Analyse pour un vote utile
Le parti socialiste, porté par des sondages encourageants, se voit déjà aux manettes de la France (bien qu’en guise de manettes, on ait plutôt l’impression aujourd’hui qu’il ne reste plus, pour gouverner la France, qu’un vieux joystick usé, plutôt hors service, genre sex toy de première dame défraichie…). Il est pourtant clair que François Hollande est le candidat de la défaite, tant il compte sur l’impopularité du président sortant pour gagner. Cette situation ne tient pas à la personnalité des candidats, mais bien à la capacité du candidat de la gauche de mobiliser l’électorat de gauche.
Arnaud Montebourg s’est récemment permis d’utiliser l'hypothétique victoire du candidat Hollande comme d’un argument, parmi d’autres (ne jamais être à cours d’arguments, voilà le secret) pour justifier son abstention comme député lors du vote de l’assemblée nationale sur le Mécanisme Européen de Stabilité. Du moins, si j’ai bien compris ce qu’il raconte sur son blog… Je cite :
“Mais nous dira-t-on : « Est ce que l’abstention n’empêche-t-elle pas de provoquer la renégociation du Traité d’austérité signé par les droites européennes ? » Non, tout au contraire, car le refus d’approuver ce Traité, tout en souhaitant une solidarité financière entre pays membres de la zone Euro, signe dès aujourd’hui l’absence de majorité au Parlement en cas de victoire de la gauche pour la ratification du traité Merkel-Sarkozy, que la France ne ratifiera donc pas, après l’élection présidentielle du mois de mai. La renégociation vient donc d’être inévitablement inscrite à l’ordre du jour par nos votes.“
Mouais… Faut pas y regarder de trop près… Il est également intéressant de lire sur le même blog les commentaires de l’article (au nombre de 220 à la date du 2 mars). Et qui sont généralement peu compréhensifs à l’égard du candidat aux primaires socialistes. En voici un exemple (choisi au hasard, bien entendu) :
“D’abord merci de laisser tous ces commentaires, c’est courageux et pas facile ! Chapeau ! Sinon, quel désastre ! Et le pire est à venir si vous ne parvenez pas à changer le vote au sénat : Vous y avez le pouvoir, s’abstenir là, c’est refuser d’assumer le pouvoir, le déléguer à l’UMP, c’est un suicide politique vis-à-vis de l’électorat de gauche non PS.
Avec ce vote, il n’y aura pas de report de voix possible pour nous, car celui-ci ne peut se faire que sur un parti de gauche, statut incompatible avec le « laissez-faire l’UMP » entériné par votre parti ! Pour la première fois depuis 1988, je ne voterai pas PS au deuxième tour, quel que soit le cas de figure, vous vous imaginez ?!“ (posté par Charles, le 23 février 2012 à 13h32).
On sait ce qu’il est advenu au Sénat...
Ce commentaire est, me semble-t-il, représentatif d’un état d’esprit assez répandu parmi les sympathisants de ce qu’il est convenu d’appeler la gauche de la gauche (enfin la gauche, quoi !). Ca ne date pas d’hier, me direz-vous. Mais les grands rendez-vous électoraux sont de nature à raviver l’attention des citoyens de gauche, ne serait-ce que pour décider quoi faire au second tour. Et si l’on tente aujourd’hui de faire un premier bilan de la campagne de François Hollande de manière un tant soit peu objective, c’est à dire en mettant de côté les sondages, reportages et commentaires bidons que nous offre quotidiennement l’appareil médiatique, force est de constater qu’elle est tout bonnement désastreuse. Et en particulier dans son incapacité à parler aux gens de gauche, justement. Les arguments, pourtant variés, censés expliquer l’abstention des députés et sénateurs sur le Mécanisme Européen de Stabilité n’ont convaincu absolument personne, et le silence des médias dominants sur cette question jette la suspicion sur leurs liens supposés ou avérés avec le PS. Les communistes en ont pris pour leur grade en apprenant qu’ils étaient une espèce en voie de disparition, les courbettes à la City font tout sauf bon effet, l’annonce sur la taxation à 75% de je ne sais quoi est typiquement le genre de coup de com qui ne fonctionnent plus, et comme si ça ne suffisait pas, une vidéo circule, malgré une censure acharnée sur le net, dans laquelle le journaliste Michaël Darmon explique qu’un “émissaire“ se charge actuellement de rassurer les riches, mis forts en émoi par l’évocation de taux “confiscatoires“. Rajoutez à cela un candidat qui ne cesse de froncer les sourcils pour faire présidentiable et qui l’instant d’après lave une vache ou lance une série de vannes plutôt moyennes, ça craint (comme dirait l’autre…).
La bonne marge qu’il reste à François Hollande dans les sondages est donc essentiellement due à l’impopularité du président sortant. Si l’on commence à réfléchir à cette question sérieusement, cela donne le vertige. Car qui est assez naïf pour penser que les électeurs de droite, même terriblement déçus par Nicolas Sarkozy, resteront entêtés au point de ne pas se ressaisir à mesure que le jour du vote approche, tels des zombies frémissants, ressuscitant petit à petit et se mettant en marche vers les isoloirs ? Il est par conséquent à prévoir que la dynamique de campagne de Nicolas Sarkozy sera d’autant plus visible et importante que le niveau d’où il part est bas.
Voilà donc qui nous amène à contredire totalement Arnaud Montebourg, et avec lui les cadres et les militants du Parti Socialiste, qui, par arrogance ou par un naïf espoir, se refusent à regarder en face le désastre électoral à venir.
“Allons, allons, ne manqueront-ils pas de nous objecter, le candidat socialiste (sic) est le seul qui puisse faire gagner la gauche, il faut donc se rassembler derrière lui dès le premier tour ! Sus à la division, tous unis derrière Hollande !“. Discours répété, remâché, rebattu à nos oreilles, destiné à chasser la question qui point : et si François Hollande était justement le candidat désigné pour faire perdre la gauche ? Parce que, comme tous les sociaux démocrates avant lui, il ne fait pas campagne à gauche. Si les exemples des dernières élections présidentielles en France ne suffisent pas à vous en convaincre, il suffit de regarder ce qui s’est passé chez un certain nombre de nos voisins européens dans un récent passé. Et en Amérique latine. Jean-Luc Mélenchon théorise tout cela fort bien dans son livre En quête de gauche (Ed. Balland) publié en septembre 2007, après la défaite de Ségolène Royale : “Loin d’être la bécassine que ses détracteurs ont caricaturé, Ségolène Royal incarne crûment et ouvertement une mutation idéologique que François Hollande a préparée de façon homéopathique au fil de ses dix années à la tête du Parti socialiste. Textes à l’appui, l’auteur retrace et analyse les origines de cette évolution. Il montre comment le programme et les propos de la candidate, même les plus décalés, étaient conformes à l’orientation politique qu’elle et son ex compagnon, avec quelques amis, avaient défini dès 1984. Et comment cette orientation plus démocrate que sociale, en rupture avec l’histoire du socialisme français, a été imposée au PS sans vrai débat.“(extrait de la quatrième de couverture). Ceux qui ne veulent pas voir la réalité en face seraient ravis de pouvoir continuer, soit à croire que la gauche est morte en France, soit à prendre les électeurs pour des cons.
Que le parti socialiste français n’ait pas résisté à la grande vague libéral mondiale, venue des Etats-Unis, des années 70 jusqu’à aujourd’hui, le peuple l’a bien compris, et un certain nombre d’électeurs sont même prêts à avaler les “nécessaires“ couleuvres, faute de mieux, et au nom de je ne sais quel “réalisme“ ou “pragmatisme“, ou du caractère “raisonnable“ des mesures à prendre, etc... Mais ces électeurs, qui s’apprêtent à rallier Hollande au premier tour ou au second, ont-ils bien compris, par exemple, que la ligne abstentionniste adoptée par la parti socialiste sur le MES a servi à dissimuler le fait qu’Hollande lui-même était pour voter oui à ce premier traité, et ce faisant, s’inscrivait dans une ligne parfaitement cohérente si l’on veut bien cesser de la dissimuler, à la suite d’un certain Dominique Strauss Khan. DSK, que l’on retrouve le 19 novembre 2010 à l’European Banking Congress (congrès de banquiers allemands), dès les premières pages du livre Circus politicus (ed. Albin Michel) :
“Le chômage. La faiblesse du taux d’activité. Comment y remédier ? Le directeur général du FMI évoque la consolidation du système financier, la création d’un « marché unique du travail » pour les travailleurs, mais soudain il va beaucoup plus loin :
- La solution la plus ambitieuse, largement discutée dans la littérature académique, serait de créer une autorité budgétaire centralisée, aussi indépendante politiquement que la banque centrale européenne (BCE) (…) L’autorité fixerait les orientations budgétaires de chaque pays membre et allouerait les ressources provenant du budget central pour mieux atteindre le double objectif de stabilité et de croissance.
Le contrôle de la discipline budgétaire, prévue dans le cadre des Etats, serait retiré au conseil européen pour être confié à la commission. Celle-ci est le bras armé de l’Europe, mais un bras dont la légitimité démocratique a toujours été mise en doute (…). Si désormais une instance « indépendante » devait statuer, auprès de qui les citoyens devraient-ils se plaindre s’ils sont mécontents ?“. (p. 27-28)
Cette gauche décapitée, dont la tête a perdu tout contact avec le corps social, est aujourd’hui vouée à l’échec sur les scrutins nationaux. Voilà ce qui n’a certainement pas été assimilé par ces électeurs réalistes et raisonnables évoqués plus haut. A ceux-là je le répète : le vote utile à la gauche, à la victoire de la gauche, est un vote à gauche. Une gauche qui renoue avec des valeurs qu’elle croyait avoir oublié, et qu’un Mélenchon est en train de ranimer dans les esprits et dans les cœurs. Certes il n’est pas le seul, mais force est de constater qu’il le fait avec brio. Et qu’il inscrit on ne peut plus clairement son action dans un cadre républicain, réclamant le pouvoir que les institutions sont censées offrir au peuple, dans le but ultime de construire une VIème République. Voilà ce que veut la gauche, voilà ce qu’est le vote utile, camarade ! Une gauche qui sait que la république sociale ne peut se construire sans démocratie réelle, aujourd’hui perdue quelque part entre Bruxelles et Davos. Une gauche qui réapprend à se battre, sans concession dans ses arguments, qui n’accepte pas que l’inégalité soit le moteur de notre société, face à laquelle il nous faudrait plier. Une gauche qui ne s’excuse pas de vouloir prendre l’argent des riches. Et quoi ? Il est écrit “Egalité“ sur le fronton de nos bâtiments publics, et il faudrait sortir les mouchoirs pour les footballeurs millionnaires ? Tolérer que certaines personnes, par l’argent qu’elles volent aux travailleurs, valent 100, 1000 fois plus que d’autres ? Une gauche qui n’a jamais cessé d’exister mais qui se taisait, assommée par l’appareil médiatique au service du Capital, presque honteuse de ne pas parvenir à accepter l’inacceptable.
Voilà ce que veulent les électeurs de gauche, et pas uniquement ceux d’une gauche extrême ou “extrêmisée“ : ils veulent une gauche qui fasse renaître la flamme qu’ils sentaient en eux, cette flamme jamais éteinte, cette soif de justice, et par dessus tout, cette aspiration à une société qui ait du sens, un sens humain pour une vie humaine : faire progresser l’humanité toute entière !
Comment les cerveaux ont-ils pu être à ce point bridés, dans cette société illusionniste de l’individu libre ? Comment est-il possible qu’il soit si difficile à certains d’imaginer François Hollande appelant à voter pour Jean-Luc Mélenchon, et tentant de grappiller quelques aménagements au programme partagé ? Gardons à l’esprit qu’en 2005, à quelques semaines du referendum, rares étaient ceux qui auraient parié quelques dollars sur le non. Et pourtant…
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