Tractations sous-marines entre Lula et Sarkozy

Tout récemment, le ministre de la Défense
brésilien est venu voir à Toulon nos sous-marins nucléaires d’attaque, ces
fameux SNA. Mais, selon les informations divulguées par Jean-Marie Collin dans
Libération, une coopération franco-brésilienne serait déjà opérationnelle sur
le volet informatique tactique par le biais de l’entreprise Thalès, implantée
au Brésil, et si l’on en croît l’auteur du rebond, un transfert de technologies
sensibles est en passe de se réaliser lors de la prochaine décennie. Un SNA est
un sous-marin nucléaire d’attaque et dans la classification des systèmes d’armement,
il se distingue du SNLE, qui lui est lanceur d’engins. Où est la
différence ? Juste dans la conception et la place tactique, les engins
lancés n’étant en fait supposés ne pas être lancés puisqu’ils sont de nature
nucléaire et, donc, participent à la dissuasion. Par contre, le SNA utilise des
missiles conventionnels tout en pouvant réaliser des tâches dans le domaine du
renseignement ou des manipulations sous-marines. On se demande alors quelle
est la différence avec les sous-marins traditionnels, comme ceux utilisés par
l’Allemagne pendant la Seconde Guerre dont les modèles hérités sont en usage
actuellement, notamment par le Brésil fier de ses U-209. En fait, le SNA se
distingue par sa propulsion nucléaire. Ce qui signifie qu’il a une autonomie
quasiment illimitée en plongée, sous réserve que l’équipage puisse manger à sa
faim. Alors qu’un sous-marin conventionnel est du genre cétacé, il a besoin de
faire surface pour une provision d’air sans lequel sa motorisation diesel ne
peut fonctionner.
Les stratèges de l’armée connaissent bien
les capacités de ces SNA en cas de conflit. Le Brésil, en affichant sa volonté
de se doter de ce type d’armement sophistiqué dont seules les grandes
puissances disposent, Russie, Etats-Unis, Chine, France, Grande-Bretagne. Ces
puissances qui voient certainement d’un mauvais œil la France transférer ces
technologies ultrasensibles au Brésil. Comme à l’habitude, aucune certitude
n’est établie sur cette coopération qui est démentie par le ministère de la
Défense, alors que Sarkozy se préparerait à faire une annonce sur ce sujet lors
de son voyage en Guyane pendant lequel il croisera le président Lula, lequel
s’est déclaré intéressé par la technologie SNA, mais nous n’en saurons pas plus
et la presse française a d’autres choses plus importantes à servir pour
informer le citoyen, par exemple, le SMS envoyé par Sarkozy à Cécilia. De toute
façon, la collaboration se fera sur fond d’enjeux stratégiques et
économiques et un zeste de rivalité franco-allemande dans ces technologies ;
compétition qui pourtant n’aurait plus lieu d’être à notre ère européenne. La
dernière dépêche indique un fort potentiel de développement coopératif du
nucléaire civil entre les deux pays, mais sans donner de précisions. On sait
juste que la France est prête à aider le Brésil pour des transferts de
technologies permettant de produire des avions de combats, des hélicoptères et
un sous-marin de type Scorpène, donc à propulsion classique. Mais Lula lorgne
certainement sur nos six Barracuda à propulsion nucléaire mis en chantier pour
un coût fixé entre 10 et 20 milliards d’euros.
Et maintenant, pourquoi le Brésil veut-il
se doter de SNA ? Deux raisons se complètent. La fierté d’être une
puissance militaire, autrement dit, le narcissisme national incarné dans les
gouvernants de ce pays. Et une nécessité d’ordre stratégique et tactique, lié à
une conjecture géopolitique autant qu’économique. Car l’entreprise brésilienne
Petrobas aurait découvert un gisement de pétrole dans la baie de Santos, au sud
de Rio, après avoir trouvé une zone, certes difficilement exploitable, mais
rentable si le baril monte, sur une zone située à 250 kilomètres des côtes,
longue de 800 kilomètres. Bref, un espace sous-marin à surveiller. Et qui
pourrait rendre utile les SNA bien qu’ils ne soient pas indispensables pour ce
genre de tâche et que, par ailleurs, on ne voit pas quel groupe terroriste ou
quelle nation viendrait perturber l’exploitation d’une zone pétrolifère si
diffuse. Ces choses-là ne regardent pas le citoyen. Et il se trouvera toujours
quelques experts pour justifier l’acquisition de ce type de matériel. Et on ne
pourra rien y faire, sauf mettre en doute les expertises et se dire que d’un
côté, la France, il y a des enjeux économiques et de l’autre, le Brésil, une
question de statut, de puissance et d’orgueil national ; devenir pays exportateur de pétrole, ça en jette. Très important, bien
plus que tous ces enfants qui crèvent, se détruisent dans la misère et les
drogues, que l’on assassine dans les favelas de Sao Paulo, là où justement va
se développer la technologie des sous-marins avec la participation de nos
ingénieurs français.
Ainsi va le monde, avec la gloire des uns
forgée sur l’instrumentalisation des autres en laissant la misère se
développer. Cette gloire des nations, sur quoi repose-t-elle ? Il y a un
siècle, avant les grandes guerres, elle avait un sens, elle était légitimée au
moins par des prouesses intellectuelles, scientifiques et techniques autant que
des développements politiques audacieux. Maintenant, les grandes puissances
sont installées et les moyennes puissances (sur le plan militaire), sur quoi
reposent-elles ? Observons le Pakistan, l’Iran, le Brésil, l’Inde, la
Chine (qui maintenant devient grande puissance), ces nations tirent leur
puissance d’une masse humaine critique, dépassant les 60 millions d’âmes et le
plus souvent bien au-delà. Leur mérite étant de pouvoir centraliser l’action de
ces hommes en très grand nombre, mais aussi de jouer sur les ressources
naturelles car ces nations ont aussi comme point commun d’être étendues. D’où un PIB qui, rapporté à l’habitant, n’est pas faramineux, mais le devient s’il
est multiplié par le nombre d’habitants. La puissance militaire des nations
émergentes repose sur la démographie et les ressources naturelles. Bref, sur
des critères jugés décisifs en Europe aux XVIIIe et XIXe
siècle. Actuellement, si la dénatalité inquiète, c’est pour des questions de
société, retraites par exemple, et non plus des enjeux géopolitiques, comme ce
fut le cas pendant la IIIe République. Par contre, les ressources
naturelles vont se raréfier. Les chocs ne seront pas déterminés par des lignes
de civilisation, mais des compétitions géopolitiques alliant territoires, Etats,
ressources naturelles et puissances militaires. Voilà comment se dessine l’enjeu
du XXIe siècle dont la rencontre entre Sarkozy et Lula ne sera qu’un
banal épisode ayant une valeur symbolique comme tant d’autres, un signe.
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