Le Net, La Poubelle, et le Philosophe...
La fugace vidéo qu’Agoravox a diffusée, il est vrai, n’est guère à l’avantage du philosophe, qui, de toute évidence, et à plusieurs reprises, est dépassé par la question, faute d’une connaissance plus précise et ouverte de cette réalité. On doit sérieusement admettre une indigence de sa pensée.
Mais il serait trop facile de s’en prendre à un moment de patente faiblesse argumentative. Cela arrive, je suppose, même aux ’’meilleurs’’... Il est plus intéressant de se demander ce qui circule d’incompréhension dans ce discours...
Finkielkraut prend un exemple et imagine que Daily Motion diffuse une de ses conversations privées et détendues, captée à la caméra d’un téléphone portable. On suppose sans peine, en effet, que le philosophe aurait pu en raconter en secret des vertes et des pas mûres, si on en croit déjà quelques-unes de ses déclarations tout à fait officielles... Exemples ?
« En France, on aimerait bien réduire ces émeutes à leur dimension sociale, les voir comme une révolte des jeunes des banlieues contre leur situation, contre la discrimination dont ils souffrent, contre le chômage. Le problème est que la plupart de ces jeunes sont des Noirs ou des Arabes avec une identité musulmane. Regardez ! En France il y a aussi des immigrés dont la situation est difficile — des Chinois, des Vietnamiens, des Portugais — et ils ne prennent pas part aux émeutes. C’est pourquoi il est clair que cette révolte a un caractère ethnique et religieux. »
« Les gens disent que l’équipe nationale française est admirée par tous parce qu’elle est black-blanc-beur. En fait, l’équipe de France est aujourd’hui black-black-black, ce qui provoque des ricanements dans toute l’Europe. »
C’est beau, la dentelle... Un philosophe, comme tout un chacun, doit savoir parfois fermer sa gueule...
Revenons au débat, en vidéo, qu’on lui aura donc officiellement dérobé : le philosophe se suppose alors sans recours, violé dans son intimité, au détour d’une conversation entre amis.
Il faut qu’on lui rappelle, à Finkielkraut, que le net n’est nullement une zone de non-droit. Le voilà bien étonné de savoir qu’une vidéo le concernant, privée, et qui lui poserait problème, serait retirée de Daily Motion bien avant, - heureusement pour lui - qu’il ait à se présenter au Tribunal.
Daniel Schneidermann a en définitive une réponse savoureuse et subtile : « Internet, ça n’existe pas. » Il entend par-là lui rappeler qu’il y a une différence entre le blog anonyme et le site du Monde, qui ne sont pas, ajoute-t-il, les « mêmes lieux. »
Cette remarque est non seulement juste, mais profonde. Elle montre immédiatement la stupidité réductrice de l’analyse de Finkielkraut qui se nourrit simplement des préjugés les plus courants sur le net, mais aussi, il est vrai, d’une posture endurante qui est la sienne, et dont l’ossature fut toujours un conservatisme de bon aloi, sans considération pour les volontés d’émancipation un peu plus radicales. La pensée de Finkielkraut a toujours eu la tiédeur d’un centre-droit fier d’avoir à concilier avec lenteur et circonspection tradition et modernité, tiédeur il est vrai traversée paradoxalement par de soudains bouillons d’amalgames et de communautarisme.
Rien d’autre, tandis qu’il est un des philosophes les plus médiatiques de notre temps.
Qu’on ne s’étonne pas, dès lors, de la vacuité de sa pensée quant à la richesse et à la diversité du travail d’internet : le médiatisme télévisuel et radiophonique d’un tel Génie l’empêche de percevoir ce qui se passe ici, chez nous.
Que voulait lui dire, en définitive, Schneidermann ? « Internet, ça n’existe pas. »
Peut-être disait-il, cet excellent journaliste, qu’il faut éviter deux erreurs :
La première, celle de Finkielkraut - pur produit du médiatisme traditionnel - et qui consiste, en manichéen, à opposer la Bonne Information, l’Information sérieuse, aseptisée, officielle tant qu’on y est, à l’anarchisme et aux flux inconséquents et irresponsables du Net. Autant dire qu’Agoravox fait pipi de chat, et le Figaro splendeur d’objectivité.
La deuxième qui consisterait à croire qu’Internet est radicalement différent du régime traditionnel des médias plus traditionnels. Ce qui est faux. Car ce sont les mêmes questions qui sont en jeu, ici. En particulier, celle de l’exposition, et celle de la qualité et de la vérité des informations. On peut même affirmer, premièrement, que l’exposition médiatique est bien plus difficile à acquérir sur la toile que sur papier ou écran plasma. Le Net n’est d’abord qu’une matrice de possibilités de connections. Quant à la qualité et la vérité des informations, leur régime est certainement différent de celui, d’avance réglé, des médias plus traditionnels. Il peut y avoir plus d’errance, d’une part, c’est entendu ; mais plus de profondeurs, de libertés ou d’originalités, d’autre part. Mais ne cédons pas à notre tour au dualisme des bons et des méchants. Il se peut que le télévisuel fasse bouquets de questions réelles.
Finkielkraut est en définitive représentatif de la garde médiatique traditionnelle de la philosophie, largement dominée par des auteurs sans grande profondeur essentielle, les BHL, Glucksmann, etc. (ce ne sont, en philosophie pure, puisqu’ils se disent philosophes, ni Sartre, ni Deleuze, ni Badiou), penseurs incapables de surcroît de comprendre les structures nouvelles de leur temps, et cependant coqs bienheureux d’occuper l’espace millionnaire de la Télévision.
Qu’on se méfie donc de la poubelle... de la philosophie...
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