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Quelques clés historiques pour comprendre la situation rwandaise

Le conflit rwandais a fait récemment l’objet de querelles diplomatiques entre la France et le Rwanda. Sans revenir sur ce conflit et sur le génocide qui se produisit en 1994, il n’est pas inutile de produire ici quelques éléments de nature historique qui peuvent constituer pour le mieux des clés de lecture de ce drame.

Les institutions politiques du Rwanda ont longtemps été dominées par la rencontre entre cultivateurs et éleveurs, et par la domination séculaire de ces derniers, le bétail ayant acquis une importance sociale et politique considérable. Cette situation repose sur une répartition très structurée de la société rwandaise, qui se fonde sur un certain nombre de mythes fondateurs.

Les mythes fondateurs

La société au Rwanda est traditionnellement divisée en trois strates, qui reposent sur un mythe d’inégalité qui peut être illustré par les deux exemples suivants :

Le mythe de la garde du lait

Imana, le dieu du Rwanda, confia un jour une jarre de lait à chacun de ses trois fils. Le premier, Gatwa, incapable de dominer sa soif, but tout le lait. Le deuxième, Gahutu, s’endormit et renversa sa jarre ; le troisième, Gatutsi, garda la sienne intacte et pleine jusqu’au retour de son père. Celui-ci, reconnaissant sa supériorité, le nomma chef de ses frères.

Le mythe de l’aoné des mois

Un cultivateur, qui avait trois fils, se désespérait de ne recueillir que de mauvaises moissons. Ne connaissant pas l’aoné des mois, il semait à contre-saison. Ayant appris que le roi du Gisaka, Kimenyi (l’homme qui sait), était titulaire de ce secret, il envoya ses fils pour le lui demander. Gatwa, le premier fils, s’étant empiffré sur la route, arriva malade chez Kimenyi, qui ne lui confia rien. Gahutu, le deuxième fils, s’approcha du roi, qui lui raconta n’importe quoi, parce qu’il ne tenait pas à livrer son savoir à un concurrent. Le troisième fils, Gatutsi, usa de la ruse : il épia Kimenyi et le surprit à se vanter auprès de sa femme qu’il avait trompé Gahutu en lui ayant révélé que l’aoné des mois était Ukwakira (octobre), alors que c’était Mutarama (janvier). Gatutsi rapporta le secret à son père qui, reconnaissant sa supériorité sur ses frères, le nomma chef de ceux-ci.
D’autres mythes tendent à expliquer l’inégalité entre les Rwandais, qui vont tous dans le même sens. Même s’ils ne représentent qu’un courant de pensée, ces mythes appartiennent toujours à la nappe phréatique de l’imaginaire rwandais et s’opposent durablement à l’avènement d’une réelle égalité.

L’échelle des strates sociales

Fondée ou non sur ces mythes, la société rwandaise, dès le XVe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle, reposa sur une échelle de strates qui reproduisait trois courants d’immigration :

- au sommet se trouvaient les tutsis, éleveurs de bétail et qui pouvaient seuls en posséder ; ce furent les derniers arrivants sur le sol rwandais ;

- en dessous se trouvaient les hutus, agriculteurs bantous qui avaient envahi les premiers les territoires occupés par les twas ;

- enfin les twas, chasseurs, potiers et serviteurs des tutsis, qui étaient les descendants des premiers occupants.

Tout était différent dans ces groupes : l’origine sociale, les caractéristiques physiques, les mœurs, l’habillement... Tout individu était nécessairement rangé dans l’un d’eux. L’appartenance à une strate était par ailleurs héréditaire : on ne pouvait donc pas en sortir dans être déplacé. Toutefois, un tutsi qui perdait son bétail devenait hutu, mais il ne pouvait pas descendre plus bas.

Le système de l’ubuhake

Le système de l’ubuhake répondait à l’inégalité d’origine et permanente, reposant sur la supériorité tutsi, qui se manifestait sur le plan politique par un recrutement des gouvernants quasi exclusif parmi les membres de cette caste. On a souvent comparé ce système à celui de la féodalité européenne.

Les membres des castes inférieures menacées ont essayé de rétablir l’équilibre en cherchant la protection d’un homme puissant, un seigneur. Un hutu allait donc rendre une visite d’hommage à un tutsi qu’il avait choisi comme protecteur (ubuhake) ; il lui proposait certaines prestations en nature (têtes de bétail) ou en services. La cérémonie s’accompagnait de phrases rituelles ("soyez mon père"). Le tutsi devenait schevuja (seigneur) et le hutu gareadu (vassal), avec les trois conséquences suivantes :

- le seigneur confiait au vassal quelques vaches et sur ce bétail s’exerçaient deux droits : la nue-propriété du seigneur et la jouissance du vassal ;

- le seigneur devait protection et soutien à son vassal ; en particulier si ce dernier se trouvait en procès ; sa présence était essentielle quand le vassal comparaissait devant le roi ;

- le seigneur devait aider le vassal en cas de mariage ou, si le vassal était pauvre, ou s’il devait payer une compensation à une victime ;

- en revanche, le vassal devait des services militaires ou économiques ; il devait accompagner le seigneur en voyage, porter des messages...

Ce contrat de vassalité était héréditaire, si le successeur renouvelait l’hommage. Mais le seigneur pouvait refuser l’héritier et reprendre ses vaches. Le vassal pouvait alors laisser l’usufruit à une autre personne, avec l’accord du seigneur.

Au sommet de cette pyramide féodale se trouvait le mwami, roi tutsi, considéré comme d’essence divine. La monarchie utilisa le système de distribution de la terre uburetwa pour centraliser le contrôle des terres dans presque tout le Rwanda, à travers un système appelé igikingi.

Initialement, le contrat ubuhake stipulait que les hutus pouvaient utiliser le bétail des tutsis en échange de services, à titre personnel ou militaire. Similairement, la terre qui était tombée entre les mains des tutsis pouvait être pareillement utilisée par les hutus, selon le système uburetwa. Cela évolua vers un système de classes sociales où la terre, le bétail et le pouvoir étaient concentrés au sein du groupe tutsi, les hutus devenant les serviteurs inféodés aux seigneurs tutsis qui leur accordaient leur protection, du bétail et le droit d’utiliser la terre en échange de services et de produits de cette terre. Les mariages mixtes entre femmes hutus et hommes tutsis étaient strictement interdits, même si certains hommes hutus se mariaient avec des femmes tutsis (l’inverse était impossible).

Les systèmes ubuhake et uburetwa furent encouragés par les coloniaux européens du Rwanda, d’abord les Allemands, puis les Belges, qui soutinrent l’aristocratie tutsie dans sa volonté de maintenir son contrôle. Cependant, les coloniaux exigèrent que le système profite à leur administration et non simplement à l’aristocratie tutsie.

La promotion continuelle d’un seul groupe ethnique devint politiquement difficile pour la Belgique dans la période d’après-guerre. La Belgique fit donc les premiers pas pour se désengager progressivement des systèmes ubuhake et uburetwa à partir de 1958, après avoir convaincu le mwami d’abandonner le système en 1954. Le système fut entièrement aboli avec la victoire de Parmehutu aux élections de 1961.


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9 réactions à cet article    


  • COLRE COLRE 12 août 2008 12:30

    Bonjour,

    J’ai été très intéressée par votre article. Je viens de finir la lecture de J. Hatzfeld (la stratégie des antilopes). En fait, je manquais d’informations dans la profondeur historique (ethnologique) sur la distinction Tutsi – Hutus.

    Vous savez ce que c’est, chez les journalistes, l’histoire commence avec la colonisation, et tout le monde s’est répandu sur la seule responsabilité belge qui aurait créé de toutes pièces l’affrontement des 2 ethnies.

    J’imaginais bien que c’était faux et simpliste, et merci de m’avoir fourni ces informations.
    Pourriez-vous me donner des références fiables sur cette question (historique), de préférence sur internet ?


    • jidejeandominique jidejeandominique 12 août 2008 15:23

      Mqerci pour votre commentaire positif. Malheureusement en effet nos commentateurs de la scène internationale remontent rarement au-delà de la période de la colonisation, lorsqu’ils traitent de l’Afrique. Je pense que c’est faire insulte aux Africains, dont l’histoire pré-coloniale, il est vrai très largement de tradition orale, est particulièrement riche.
      Etant en vacances, je n’ai pas accès à mes notes, mais le grand spécialiste de cette question est le doyen Albert Lourde, de la Faculté Internationale de Droit des Etats Francophones, dont j’ai suivi les cours passionnants.


      • Innsa 13 août 2008 01:18

        Lorsqu’on parle de l’Afrique, généralement, on a des « Grands Spécialistes » toujours occidentaux, qui interprètent l’histoire de l’Afrique, a partir de leur propre culture. Comme si il n’existait pas d’africains spécialistes de leur propre histoire.
        Tout comme, lorsqu’on parle de développement en Afrique les « Grands spécialistes »sont toujours occidentaux.

        De ce que je sais sur le rapport Tutsi / Hutu avant colonisation est que :

        -     Hutu et Tutsi ont la même langue, la même religion, les mêmes coutumes

        -     Il s’agissait  d’un rapport entre seigneur et vassaux (comme au moyen age chez nous) et non d’un rapport ethnique.

        -     les mariages entre Hutus et Tustis étaient fréquents il n’y avait pas d’interdis.

        -     Un Hutu qui « réussissait » dans la vie pouvait devenir Tutsi. Et un Tutsi malheureux pouvait être rétrogradé.

        -     Il n’y avait pas de conflit entre Hutus et Tutsi (ils étaient alliés pour combattre les autres ethnies)

        -     La différence ethnique (Race différente a l’époque) a été institutionnalisée par les belges

        -     Les belges ont favorisé les Tutsis puis l’Eglise a favorisé les Hutus (plus nombreux) puis les français ont favorisé les Hutus d’abord puis les Tutsis ensuite

        -     Les premiers conflits sont apparus a ce moment là.

        Maintenant, il y a plein de réécritures de l’histoire. Vous avez sur des sites des gens qui nous explique que le génocide a fait quelques milliers de morts, et que les Hutus étaient les victimes. D’autres tentent de souligner le caractère positif de la colonisation, d’autres nous expliquent que « l’homme africain » n’est pas entré dans l’histoire etc.

        Lorsque les Rwandais mettent en place une commission pour expliquer leur histoire, et leur interprétation du génocide, nous rejetons tout en bloc.


        • Mukoni 13 août 2008 08:35

          L’auteur jidejeandominique a certainement fait preuve d’un effort remarquable dans la retranscription sur les mythes d’origines des groupes ethniques Hutu et Tutsi au Rwanda. Cependant, avec un peu d’effort, tout le monde pourrait bien y voir des histoires inventees et repandues par les premiers missionaires arrives au Rwanda au debut du 20eme siecle. Vous y reconnaitrez aisement l’histoire biblique des fils de Noe. L’un ayant ete maudit pour avoir vu la nudite de son pere, et l’autre beni pour etre venu a reculons, deposer un manteau sur le corps de son pere ivre mort. La similarite entre les deux histoires est frappante.

          Toutefois, et cela tous les etrangers devraient le savoir, les hutu et les tutsi parlent la meme langue bantoue, le kinyarwanda. Ils ont la meme culture, le meme Dieu immateriel "Imana", que pendant longtemps les missionaires catholiques n’ont pas voulu reconnaitre comme pouvant etre le Dieu Createur, Yahve le Dieu d’Israel, en preferant utliser le mont swahili MUNGU, pour designer IMANA du Rwanda. Les hutu et les tutsi vivent melanges sur tout le territoire rwandais. Il n y a pas de territoire tribal, malgre des densites relativement differentes de tutsi dans differentes parties du pays.

          Les mariages mixtes ont ete tellement nombreux que meme les rwandais entre eux ont du mal a reconnaitre qui est tutsi, qui est hutu. Les mentions ethniques sur les cartes d’identites introduites par l’administration coloniale belge en 1930 ont contribue a creuser le fosse entre les deux communautes. L’appui sur la monarchie tutsi et la promotion d’une elite tutsi "nee pour diriger" au detriment de la jeunesse hutu "nee pour servir", ont ete autant de pieges dans lesquels malheureusement de nombreux tutsi sont tombes. Le reveil des colonies a la fin de la deuxieme guerre mondiale, la Conference de Bandoeng de 1955, l’independance du Ghana en 1957, ont pousse l’elite tutsi et la monarchie a reclamer l’independance immediate. Ce qui a acheve d’aliener l’appui de la Belgique qui a ainsi change le fusil d’epaule en se rappellant de la majorite hutu longtemps mise a l’ecart.

          La France apres 1975 et plus tard en 1990-1994 a tout simplement raisonne en termes de majorite et minorite au nom des principes europeens de democratie. Sans realiser que la majorite ethnique n’est pas synonyme de majorite politique car, nous ne devons pas elire les ethnies de nos leaders, mais plutot leurs idees. Je suis profondement convaincu que si les occidentaux nous aidaient a souligner plus ce qui nous unit que ce qui nous separe, la hache de guerre entre les deux communautes serait enterree a jamais.


          • Innsa 13 août 2008 10:42

            Je vous remercie de votre contribution.

            « Les mariages mixtes ont ete tellement nombreux que meme les rwandais entre eux ont du mal a reconnaitre qui est tutsi, qui est hutu. »

            En effet, les belges pour différentier Hutu et Tutsis se sont basé a l’époque (et c’était a la mode) sur le tour de crâne, la taille, la longueur du nez, l’écart entre les yeux etc. pour déterminer qu’il y avait 2 races au Rwanda.
            La légende belge de l’époque veut que les Tutsis soient les descendants de peuples venus de l’Egypte (maîtres qui ont soumis des negres, il ne pouvaient pas être descendants de negres). Les Hutus par contre descendaient directement du singe.

            Voila comment, a partir d’informations scientifiques qu’on sait aujourd’hui totalement faux et farfelus, on peut diviser un peuple.



            • flammekueche 13 août 2008 12:35

              Merci pour le lien.

              Première impression, le titre du rapport est (couverture) :
              "Rapport de la Commission Nationale Indépendante Chargée de Rassembler les Preuves montrant l’Implication de l’Etat Français dans le Génocide perpétré au Rwanda en 1994"

              Autrement dit le ton est donné, ce rapport instruira à charge uniquement.
              Ce rapport semble donc désigner un coupable et ensuite faire tout pour le démontrer (très à la mode depuis 2002).
              Cela ne va pas m’empêcher de le lire, mais d’un oeil plus critique.

              Et surtout merci pour cet article très interessant et tellement différent de ce que l’on trouve habituellement.
              Expliquer le génocide en partant uniquement de la période coloniale c’est un peu comme expliquer Napoléon en ne partant que de la révolution.


            • Antoine Diederick 13 août 2008 11:17

              Très bon article qui a le mérite de contextualiser le drame Ruandais et de proposer des éléments qui aide à la compréhension de la situation dans la région des grands lacs.


              • Bof 17 août 2008 11:35

                Que notre monde est difficile à comprendre ...puisqu’il y a encore des peuples qui demandent de l’aide à d’autres peuples en ce moment !

                Alors, pourquoi affirmer que l’on fait de la Politique quand on ne pense en fait qu’à son propre interet ?

                ....et pendant ce temps, le Monde se meurt !................

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