4 journalistes américains « liquidés » en moins de 24 heures ?
Il y a quelques jours, on pouvait lire ça et là sur certains sites webs que quatre journalistes américains étaient décédés récemment en moins de 24 heures, aux Etats-Unis même. Il apparait en outre de certaines sources que ces quatre journalistes avaient récemment monté une société indépendante d'informations video, et qu'ils s'apprêtaient à avoir l'autorisation d'accéder à des informations contenues dans les archives secrètes du Kremlin en rapport avec les attentats du 11 Septembre. Rien que ça !
(Ned Colt, Bob Hager, Bob Simon et David Carr ; source Eagle Rising)
Force est de constater tout d'abord que les médias francophones généralistes ne parlent pas de cette hécatombe parmi les journalistes américains. C'est donc majoritairement vers des sites américains qu'il va falloir se tourner. Commençons par voir à qui nous avons affaire, et vérifions si ces personnes sont effectivement décédées. A priori ça semble le cas... pour trois d'entre elles en tout cas :
- Bob Simon, 73 ans (photo en bas à gauche), présentateur historique de “60 Minutes” sur CBS, est décédé à New York dans un accident de voiture mercredi 11 février 2015. Le taxi dont il était passager a heurté un autre véhicule, le chauffeur ayant à priori confondu accélérateur et frein (!) La presse US s'interroge sur le fait que cet homme pouvait encore conduire des véhicules compte tenu de multiples suspensions de permis, et met même en doute sa santé mentale. (1)
- Ned Colt, 58 ans (photo en haut à gauche), journaliste d'information ayant notamment travaillé pour NBC News pendant plus de 10 ans, est mort le 12 février 2015 à Boston d'un accident vasculaire cérébral présumé.
- David Carr, 58 ans (photo en bas à droite), s'est effondré dans son bureau du New York Times le 12 février 2015. Les causes du décès ne sont pas connues.
Le quatrième présumé décédé ne l'est pas, en tout cas pas physiquement. Il s'agit de Brian Williams, 55 ans, présentateur vedette du JT de NBC News. Il a été suspendu le 10 février 2015 pour une période de six mois par la chaine pour avoir menti à l'antenne, la réalité étant plutôt qu'il a un peu "dramatisé" certains de ses reportages. "Liquidé médiatiquement", il en ressortira forcément discrédité. C'est celui des quatre qui est le plus évoqué dans les médias français, tel le "vilain petit canard" de la profession.
On peut ajouter à cette liste le cas de Bob Hager (photo en haut à droite), journaliste de NBCNews jusque 2004 et retraité depuis, victime également d'un accident de voiture le 12 février 2015 dans le Vermont. Son véhicule a lui aussi été percuté par un autre. Il s'en sort indemne, son épouse légèrement blessée.
Sur le fond, même si les titres sont un peu accrocheurs, et en mettant de côté le cas de Bob Hager, ça nous fait bien quatre journalistes américains "sur la touche", et définitivement pour trois d'entre eux. En un temps quand même très court : 48 heures (et non 24). La méprise sur le délai d'un ou deux jours sur lequel courent ces événements provient probablement du cas de Bob Hager, puisque son accident et le décès de Carr, Simon et Colt sont effectivement intervenus "en moins de 24 heures".
48 heures chrono : deux accidents de voiture, deux malaises foudroyants, et des vacances forcées
Si les décès, au sens propre comme au figuré, ne sont pas contestables, voyons ensuite d'où vient cette information faisant le lien entre tous ces événements. Selon le site What-does-it-mean, il s'agirait d'un rapport du SVR. Kesako le SVR ? Ni plus ni moins que le Service des renseignements extérieurs de la Fédération de Russie ! Là, il va falloir être prudent les amis, comme face aux affirmations de n'importe quel service secret, forcément spécialisé en désinformation et en noyage d'info dans l'intox, et inversement.
Toujours selon What-does-it-mean, le rapport du SVR est plus que sceptique sur la survenue de tous ces événements en aussi peu de temps. On pourrait l'être à moins. Le SVR évoque la liquidation pure et simple de ces journalistes par le régime d'Obama, compte tenu, nous dit-on, de leur accès prochain aux "archives du Kremlin" concernant les événements du 11 Septembre, amenant à la preuve de l'implication dans ces événements de certaines autorités américaines. L'article fourmille de liens, mais ne démontre malheureusement pas grand chose. Au sujet des "preuves" détenues par Moscou, nous ne saurons pas grand chose, si ce n'est que cela concerne notamment des images de Ground Zero. Un article du 07 février 2015 de la Pravda (2) reprenait déjà de possibles divulgations à venir de Moscou concernant le 11 Septembre, et affirmait que Poutine allait "frapper fort". L'information a été reprise par Veterans Today (VT) (3) le 10 février 2015 et développée deux jours plus tard. Une source de VT, qui aurait eu accès à ces éléments, indiquait "que ce n'est pas simplement un coup de semonce envers le gouvernement américain [...] que Poutine a véritablement l'intention de divulguer des éléments sur le 9/11 [mais qu'il les] garde pour le jour où les Russes sentiront qu'un intérêt vital est en jeu, comme leur survie comme nation libre et indépendante." Concernant les divulgations, la même source de VT affirme qu'elles montreraient que :
- aucun des avions de ligne prétendument utilisés comme armes sur les lieux du 11 Septembre ne s'est en fait effectivement écrasé où on nous l'a dit ;
- les démolitions du World Trade Center ont été effectuées à l'aide d'armes à extrêmement haute énergie ;
Des décès liés aux investigations sur le 11 Septembre ?
Quoi qu'il en soit, ces informations sont à prendre avec des pincettes évidemment, et comme on dit, "qui vivra verra !". Pour clore cette parenthèse sur de possibles divulgations russes au sujet du 11 Septembre, Veterans Today précise enfin, assez justement le cas échéant, que ces menaces de divulgation sont utilisées comme "moyen de dissuasion analogue à celui des armes nucléaires", afin d'empêcher l'adversaire "d'aller trop loin". Quand on pense à la situation actuelle, notamment en Ukraine, et que l'on voit fleurir des articles décomplexés évoquant la "3ème guerre mondiale" dans la presse, on se dit que ça pourrait effectivement être judicieux.
(Brian Williams ; source)
Mais revenons à nos journalistes américains décédés et évincé.
Concernant Bob Simon et Ned Colt, il n'y a a priori pas grand chose d'explosif à se mettre sous la dent les concernant. Concernant le second cité, le Nouvel Obs retrace un peu la carrière de ce journaliste multiprimé. Il ressort également que Bob Simon s'était quelque peu insurgé de l'absence d'investigations de sa propre chaine, CBS, suite aux éléments indiquant que la présence d'ADM (4) en Irak, justifiant l'intervention américaine dans ce pays, n'était en réalité qu'un coup monté.(5)
Concernant David Carr, Rue89 évoque également la carrière de ce journaliste atypique, ex-toxicomane, mais reconnu comme brillant par ses pairs notamment au sujet de ses investigations sur les médias. Depuis peu il s'intéressait pourtant à autre chose. Son décès est en effet intervenu quelques heures après qu'il ait assisté à l'émission Times Talks en compagnie de Laura Poitras et du journaliste Glenn Greenwald. Lors de cette émission dont la video est en ligne, Edward Snowden (6) était interviewé. Rappelons que Laura Poitras est la réalisatrice du documentaire CitizenFour (7) consacré justement aux révélations faites par Edward Snowden en 2013 au sujet du scandale des écoutes et interceptions de masse pratiquées par la NSA dans le monde entier. David Carr s'intéressait donc là à un sujet extrêmement sensible, au coeur des tensions actuelles entre les autorités Russes et Américaines (nous y revenons...) Il affirmait lui même avoir du mal à en dormir.
Des décès sur fond de tension diplomatique, avec l'irruption d'Edward Snowden
Ned Colt et Brian Williams devaient à priori se connaitre, puisqu'ils ont travaillé ensemble pour CBS News pendant des années : entre 1996 et 2009 pour le premier, depuis 2004 pour le second. Bob Hager, qui a quitté CBS News en 2004, a pu également connaître Colt et Williams. La proximité entre Carr et Williams ressort également chez WhatDoesItMean. Le premier s'était d'ailleurs exprimé sur CBS quelques heures avant son décès sur la suspension de Willians.
Mais pour autant ces quatre ou cinq journalistes se connaissaient-ils tous bien, et en particulier Carr, Simon, Colt, Williams et/ou Hager venaient-ils de monter cette entreprise d'information video citée dans le rapport du SVR ? Rien n'est moins sûr, car aucun élément ne vient corroborer cette thèse pour le moment. Ceci ne signifie évidemment pas que l'information est bidon, mais elle demande à être vérifiée. Ce rapport des Service des renseignements extérieurs de la Fédération de Russie restera donc à ce stade l'unique source, forcément biaisée, de cette information.
Les jours et semaines à venir nous en apprendront-ils davantage sur ces événements et les liens qu'il est possible (ou non) de tisser entre eux ? Dans l'attente, le plus sage est d'éviter toute spéculation, et de continuer à rechercher des informations sur ces événements survenus dans un temps très court, au point qu'ils étaient qualifiés le 18 février 2015 par le site web FreedomOutpost.com de "coïncidence incroyablement étrange".
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Notes :
(1) Voir : MyDailyNews, YahooNews, NYPost ou encore CBSNewYork
(2) La Pravda, « Vérité », est un journal soviétique écrit en russe. À l'époque de l'Union soviétique, il s'agissait d'une publication officielle du parti communiste (de 1918 à 1991). Après la chute de l'URSS, la rédaction du journal est dissoute par Boris Eltsine mais le titre est repris par des journalistes de l'ancienne structure et est depuis le journal officiel du Parti communiste KPRF, principale force d'opposition au président Poutine (source : Wikipédia)
(3) Veterans Today (VT) se définit comme "un journal en ligne indépendant représentant la position des membres de la communauté militaire et des vétérans dans les domaines de la sécurité nationale, la stabilité géopolitique et la politique intérieure". VT se définit aussi comme "la seule voix indépendante et non alignée de ce genre en Amérique" et son "soutien aux Etats Unis contre tous les ennemis, étrangers et intérieurs".
(4) Armes de Destruction Massive
(5) Le dossier cité par Colin Powell devant le Conseil de Sécurité de l'ONU le 05 février 2003 avait été fourni par l'administration de Tony Blair, qui reconnaîtra le 7 février 2003 des "gaffes" dans le dossier. Dès le 8 février, les journaux anglais identifient les vrais auteurs du rapport comme étant les services de communication de Downing Street et la pauvreté des sources utilisées par ces derniers (plagiat universitaire et sources suspectes...). Colin Powell exprimera deux ans plus tard son « amertume » : interrogé sur ABC, il explique que cette présentation, en grande partie fausse, fait « tache » dans sa carrière. En 2011, Colin Powell demande à la CIA et au Pentagone des explications sur les fausses informations qui lui furent communiquées en 2003. (source : Wikipédia)
(6) Edward Joseph Snowden est un informaticien américain, ancien employé de la Central Intelligence Agency (CIA) et de la National Security Agency (NSA), qui a révélé les détails de plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britanniques. Héros pour les uns, traitres pour les autres (il a été inculpé le 22 juin 2013 par le gouvernement américain sous les chefs d’accusation d'espionnage, de vol et d'utilisation illégale de biens gouvernementaux), il est actuellement exilé en Russie.
(7) CitizenFour vient d'être primé "meilleur documentaire" aux Oscars 2015
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