New-York Times gratuit : l’économie de la sérendipité naît à travers les moteurs !
Le New-York Time (NYT) a annoncé que l’intégralité de son site web (moins quelques babioles comme leurs illustres mots croisés) devenait 100 % gratuit : pour moi qui traîne ma bosse dans les médias depuis quinze ans et sur internet depuis douze, c’est un vrai signe (très) fort !
Pourquoi ? Parce que depuis tout ce temps, le NYT et le Wall Street Journal (WSJ) sont les deux icônes que l’on brandit chaque fois que l’on parle d’internet payant : ce sont les deux seuls qui arrivent, selon les termes habituels de ceux qui en parlent (comptent-ils vraiment tous les frais...) à avoir une activité en ligne rentable.
Eh bien, avec cette annonce, le glas du contenu rédactionnel payant sur internet semble sonner ! A quand le WSJ gratuit lui aussi ?
Le NYT a fait ses calculs : il se trouvera mieux financièrement en valorisant ses services et son contenu de manière indirecte et intégralement via la publicité par un afflux de visiteurs amenés par les moteurs (qui vont indexer les millions de pages libérées par l’ouverture) plutôt qu’en essayant d’avoir des revenus directs via abonnements.
Selon Wikipedia, la sérendipité, c’est "la caractéristique d’une démarche qui consiste à trouver quelque chose d’intéressant de façon imprévue, en cherchant autre chose, voire rien de particulier. Cette approche est issue d’une démarche heuristique."
J’exagère légèrement dans mon titre par rapport à la définition en disant que ce nouveau modèle économique du NYT est "sérendipiteux" : les gens qui sont sur un moteur cherchent quelque chose (donc pas "rien de particulier" selon la définition). Ils ne savent juste pas où le trouver donc ils passent en grande majorité par Google, documentaliste universel (par la taille de son index et la vitesse à laquelle il le met à jour).
Et c’est donc ensuite, par le côté "fortuit" (donc "sérépenditeux") de la définition ci-dessus que les visiteurs (500 millions par mois) de Google peuvent se retrouver sur le site NYT plutôt.
En fait, le NYT a tout fait pour que cela soit le moins fortuit possible : il a en son temps acheté About.com, un moteur de recherche, visiblement surtout les compétences de son équipe de développement, pour remodeler son site de manière optimale (déjà + 87 % atteints par cette équipe entre juillet 2005 et juillet 2006 sur le contenu actuellement "ouvert") en termes de "Search Engine Optimization" (SEO) afin que les millions de pages (vingt ans d’archives !) qui vont être ainsi libérées fassent leur chemin au plus vite vers le haut des pages de résultats de Google. C’est capital dans ce nouveau business model du NYT ! (Voir cet ancien billet si vous n’êtes pas convaincu).
Le calcul est le suivant : avec ses abonnés 471 000 abonnés combinés (papier + internet) + 227 000 abonnés "online solo", NYT fait environ 10 millions de dollars par an via ces abonnements. Sur mon blog, le coût par mille pages (CPM) chez Google est de 1,3 dollars. Donc pour faire 10 millions de dollars à ce tarif-là (le CPM NYT est sûrement plus haut) , le NYT doit montrer 7,7 milliards de pages par an (21 millions par jour). Ce n’est sûrement pas hors d’atteinte ! (Pour comparaison, Google + Youtube font 100 + 20 milliards chaque mois).
En effet, en avril 2005, le site faisait déjà 18,5 millions par jour. Donc, il leur faut au maximum doubler leur fréquentation actuelle pour retomber sur leurs pieds. Ce n’est vraiment pas inatteignable vu l’audience planétaire maintenant "utilisable" (voir ci-dessous) par NYT et vu la taille du contenu libéré (cf. plus haut)
Mais, sur le fond, cela reste pour moi un énorme bouleversement du business model :
- le modèle historique des journaux est bien décrit par Emmanuel Parody :
un cercle identifié et connu de lecteurs desquels on essaie d’arracher
un revenu direct maximum (en plus de la publicité) basé sur une
fréquentation très récurrente du service ;
- cette bascule du NYT, c’est le modèle inverse : la planète (ou presque : vu la croissance de population internaute...)
comme audience potentielle mais anonyme. Et l’agrégation d’infimes
revenus à travers chaque interaction comme générateur d’un revenu
supérieur à l’ancien modèle.
Ce nouveau modèle est risqué bien sûr : j’ai écrit il y a peu que les seuls revenus indirects étaient un modèle d’affaires malsain. Certes, la publicité (en ligne) est le futur du Web 2.0, selon Ray Ozzie de Microsoft et sa croissance actuelle est explosive. Mais, au prochain retournement économique (il arrive - comme tous prédécesseurs - seule question quand ? Peut-être proche : cf. les Etats-Unis actuellement) toujours violent pour la pub (cf 2001), le NYT online tiendra-t-il le choc ?
En échange, le potentiel est énorme : la population internaute croît (vite) et ce n’est finalement plus qu’elle à travers son activité toujours croissante qui définit la limite ultime des revenus de ce modèle pour un site anglophone, de renommée mondiale et de qualité très supérieure comme NYT. [L’efficacité commerciale de NYT ne limite plus : seule la qualité rédactionnelle et technologique (SEO) définissent le résultat].
Donc, c’est un gros pari ! Même s’il y a des économies immédiates : toute la mécanique commerciale pour gérer ses abonnements devient inutile... (La promotion marketing doit-elle perdurer).
Mais, il me paraît juste dans la position du NYT de tenter le coup à ce moment où certains budgets publicitaires actuellement fortement réalloués vers le online ne trouvent pas preneurs faute d’espaces (de qualité) disponibles. (D’ailleurs, en parallèle à la presse, la musique s’y prépare et la TV "prend la température" aussi).
Des bascules commes celle du NYT vont "ouvrir les vannes" aux annonceurs même si l’anonymat va faire baisser le ciblage donc le CPM !
De plus, je pense que l’on commence à quitter actuellement les médias électroniques (divers : publication en ligne, TV, radio, etc.) pour aller vers Le Média (unique - de convergence - posé sur internet) piloter par le modèle publicitaire pur. Ceux des médias traditionnels qui s’immergent dans le nouveau monde à 100 % au plus tôt sont sûrement ceux que l’on retrouvera après "la vague"...
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