Peut-on sauver la presse écrite (papier) ? Le modèle actuel, une version papier rétribuée par la publicité, par les abonnements et achats en kiosque, ainsi que par les aides du gouvernement français, est peu ou prou obsolète. Les recettes fondent, le lectorat déserte, les publicités décroissent. En conséquence, la presse papier opte souvent (voire toujours) pour la même solution : réduction de la pagination, licenciement de journalistes et renflouement via du capital fourni par un généreux donateur.
On ne peut raisonnablement augurer avec certitude de la mort de ce modèle, mais ne pas se poser la question est insensé. Le dernier exemple en date, le quotidien sportif « Le 10 Sport », est un modèle en la matière : paru pour la première fois le 3 novembre 2008, il n’a pas tenu 6 mois. Le 28 mars, le quorum de ventes nécessaires à son équilibre financier n’étant pas atteint, l’ex quotidien est passé au rythme hebdomadaire, licenciant par là même nombre de ses journalistes.
Aux Etats-Unis, les exemples abondent également. Nombre de quotidiens ont sifflé la fin de partie pour leur version papier, afin de se concentrer exclusivement sur Internet. Ainsi, les dépenses diminuent drastiquement (moins de journalistes, pas d’imprimerie, journalistes moindrement rémunérés), avec comme but avoué de retrouver l’équilibre financier en sabrant les dépenses. Mais les recettes abondent-elles pour autant ? Hélas, non. Et c’est là l’échec fondamental de ce nouveau modèle de presse, concentré exclusivement sur Internet, que tout le monde adoubait il y a peu, et que beaucoup considèrent encore comme, sinon la panacée, au moins la moins pire des solutions.
Internet : du sauveur au fossoyeur
Il n’en est rien. Mécaniquement, un modèle qui a pour unique objectif de réduire les coûts ne peut être qu’un échec. Car après avoir choisi Internet come unique support, les journaux se sont aperçus que s’ils faisaient effectivement de substantielles économies, leurs recettes fondaient encore plus ! Deux universitaires anglais se sont penchés sur le cas d’un quotidien finlandais qui avait pris le parti du tout Internet. Ses dépenses ont diminué de moitié, mais ses recettes, elles, ont plongé de 75%...
Ainsi, Internet sera, après le papier, le nouvel anti-modèle, et il faudra de nouveau un procédé « cost killer » (tueur de dépenses). Où va-t-on, avec cette logique ? Ni plus ni moins que dans une spirale descendante, laquelle conduira à la mort pure et simple des grands quotidiens (mais pas forcément du journalisme). Car à force de réduire les coûts, si l’on suit les exemples présents, ce sont les recettes que l’on fera fondre.
D’autant plus que la réduction des coûts s’opère aussi parfois par une réduction de la pagination, quand le journal reste sur papier. Ainsi, l’international, le sport, la bourse, etc. sont supprimés. Autant de pans entiers de l’actualité ne sont alors carrément plus couverts (compensés laborieusement par le recours à l’AFP). Ce choix aboutira mécaniquement à un journal réduit à la portion congrue, conséquemment inintéressant et inutile pour le citoyen. Lequel s’en désintéressera alors, et ce définitivement. Cette politique de réduction de pagination à des fins de réduction des coûts est donc, ou sera, également un échec patent.
Ainsi, ce n’est pas les coûts qu’il faut réduire, ou pas seulement, mais augmenter les recettes. Lapalissade, mais pour l’instant, les journaux y songent, le souhaitent, y travaillent, sans y parvenir pour autant. Il est évidemment plus facile de sabrer les coûts que de recourir à la créativité pour gagner des lecteurs ou conquérir de nouveaux financements. Mais cette facilité conduira les journaux à leur perte.
L’information est un service public...
Une solution serait de socialiser le coût de l’information. En un mot, que les impôts payent en partie les dépenses inhérentes à la recherche et mise en forme de l’actualité. Quoi de nouveau par rapport à aujourd’hui ? Rien, si l’on en restait là. L’idée serait d’aller plus loin dans cette socialisation. L’Etat prendrait en charge les dépenses de la presse écrite au prorata de ses difficultés financières.
Ainsi, un journal comme l’Humanité, dont la situation est extrême, pourrait se voir exempter, par exemple, 90% de ses dépenses, lesquelles seraient financées par l’Etat. Alors que Marianne, qui est un des seuls journaux (hebdomadaire) à être bénéficiaire, verrait ses aides supprimées. On retrouverait ainsi le principe de progressivité des aides selon les ressources.
Evidemment, l’opération se ferait en pure perte. A contrario de l’impôt classique qui finance la solidarité nationale, – les impôts du contribuable aisé A servant à financer les aides du foyer nécessiteux B - ce financement là ne serait pas compensé par un impôt sur la presse écrite cossue… puisqu’associer « cossu » et « presse écrite » n’est aujourd’hui ni plus ni moins qu’un oxymore.
... acceptons-là comme tel
Pour que le coût soit de zéro pour l’Etat, on pourrait envisager de créer un impôt sur la presse qui est bénéficiaire, comme la télévision. Mais cela risquerait alors de fragiliser un secteur certes bénéficiaire (seulement pour certains journaux télévisés ou émissions d’actualité, et avant la crise qui a provoqué une fonte des recettes publicitaires) mais qui reste fragile. En un mot, il ne faudrait pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. A écarter, donc. Il faut, à défaut de financement, admettre que la presse perde de l’argent, perte compensée par le contribuable. C’est la règle de tout service public déficitaire.
Pour cela, il faudra accepter le postulat selon lequel l’information est un service public. Un bien commun à tous, indépendamment des écarts de revenus. Car chacun conviendra qu’il est proprement aberrant et révoltant que les fils et filles de bonne famille consomment plus la presse écrite que les jeunes venant d’autres horizons moins aisés. Cette inégalité pourrait être résolue via cette socialisation du financement de la presse écrite, laquelle pourrait alors réduire son prix d’achat.
La question de l’indépendance de la presse se posera forcément. Posons-là, mais ne prétendons pas pouvoir régler ce délicat problème. On laissera volontiers aux constitutionnalistes, aux journalistes et aux syndicats (et aux lecteurs éclairés d’Agoravox) le soin de proposer de solutions crédibles.
Qu’un débat s’impose !
Ces ébauches de pistes sont maladroites, précaires, fragiles. Mais si la presse écrite ne trouve pas urgemment de nouveaux financements efficaces et pérennes, je ne vois pas d’autres solutions que celle du financement au prorata de chaque situation particulière par l’Etat. Il faut ouvrir ce débat. La presse est-elle définitivement et structurellement déficitaire ? Peut-on supporter sa disparition ? Le marché et la presse sont-ils compatibles ? L’Etat doit-il se porter garant ? Toutes ces questions doivent être posées et débattues sur la place publique. Les politiques ont le devoir de s’en emparer.
A moins de se contenter de la situation actuelle. Les journaux diffuseront alors leur contenu exclusivement sur Internet pendant un temps, pour laisser place ensuite uniquement aux dépêches d’agence de presse, puisque lesdits journaux auront disparu. En effet, leurs économies liées au passage au tout Internet ayant fait fondre d’encore plus leurs recettes, les journaux seront, à terme, perdants dans ce parti pris du tout Internet. En tout cas jusqu’à ce qu’un modèle de financement viable pour ce support voit le jour, ce qui n’est pas le cas actuellement.
En bout de chaîne, ce sont les agences de presse qui disparaîtront. Puisque selon le « business model » actuel, qui est client des agences type AFP, sinon la presse généraliste et l’Etat ? Si les clients disparaissent, le fournisseur disparaît. Une spirale descendante dont la première marche est la disparition du papier. La presse a déjà posé un pied sur cette marche. Le second, amorçant une dégringolade définitive, pourrait être fatal à toute la presse dans sa globalité. Et, conséquemment, ladite dégringolade signerait la fin d’un certain modèle politique libre : la démocratie pluraliste.