Peut-on intervenir en Syrie en respectant le droit ?
Au moment où le Los Angeles Times révèle que les Etats-Unis fournissent armes et formation aux rebelles syriens depuis des mois, que l’Union européenne a décidé de faire autant, nous nous rapprochons de plus en plus d’une possible intervention directe des pays occidentaux dans le conflit syrien. Les rebelles de l’ASL (Armée syrienne libre) ont en effet démontré leurs limites face à l’armée syrienne. Ils sont débordés par des combattants islamistes pendant que l’organe politique de l’insurrection, le CNS, peine à émerger en tant que structure politique crédible. Mais pour les pays occidentaux, le régime de Bachar Al-Assad doit être liquidé, et l’idée d’une intervention militaire directe n’est plus à exclure. Se pose toutefois l’obstacle du droit international. Comment intervenir en Syrie en respectant le droit international ?
Dans un article publié sur Foreign Policy, Rosa Brooks relève les limites juridiques à une intervention armée en Syrie, du moins à l’état actuel du conflit.
Principe de non-intervention
En effet, le recours à la force d’un Etat membre contre un autre Etat repose sur un ensemble des règles, dont le texte de référence est la Charte des Nations Unies. Elle consacre les principes de la souveraineté des Etats et de l’Egalité. Des principes qui obligent les Etats à « régler leurs différends par des moyens pacifiques » et à « s'abstenir dans leurs relations internationales de la menace ou l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat ». La fourniture d’armes est déjà une violation de la Charte de l’ONU, mais il y a pire.
Les exceptions au principe de non-intervention
Deux exceptions sont toutefois prévues au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies :
La première porte sur le cas de menace contre la paix. Si le Conseil de sécurité identifie « une menace contre la paix, rupture de la paix ou acte d'agression », il peut « prendre les mesures nécessaires pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Mais pour assurer cette mission, l’ONU ne disposant pas d’une armée permanente, le Conseil de sécurité peut adopter une résolution autorisant les États membres à recourir à la force sous mandat de l’ONU. Dans le cas de la Syrie, la probabilité que le Conseil de sécurité adopte une résolution autorisant le recours à la force est quasiment nulle. En effet, la Russie et la Chine ont plusieurs fois brandi le véto contre les projets de résolution proposés par les pays occidentaux.
La deuxième exception à l'interdiction du recours à la force se rapporte à l'auto-défense. L’article 51 de la Charte consacre le « droit naturel de légitime défense collective en cas d'agression armée contre un Membre de l'Organisation des Nations Unies ».
Sur ce point, aucun pays membre de l’ONU n’a signalé une attaque contre son territoire de la part de l’Etat syrien. Bachar Al-Assad a beau être un dictateur, il n’est pas assez fou pour commanditer la moindre attaque contre les Etats-Unis et les pays européens, ce qui leur offrirait un motif légitime d’intervenir. C’est d’ailleurs la Syrie qui pourrait saisir le Conseil de sécurité de l’ONU pour avoir subi des attaques d’un pays membre de l’ONU, en l’occurrence, Israël. L’Etat hébreu avait justifié les raids par la nécessité d’empêcher le Hezbollah de se doter d’armes qui menaceraient Israël. Damas n’avait pas riposté contre ces attaques, ce qui donne à penser que la Syrie ne tient pas à fournir à aucune puissance étrangère le prétexte d’intervenir officiellement sur son territoire.
Pour compléter la deuxième exception, rappelons qu’il n’y a pas violation de la souveraineté d’un Etat, si ce dernier invite un autre Etat à utiliser la force sur son territoire. Là non plus, on n’imagine pas le Président Syrien inviter les armées américaines et européennes dans son pays.
Quid de la légitimité ?
Ainsi sur le plan strict du droit, à l’état actuel des choses, les pays occidentaux ne disposent d’aucune base légale pour justifier leur possible intervention en Syrie. Mais le droit va au-delà de la « légalité » et couvre un autre domaine, évidemment discutable, celui de la « légitimité ». Il s’agit d’une interprétation des textes souvent tirée par les cheveux.
Sur la Syrie, les Occidentaux peuvent soulever quelques points de légitimité.
Interpréter la Charte de l’ONU
La Charte de l’ONU parle de l’« intégrité du territoire » des Etats et de la « menace contre la paix ». Le conflit syrien qui dure depuis deux ans et tourne à l’enlisement, provoquant des milliers de morts et des millions de déplacés internes et des réfugiés dans les pays voisins, ne constitue-t-il pas une menace pour la paix régionale ? L’intégrité du territoire syrien, n’est-elle pas menacée lorsqu’on considère que ce qui reste de l’Etat syrien ne contrôle qu’une partie du pays ? Les pays occidentaux, se portant garant de la Charte de l’ONU, ne pourraient-ils pas intervenir pour rétablir l’intégrité du territoire syrien et endiguer la « menace sur la paix internationale » que représente la poursuite de ce conflit ?
C’est un raisonnement logique sur la forme, mais il ouvrirait une sorte de boîte de pandores. N’importe quel pays sur la planète s’octroierait le droit d’intervenir dans n’importe quel autre pays confronté à des difficultés de contrôle du territoire national. Non seulement rien ne garantit que l’intervention occidentale serait un succès (voir chaos en Irak) mais surtout on se retrouverait dans un indémêlable conflit entre plusieurs légitimités. Un groupe d’Etat peut-il décider de ce qui est légitime au mépris de la légalité ? Que deviendrait la légitimité incarnée par l’ONU ? Devrait-on dès lors bafouer la légitimité des autorités officielles d’un pays ? Et si les autres pays décidaient, à leur tour, de bafouer la légitimité de nos gouvernements ?
L’argument de la légitime défense
Les pays occidentaux peuvent recourir à un autre argument, celui de la « légitime défense ». L’Occident est « en guerre » contre le terrorisme islamiste et plusieurs organisations ont été identifiées comme tels. Parmi ces organisations figure le Hezbollah. Il se trouve que le régime syrien recoure aux combattants du Hezbollah, ce qui en fait un allié de « nos ennemis ». Peut-on intervenir en Syrie au nom de la lutte contre les « terroristes » du Hezbollah ? En tout cas, Israël l’a déjà fait, mais de façon ciblée. Une intervention à grande échelle contre l’Etat syrien viderait l’argument de la « légitime défense » de sa substance.
En effet, la notion de légitime défense est assez rigoureusement encadrée par le droit. D’une part, la menace doit être actuelle (danger imminent), injustifiée et réelle (le danger contre nous ou nos alliés doit reposer sur des fait concrets). D’autre part, la riposte doit être nécessaire (aucun autre moyen de se soustraire au danger), concomitante (réaction immédiate de l’entité agressée, exit opération de représailles) et proportionnée à l'agression.
On n’attaque pas tout un pays, la Syrie, pour éliminer un groupe fiché comme terroriste et qui n’a commis aucune agression contre nous. Ce serait une forme de guerre préventive, interdite par le droit international. Et à juste titre. La doctrine Bush, à l’origine de la guerre préventive d’Irak, sur la base de soupçons (armes de destruction massive) a entraîné la destruction de tout un pays, l’Irak.
Mais puisque l’histoire ne s’est pas arrêtée sur les ruines de l’Irak, les puissances occidentales peuvent recourir à une autre notion du droit international. Il s’agit de la « responsabilité de protéger ».
La responsabilité de protéger
Cette notion repose sur un postulat assez simple. Lorsqu’une population souffre gravement, à la suite d’une guerre, d’une insurrection, de la répression menée par les autorités, on doit considérer que l’Etat en question ne remplit pas ses missions ou est incapable de faire cesser la souffrance de sa population. Un Etat comme celui-là ne peut pas évoquer le principe de non-intervention.
La notion, à l’origine très contestée, a fini par s’imposer après la guerre dans les Balkans où l’OTAN est intervenue pour stopper les massacres malgré les critiques sur une possible violation de la Charte de l’ONU. L’opération ayant permis de sauver des milliers de vies, la communauté internationale a pris acte, donnant ainsi libre court à cette notion dont les Etats hostiles à Bachar Al-Assad pourraient se servir pour intervenir en Syrie.
Il sera toutefois difficile de convaincre l’opinion internationale qui n’arrive toujours pas à distinguer le « méchant » du « bon », encore moins après les révélations selon lesquelles les deux parties commettent des atrocités contre la population et utilisent, toutes les deux, des armes chimiques.
Finalement, si effroyable que puisse être la poursuite du conflit syrien, les pays occidentaux semblent dépourvus de moyens juridiques (légalité/légitimité) pour justifier une intervention armée, ni directe ni indirecte. Ce qui n’exclut pas définitivement cette éventualité, notamment si le conflit prend une tournure inattendue (génocide, utilisation d’armes chimiques à grande échelle,…).
Mais plus globalement, pourquoi les grandes puissances sont-elles à ce point obsédées par l’idée d’une intervention armée ? A-t-on vraiment épuisé tous les moyens permettant de mettre fin à ce conflit sans recourir à des bombardements massifs ? Il y a lieu d’en douter.
Boniface MUSAVULI
60 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON