Ukraine : Histoire d’une guerre (2)
LES COMPTES - 6 juillet 2014
Voici de courts extraits de la séance du conseil de sécurité de l’ONU du 24 juin[1] portant sur un bilan chiffré. Pour mieux cerner les protagonistes, il importe de lire très attentivement les déclarations de leurs ambassadeurs dont les discours sont le plus souvent écrits en équipe et en liaison étroite avec le gouvernement qu’ils représentent. Bien qu’il s’agisse toujours de traduction, les mots, l’allure du discours et même le ton que l’on peut deviner entre les lignes sont importants. La séance commence par l’exposé d’un rapport du sous-secrétaire général aux droits de l’homme :
" Ce rapport couvre la période du 7 mai au 7 juin 2014. (…) Les progrès demeurent lents en ce qui concerne le processus de responsabilisation en cours pour les violences commises à Maidan et les incidents survenus le 2 mai à Odessa. Certains éléments des unités Berkut ont été arrêtés, mais des poursuites n’ont toujours pas été engagées relativement aux 113 personnes qui ont été tuées entre novembre 2013 et février 2014 pendant les événements de Maidan. Au moins six enquêtes ont été lancées concernant les événements tragiques survenus le 2 mai à Odessa. (…)En raison de ces multiples enquêtes, il y a un risque élevé de problèmes de communication et de contamination des éléments de preuve. Le manque de transparence dans la conduite des enquêtes suscite également des préoccupations. Il faut impérativement que ces enquêtes soient menées rapidement, en toute impartialité et de façon approfondie. (…) [Dans l’est du pays] la situation s’est détériorée davantage depuis la date butoir du rapport [7 juin]. Selon des estimations qui se fondent sur des informations recueillies auprès de sources officielles, 423 personnes, des militaires et des civils, ont été tuées entre le 15 avril et le 20 juin. Il y a eu une augmentation du nombre d’armes et une intensification de recrutements au sein des groupes armés. (…) Les enlèvements et les détentions par les groupes armés constituent toujours une tendance préoccupante. L’anarchie prend de plus en plus d’ampleur. Les violations des droits de l’homme commises par les groupes armés se multiplient et le nombre de crimes de droit commun augmente. Les observateurs ont relevé 222 cas de personnes qui ont été enlevées (…) Il y a de plus en plus d’informations faisant état d’une augmentation de cas de disparitions forcées et d’usage excessif de la force dans le cadre des opérations de sécurité menées par le Gouvernement. Il y a eu des victimes au sein de la population suite à ces agissements.(…) Les membres de la population se déplacent, en partie parce qu’ils ont peur mais aussi en raison des conditions économiques et sociales qui se dégradent. Au cours des deux dernières semaines, le nombre de déplacés dans le pays a doublé (…) En date du 23 juin, le Haut- Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés avait recensé plus de 46 100 déplacés, (…)En l’absence d’un système officiel d’enregistrement et compte tenu du fait que nos partenaires humanitaires ont un accès limité à certaines zones, le nombre de déplacés est probablement plus élevé (…)Le Gouvernement a été invité à répondre aux besoins humanitaires des personnes déplacées, notamment en mettant en place un système d’enregistrement, en adoptant des lois et des règlements destinés à faciliter l’accès à des droits sociaux et économiques importants et en mettant en place des programmes d’assistance publique (…)Environ la moitié de la population de la région de Donetsk est confrontée à des difficultés s’agissant de l’accès à l’eau.(…)"
Remarques :
1) Les chiffres annoncés datent d’il y a un mois et ce sont les plus récents
2) dans les victimes n’appartenant pas à l’armée, l’orateur ne peut pas distinguer les civils des combattants car ils n’appartiennent pas toujours à des groupes identifiables ;
3) il est fait référence à des « groupes armés ». Qui sont-ils ? Deux réponses possibles : soit les membres d’auto-défense accusés par Kiev d’être des terroristes et des criminels, soit les milices nationalistes comme Pravyi Sector (Secteur droit) ou encore les bataillons formés à la hâte par les gouverneurs de provinces voisines nommés par Kiev ;
4) Les évènements d’Odessa (2 mai) font référence à la mort de 45 manifestants (chiffre minimal donné par la presse) enfermés dans un bâtiment et asphyxiés, brûlés vifs ou tués par balle ;
5) l’orateur précise que ses chiffres sont « des estimations fondées sur des sources officielles » ;
6) il précise en outre que le nombre de déplacés est supérieur.
Comme simple illustration de la difficulté, sinon l’impossibilité, de trouver des chiffres fiables et actuels, la BBC[2] publiait le 3 juillet le bilan suivant : 250 civils tués, 200 soldats tués, 800 rebelles tués, au moins 110 000 réfugiés en Russie et 54 000 déplacés en Ukraine, bilan recueilli auprès du gouvernement ukrainien. De son côté, RIANOVOSTI [3]publiait le 29 mai un bilan recueilli auprès des rebelles faisant état de 1200 soldats de l’armée tués et 200 rebelles tués.
L’ambassadrice des Etats-Unis prend alors la parole pour une diatribe contre la Russie l’accusant d’envoyer ses agents sur le terrain, puis, parlant du bilan :
"(…) Je n’ai nullement l’intention de minimiser les très réelles conséquences humanitaires de la crise que connaissent l’est de l’Ukraine et la Crimée, et notamment le fait que des dizaines de milliers de personnes sont déplacées à l’intérieur des frontières ukrainiennes. Mais nous devons être objectifs, nous appuyer sur des faits concrets, et dire ce qui est quant à ce qui a provoqué ces conséquences humanitaires désastreuses, à savoir l’appui politique et militaire que la Russie continue de fournir à la violence des séparatistes armés. Or, il est remarquable que, alors même qu’ils essuient les attaques des séparatistes et cette propagande incendiaire, le Gouvernement et le peuple ukrainiens font montre, en paroles et en actes, d’une volonté sans faille de trouver une solution pacifique. Les Ukrainiens ont élu un dirigeant, Petro Poroshenko, qui a fait campagne en faveur de l’instauration d’une Ukraine pacifique, démocratique et unifiée. Depuis qu’il a pris ses fonctions, le Président Poroshenko s’efforce constamment d’atteindre cet objectif par la voie du dialogue et de la réconciliation, y compris face aux provocations et à la violence (…) "
Suivent de nombreuses interventions sans élément marquant, puis celle de l’ambassadeur de la Fédération de Russie :
"(…)Kiev n’a pas non plus pris de mesures pour désarmer les groupes armés illégaux, en particulier les combattants dudit Secteur droit et d’autres ultra- radicaux, ainsi que les diverses milices régionales, comme Dnepr ou Azov, et la Garde nationale, dont le fondement constitutionnel est douteux. La crise ukrainienne est fortement marquée par le fait qu’il s’agit d’une conséquence directe du changement anticonstitutionnel et violent de gouvernement de février. Les habitants du sud-est se sont heurtés au mépris des autorités autoproclamées, ils ont copié les tactiques de « Maidan » et pris les armes pour proclamer leurs revendications légitimes. Or, on les a traités pour cette raison de séparatistes et de terroristes, et des opérations punitives ont été menées contre des villes entières, à l’aide de l’artillerie lourde et de l’aviation. (…)La situation humanitaire reste extrêmement grave, et les réfugiés continuent d’affluer vers la Russie. Nous sommes troublés par le refus du Ministère ukrainien des affaires étrangères de coopérer avec nous à cet égard. Nous appelons à la levée de tous les obstacles artificiels à l’acheminement des denrées humanitaires, et à la création de couloirs humanitaires pour l’évacuation des civils des zones de combat, (…)Plus de 450 000 ressortissants ukrainiens ont franchi la frontière avec la Russie. La plupart vivent chez des parents ou des amis, mais rien que dans les régions frontalières, plus de 220 abris provisoires ont été installés, y compris des villages de tentes. Il y a actuellement dans ces camps plus de 19 000 personnes, dont plus de 5 500 enfants. Cependant, les districts du centre et du sud de la Russie peinent à absorber cet afflux, et de nouveaux centres d’accueil sont mis sur pied dans d’autres régions de Russie. Dans tout le pays, les populations rassemblent de l’aide humanitaire pour les habitants du sud-est de l’Ukraine. Je ne cacherai pas que nous restons sans voix face à l’indifférence dont semblent faire montre en l’occurrence certains de nos collègues du Conseil, pourtant si enclins d’ordinaire à jouer la carte humanitaire quand cela les arrange politiquement. (…) Le rapport constate l’absence de progrès dans les enquêtes parallèles menées par l’OSCE, maintenant au nombre de six, ce qui prouve que l’on essaie de noyer la vérité sous le papier, et qu’il est nécessaire qu’une enquête internationale complète soit effectuée sur la tragédie d’Odessa, (…)pourquoi omet-on de nombreux détails en ce qui concerne les habitants de la région et les journalistes, ainsi que les vidéos montrant des tirs d’artillerie sur des zones résidentielles dans des villes du sud-est et des victimes civiles, qui sont le fait de l’emploi aveugle de la force par le Gouvernement ? (…)"
La dernière intervention est celle de l’ambassadeur d’Ukraine :
"(…) Le document relève le nombre croissant d’actes illégaux commis par des groupes armés illégaux très organisés, en violation des lois nationales et internationales. Il est extrêmement important de préciser que les violations des droits de l’homme et les problèmes humanitaires ne touchent que les villes qui sont sous le contrôle temporaire des groupes armés illégaux, notamment Sloviansk, Kramatorsk et Snijné. Entre autres activités illégales, ces groupes se rendent coupables de meurtre, d’actes de torture, de saisie de bâtiments administratifs et publics, d’enlèvements (…) et d’actes d’intimidation et de terreur à l’encontre des populations locales. (…)Les terroristes font délibérément la guerre à la population civile, entravant notamment la libre circulation des personnes, y compris les personnes handicapées. Ces personnes sont de façon cynique utilisées comme boucliers humains. (…)Je tiens à souligner qu’il n’y a pas de crise humanitaire en Ukraine. Les problèmes humanitaires dans certaines parties des régions de Donetsk et Lougansk sont causés uniquement par les activités des groupes armés illégaux pro-russes qui sont parvenus à prendre le contrôle de ces villes. (…)"
L’ambassadeur d’Ukraine termine sur la promotion du plan de paix de Porochenko, plan commençant par le cessez-le-feu du 20 juin, en cours au moment de la réunion, et auquel Porochenko mettra fin quelques jours plus tard.
Commentaire : On peut remarquer le soutien sans réserve de l’Américaine pour le gouvernement de Kiev, la colère du Russe quand il évoque l’indifférence de ses collègues, c’est-à-dire des pays, devant la question des réfugiés et enfin le ton glacial de l’Ukrainien qui emploie à cinq reprises l’adjectif « illégal ».
[1] L’intégralité de la séance ici : http://www.un.org/News/Press/docs//2014/sc11448.doc.htm et une traduction ici : http://www.voltairenet.org/article184587.html
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