Soutenons la révolution émancipatrice des iraniennes
Depuis quelques mois, de nombreuses iraniennes manifestent quotidiennement contre le port obligatoire du voile en sortant têtes nues ou en brandissant leur hijab. Portons les voix de ces héroïnes qui surmontent les humiliations, les insultes, la violence et l’emprisonnement pour faire avancer la cause des femmes en Iran et dans le monde.
Le 25 mars dernier, la cour criminelle de la Province de Téhéran, a condamné Maryam Shariatmadari à une peine d’un an d’emprisonnement pour incitation à la corruption. L’image de cette étudiante poussée violemment du promontoire sur lequel elle brandissait son hijab, a mis en lumière le courage dont font preuve les femmes qui luttent pour leurs libertés au sein de la République islamique d’Iran. En exerçant une forme de désobéissance civile, Maryam Shariatmadari avait alors rejoint un puissant mouvement d’émancipation des femmes symbolisé par la lutte contre les dispositions de l’article 638 du Code pénal iranien qui sanctionnent les femmes qui apparaissent en public sans le voile islamique, d’une peine de prison de dix jours à deux mois ou d’une amende.
En plus d’être profondément discriminatoires à l’égard des femmes, les dispositions de la législation iranienne qui imposent le port du voile violent tout un ensemble de libertés fondamentales au titre du droit international tels que les libertés d'expression, de pensée, d'opinion, de religion, ainsi que le droit au respect de la vie privée. En recourant à la violence, aux humiliations et aux arrestations afin d’obliger les femmes à couvrir leurs cheveux, les autorités iraniennes portent également atteinte à la dignité des femmes et se rendent responsables de traitements cruels, inhumains et dégradants, au sens du droit international.
Maryam Sharatmadari n’est pas la première femme à avoir subi les foudres de la justice iranienne pour avoir demandé le droit de s’habiller comme elle l’entend. Le 7 mars 2018, Norges Hosseini, une étudiante en sociologie de 32 ans avait été condamnée à une peine de 24 mois d’emprisonnement pour avoir, selon les juges, incité le peuple à la corruption par le simple fait d’avoir ôté son voile en public.
Pour l’heure, Nasrin Sotoudeh, l’avocate iranienne des deux femmes, a fait appel de ces décisions et représentera bientôt Shaparak Shajarizadeh, une autre femme inculpée d'« incitation à la corruption et à la prostitution » pour avoir manifesté contre le voile obligatoire. Shaparak Shajarizadeh a été soumise à la torture dans le centre de détention de Vozara à Téhéran et s’est vue injecter, contre sa volonté, une substance inconnue à plusieurs reprises. Sa propre mère a été détenue et frappée pendant une trentaine d'heures pour avoir cherché à obtenir des informations sur le lieu où se trouvait sa fille.
Pour Magdalena Mughrabi, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International, « les autorités iraniennes ont pris des mesures extrêmement rétrogrades dans le cadre de la persécution persistante qu'elles exercent contre les femmes qui osent dénoncer ouvertement le port obligatoire du voile. De nombreuses femmes risquent ainsi d'être indument emprisonnées et cela sert pour les autres d'avertissement effrayant visant à les dissuader de s'exprimer alors que leurs droits sont violés ».
Depuis décembre 2017, dans la seule ville de Téhéran, plus de 35 femmes ont été violemment arrêtées et détenues dans des prisons où la torture et le viol collectif sont monnaie courante.
Baptisées les "Girls of Revolution Street", ces iraniennes ont suivi l'exemple de Vida Movahed, la première femme à avoir publiquement manifesté son opposition au voile obligatoire. L'image iconique de cette iranienne brandissant un hijab blanc au bout d’un bâton sur une armoire électrique de l’avenue Enghelab, surnommée la rue de la Révolution, a fait depuis le tour du monde.
Ces dernières semaines, les autorités iraniennes, y compris le chef du parquet iranien et le haut responsable du tribunal révolutionnaire de Téhéran, ont insulté ces manifestantes en les qualifiant d'« imbéciles », de femmes « infantiles », « mauvaises », « perverties », « malfaisantes », et les accusant d'association avec des « ennemis étrangers ». Le porte-parole du pouvoir judiciaire, Gholam-Hossein Mohseni-Ejei, est allé jusqu’à déclarer que les femmes qui protestent contre le port obligatoire du hijab « agissent sous l'influence de drogues synthétiques » ou suivent les instructions de « groupes criminels organisés ».
En dépit de cet environnement hostile, chaque mercredi des femmes répondent à l’appel du mouvement My Stealthy Freedom, fondé par la journaliste iranienne Masih Alinejad, en envoyant leurs vidéos et photos d’elles marchant têtes nues dans des lieux publics. Si certaines reçoivent des encouragements, d’autres sont insultées et parfois même menacées physiquement. En lançant récemment le hashtag #WalkingUnveiled (marchons dévoilées), Masih Alinejad a décidé d’étendre le mouvement à tous les jours de la semaine. Désormais, pas une journée ne passe, au royaume des Ayatollahs, sans qu’une iranienne ose se dévoiler en public, s’exposant ainsi à la furieuse répression de la police religieuse chargée de maintenir l’ordre sur ce petit enfer pour femmes.
Si d’un œil admiratif, nous observons ces résistantes contemporaines se battre pour leur émancipation, n’oublions pas combien le fait de braver la loi en ôtant son voile en public peut être dangereux pour elles. Comment ne pas évoquer le cas de Marzieh Ibrahimi qui, il y a quatre ans, subit une attaque à l’acide de la part d’un bassidji ? Celui-ci avait alors répondu à l’appel de l’Imam d’Isfahan Yousef Tabatabai Nejad, de punir les femmes qui ne portaient pas le hijab. Sur ordre de cet imam, 15 femmes furent vitriolées ; la plupart perdirent un œil et l’une d’entre elles mourut. Il y a quelques semaines, nous sont parvenus les cris et les pleurs d’une jeune femme battue par la police des mœurs, parce que jugée « mal voilée ». Selon l’une de ses amies présentes, elle fut mise à terre avant qu’un des policiers ne lui piétine les quelques mèches de cheveux que son voile ne recouvrait pas.
Pour le grand philosophe iranien Daryush Shayegan, disparu le 22 mars dernier, la civilisation occidentale est devenue partie intégrante de la civilisation planétaire : « Il faut admettre que sans la séparation indispensable de la foi et du savoir nous n’aurons jamais une société libre des atavismes ancestraux. Le malaise du monde islamique provient de la non-compréhension ou de la non-assimilation d’un phénomène historique majeur : l’avènement de la modernité ; Dès lors, tout jugement à son égard a toujours revêtu une dimension morale et débouche sur un rejet ». Lors de son dernier discours, l’Ayatollah Khamenei n'a-t-il pas déclaré que « les femmes occidentales dénudées et décadentes sont sans pudeur, à l’opposé des musulmanes voilées » ? Le guide suprême n’est que l’un des nombreux porte-paroles de ces antioccidentaux déconnectés de la marche de l’histoire. Comme le décrit si bien Cioran, ceux-ci vivent dans l’illusion collective d’un retour aux mythes fondateurs du commencement.
A l’heure ou « l’idolâtrie des commencement » étend chaque jour un peu plus son voile sur notre civilisation, les figures éclatantes de ces résistantes nous permettent de répondre aux ténèbres par la lumière. Portons les voix de ces iraniennes qui, au péril de leur vie, font avancer la cause des femmes en Iran. Cette lutte émancipatrice doit pouvoir raisonner bien au-delà du Moyen-Orient, car elle représente un enjeu vital pour celles et ceux qui souhaitent défendre le caractère universel du principe d’égalité entre les femmes et les hommes.
Portons la mémoire d’Homa Darabi qui, le 21 février 1994, s'immola sur l'une des places les plus fréquentées de Téhéran, la place Tajrish, après avoir déchiré le tchador qu'elle portait et s'être aspergée d'essence, en criant « Mort À la tyrannie ! Vive la liberté ! Vive l'Iran ! ». Un mois plus tôt, sur cette même place, une jeune femme de 16 ans avait été tuée par des gardiens de la Révolution, parce qu’elle avait osé porter du rouge à lèvres.
Témoignons devant les générations futures que des iraniennes se sont battues, dans l’indifférence de la communauté internationale, afin que jamais plus une femme ne soit arrêtée, battue, traitée de pute ou attaquée à l’acide pour avoir simplement choisi de ne pas revêtir l’instrument de son asservissement.
Avant qu’elles ne soient recouvertes par les prêches rageurs des Ayatollahs, hâtons-nous d’amplifier ces voix qui s’élèvent par-delà les frontières de la Perse éternelle.
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