2008, cuisante revanche de 1983 pour un PS sans projet et une France sans idéal
20 heures sur les écrans, visages crispés à droite, sereins, mais limite jubilatoires à gauche, les résultats tombent, Reims, Caen, Périgueux, Saint-Etienne, et un spectacle moyen, mais attendu, avec un Hortefeux invoquant les abstentionnistes et un sondage selon lequel deux tiers des électeurs ont voté en fonction de critères locaux ; mais on s’en tape M. Hortefeux, vous avez perdu et... vous avez perdu ! Et d’autres de droite prétextant que les réformes n’ont pas été effectuées assez vite et chantant la litanie de la pédagogie, sûrs de leur doxa, de leur doctrine, de leurs mensonges sur les chiffres. La droite a perdu, les Français n’y croient plus, tel est semble-t-il le message d’une élection municipale à l’impact sans précédent depuis 1983, avec les villes tombant au fil de la soirée, et sans doute quelques enseignements à tirer. A gauche, les éléphants tentent de la jouer modeste, mais déterminés et offensifs et ils l’ont fait. Ils n’ont pas de stratégie ni de projet puissant alors ils tentent de transcrire en idées cette fronde électorale contre la droite. Un peu d’allusion au pouvoir d’achat bafoué par la droite, un zeste sur d’autres questions, c’est de bonne guerre ou de bonne pub, il faut bien déprécier le concurrent qui n’a pas su réaliser une promesse ne pouvant pas être tenue en si peu de temps. Laurent Fabius a su donner le ton juste. Dommage qu’il ne soit pas apprécié à sa valeur au PS.
Pour l’instant, François Fillon reste ferme sur les réformes. Appuyé par Morin, par Pécresse, par Bertrand, par Bachelot, par Albanel ; les idéologues de la réforme (de droite) ne font que répéter une formule politique pieuse, pour ne pas dire creuse, les Français sont impatients face aux réformes. Ils n’ont que ce leitmotiv aux lèvres. Un analyste sensé y verrait une forme d’autisme politique. Ces gens sont persuadés de leur vérité et face aux faits menaçant leur conviction et contredisant leur position, ils préfèrent au contraire voir dans ces événements une confirmation légitimant leur vérité, comme un gosse réprimandé qui, recevant une baffe, s’imagine qu’il est incité à refaire la même connerie. Ces phénomènes sont fréquents, Staline et tant d’autres étaient persuadés que les faits confirmaient leur volonté d’aller dans les transformations sociales.
Au vu des réactions sur les plateaux de télé, la droite française nous conduit à être inquiets, mais soyons optimiste, dans quatre ans, si la gauche reprend des fondamentaux, le résultat en 2012 sera cuisant. Car c’est bien ce que le vote des Français en 2008 laisse anticiper, avec ces cantonales et municipales méritant un détour, car l’esprit français a parfois le don de prophétie et sait ce que l’Histoire va décider de cette croyance dans la réforme et des actions avortées. Magnéto, retour sur le passé.
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Les élections municipales de 2008 sont une réplique celles de 1983 dont elles sont le négatif si on admet qu’il s’agit d’une revanche percutante de la gauche avec, en plus, des Conseils généraux basculant. Rappelons qu’en 1983, la droite avait arraché 31 villes de plus de 30 000 habitants aux forces de gauche encore alliées à un PC relativement puissant. Et, parmi celles-ci, pas mal de villes conquises par la gauche en 1977 (époque du programme commun) ont été reprises par la droite, traduisant quelques fondamentaux de la vie politique française. Si bien qu’on se demande bien par quelle audace les Français ont élu Mitterrand en 1981. Beaucoup de ruse et, sans doute, un désir de rupture exprimé par les Français alors que Mitterrand n’avait rien d’un radical, juste un peu égaré en économie, vite rattrapé par le réalisme. En 1983, le décompte était simple. Il n’y avait ni FN ni LCR, alors, les observateurs pouvaient compter les voix et donner un résultat clair. Dans les villes de plus de 30 000 habitants, 53 points pour la droite et dans celles dépassant 100 000 habitants, 58 points. Paris, avec le grand chelem réalisé par Chirac, a pesé dans la balance. D’un côté une droite avec l’UDF et le RPR plus quelques formations ralliées, comme les Valoisiens, et, à gauche, pareil, PS et PC plus le MRG.
En cette époque clivée idéologiquement, mais pas pour longtemps, nul n’aurait imaginé Lyon et Paris gérées par un maire étiqueté à gauche. En 1989, le FN et les Verts modifient la donne politique. Et la gauche de reprendre un peu de punch en gagnant quelques grandes villes, parfois à la Pyrrhus, grâce à des triangulaires. C’était pour ainsi dire logique, puisque Mitterrand venait de commencer son mandat alors que la France sortait d’une cohabitation (Chirac à Matignon de 1986 à 1988), si bien que le scrutin s’avérait naturel de part son rééquilibrage. A noter une abstention importante, en progression avérée, 31 points contre les 28 de 1983, une abstention croissante pour les scrutins suivants. 38-35 points en 2008 avec une offre politique équivalente, voire supérieure dixit Bayrou. 1995 ne voit pas de tendance affirmée. La droite confirmant son implantation, gagnant des grandes villes, Marseille, puis Le Havre et Avignon alors que la gauche prend Rouen, Nîmes, Tours et Grenoble, cette dernière ayant été perdu par Alain Carignon pour les raisons que l’on sait. En 2001, Lyon et Paris basculent, mais la droite maintient et augmente son implantation sur les grandes villes de province, reprenant Aix, Strasbourg et Rouen. Jospin n’est pas en odeur de sainteté alors que la crise sociale est devenue une évidence dans les médias et dans la société.
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Un observateur étranger verrait dans la vie politique française une complication comme nulle part ailleurs. Dès qu’une simplification se produit, comme l’effondrement du FN, une complication arrive, par le centre avec le MoDem qui peut influer sur quelques villes d’importance, mais l’électeur n’est sans doute pas dupe. Le MoDem n’a aucune base idéologique solide, mais s’insinue dans l’univers politicien parce que l’électeur, désemparé, tente de jouer une carte inédite qu’il n’a pas essayée. A noter aussi que certains résultats n’ont pas de signification tangible, lorsqu’il se produit des triangulaires. C’est souvent le cas dans les villes de moyenne importance, plus rarement dans les grandes villes comme Pau. Une ville décisive signant une station du chemin de croix de François Bayrou dont l’issue est incertaine, les choses allant vite et le MoDem en quête d’identité... Un Bayrou qui trouvera assez porteur de sens son calvaire municipal signé le dimanche des Rameaux. Avec un MoDem qui aura contribué à la réélection de Jean Tibéri dans le 5e, enjeu sans incidence, mais tout de même symbolique. Alors que l’UMP a eu (mais on n’en est pas sûr) la Pau de Bayrou en maintenant son candidat. Les jeux politiques sont des jeux de vilains.
Maintenant, place à 2008, les villes symboles tombent, Périgueux, dirigée à droite depuis 1959, bastion du gaullisme, perdue par le ministre Darcos, malgré les pèlerinages de Fillon et Juppé, Périgueux, ville tombée dont le message est que Sarkozy a trahi le gaullisme, quoi qu’il puisse déclamer, lui et ses barons du sarkozysme. Les Français ont un esprit bien acéré. Amiens et Gilles de Robien battu, Rama Yade, ministre d’ouverture, bien battue, Toulouse, ville rose, enfin rose après avoir été bleue pendant des décennies. Strasbourg et Roland Ries qui avec 17 points sur sa concurrente, reprend la mairie gagnée en 2001 contre Catherine Trautmann, désaffection jospinienne oblige. C’est sans appel. Marseille aurait pu aussi basculer, il s’en est fallu de peu, mais Marseille a été tellement affligée par le FN que ses citoyens en sont encore contaminés, de cet esprit de droite. Saint-Etienne, ville symbole, ville ouvrière dont on ne comprend pas (si on est de gauche) qu’elle ait basculé à droite en 1983 et qui revient enfin au PS en 2008. Comme si quelques fondamentaux étaient revenus dans la vie politique. Quelques réflexes de survie et de résistance, diront les plus radicaux dans le combat contre la droite. Des caprices de l’individualisme démocratique diront les intellectuels hautains ou les analystes lucides. Mais nul ne peut savoir ce qui se passe dans l’isoloir qui est aussi intime que le confessionnal.
La droite a perdu. Le message est mathématiquement clair. Mais politiquement, il n’est pas si clair qu’on ne le pense, car, en première analyse, on ne peut qu’y voir une fronde contre le gouvernement et la mise en place d’un contre-pouvoir local (avec les départements et les régions) bien dérisoire dans un pays aussi centralisé que la France. Ce scrutin est un capital inestimable pour la gauche, mais qui, en cas de guerre des chefs et de personnalisation de la politique, au lieu d’une construction d’idées, risque d’être dilapidé en quelques années. Le vote de 2008 est celui de la défiance autant que celui de la désespérance. Comment faire basculer une désespérance en espoir ? Voilà la question à laquelle auront à répondre le Parti socialiste et ses alliés. La balle est dans leur camp, je crains qu’ils ne sachent pas jouer. La droite a été dans cette situation en 1983, elle a eu l’Assemblée en 1986 et perdu la présidence en 1988 et l’Assemblée dans la foulée. Le salut de la gauche, c’est la défaite de la droite dans la gestion de la France. Mais quid du salut de la France ? Requiem ?
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