miliciens Chiites. Le plus bel exemple en étant cette attaque d’un poste de police par l’armée anglaise pour délivrer deux de ses soldats retenus par cette même police ! Au final, ce sont les bulldozers anglais, qui, en fracassant l’un des murs de la prison, avaient permis de recouvrer les deux soldats retenus ! Une image écornée qui ne semble pas affaiblir le responsable de la prose gouvernementale : "From hospitals to schools to wastewater treatment plants, the presence of coalition troops is aiding the reconstruction of post-Saddam Iraq." On en est aujourd’hui à cinq années de présence en Irak, et à Bagdad c’est toujours trois heures maximum d’électricité par jour, le service des eaux est inexistant, les eaux de la capitale sont polluées par l’uranium appauvri et, dans les hôpitaux, on est prié d’apporter son sang ou de faire la quête dehors pour en avoir à transfuser. Comme pays "reconstruit", il y a mieux, beaucoup mieux !
A lire cette prose imposée, le représentant général des syndicats d’enseignants anglais ne décolère pas : "It is an attack on practices that we cannot condone in schools. It is a question of whether you present fair and balanced views or put forward prejudice and propaganda to youngsters." Car c’est bien là en effet la question : à quoi cela peut-il servir de mentir autant, si ce n’est pour faire passer l’idée d’une guerre qui a démarré par l’un des plus gros mensonges de tous les temps ? Le gouvernement anglais est-il aujourd’hui aussi peu sûr de lui, pour tenter de formater les plus jeunes esprits pour lui faire épouser ces thèses frelatées ? A-t-il aussi peur de cela, d’un retour de bâton dans la population anglaise, écœurée par le sort des soldats anglais et de la publicité faite à l’un d’entre eux, présenté comme ayant pris les mêmes risques que ses camarades alors que ce n’était visiblement pas le cas ? Dix petites semaines en Afghanistan, à Helmand, cajolé de près par les troupes d’élite et le voilà déjà un héros digne d’être futur roi, si besoin s’en faisait sentir (et si son aîné disparaissait !). Encore un peu et on aurait fait une guerre rien que pour lui... et pérenniser l’idée de l’obligation de royauté dans le pays.
Mentir, mentir... le propre des pouvoirs forts... qui régentent, on le sait... les faibles d’esprits. Espérons que notre vaillant président ne soit pas tenté de faire de même plus rapidement encore en nous vendant dans les jours qui viennent l’absolue nécessité pour la France de se ranger aux côtés des Américains, abandonnant ainsi la vieille doctrine gaulliste de l’indépendance stratégique de la France, à en faire se retourner le général de Gaulle dans sa tombe. On pourra mesurer dans les semaines à venir la dépendance des médias au pouvoir à l’aune des reportages vantant notre formidable armée et cet Afghanistan qui aurait tant besoin de nous, mais dont tous les Français se fichent pas mal. La semaine dernière, fortuitement, nous avons déjà eu un Envoyé spécial sur le sujet. Nul doute que, dans les jours à venir, on va en bouffer du taliban...
(*) et (**) François Mitterrand
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