Après la dissolution : la démocratie est cocue (4)
Après la dissolution beaucoup de citoyens électeurs se sentent floués : leur vote de barrage au Rassemblement National exacerbe les querelles partisanes et semble, de surcroît, remettre en selle Macron bien que son parti soit celui qui a perdu le plus de sièges à l’Assemblée nationale. Finalement n’est-ce pas la Démocratie qui est la plus cocue dans cette aventure délirante ?
Le mot démocratie n’appartiendrait-il pas au cercle édifiant des « mots vertueux » ? Le sociologue Michel Cattla[1] écrit que le mot « innovation » serait un de ces mots vertueux, comme projet, réseau, développement durable, qu’on met et qu’on trouve un peu partout sans qu’on puisse d’emblée à la lecture du texte leur attribuer une définition stricte et sans qu’apparaisse un sens « éclatant ». Ce sont des mots qui sont plein de sens pratique pour les uns, c'est-à-dire qu’ils permettent d’orienter et de mettre en œuvre les objectifs d’un projet, et qui pour les autres sont des mots au sens abscons qui ne réfèrent à rien de précis. Mais, quoiqu’il en soit ils ne sont jamais sans impliquer les acteurs parce que, pour le moins, ces mots sont créateurs de représentations sociales qui ont affaire autant avec le cognitif qu’avec l’affectif, dès lors il se crée un dispositif rhétorique qui lie les personnes, des orateurs jusqu’aux auditeurs et organise leur démarche, ici leur choix électoral.
Ainsi, il en va de « démocratie » enserrée dans des dispositifs rhétoriques constitutifs d’une communication de persuasion : il s’agit d’engager le public et de laisser un impact durable. Peu importe de sens initial du concept, le mot est utilisé pour convaincre et soumettre les soutiens de l’adversaire : les partis extrémistes (LFI, RN) desserviraient la démocratie. On utilise alors « démocratie » pour disqualifier l’adversaire et éviter les sujets de la discussion dans le cadre d’un véritable glissement sémantique ou glissement de sens d’autant que le un mot a acquis au fil du temps un sens différent de celui d'origine. On joue donc ici sur la polysémie du mot.
Une démocratie, pour reprendre les idées de Cornélius Castoriadis, n’est pas une « chose faite » (comme peuvent l’être un objet ou un concept immuable et figé), elle est un processus qui repose sur un régime qui réalise l'autonomie collective et suppose l'auto-gouvernement du peuple. Elle est le régime politique qui correspond à « une société autonome, autogouvernée et auto-instituée[2]. Ceci, pose la question de la validité de la démocratie représentative dont Castoriadis pense qu’elle est contradictoire dans ses termes mêmes. La démocratie représentative que nous vivons dans les pays occidentaux outre la contradiction de termes soulevées, présente le défaut assez fondamental d’être « conçue comme compétition entre des partis, sur le modèle de la démocratie libérale, si bien résumé par la formule de Schumpeter : “le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l'issue d'une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple[3]” ». Force est de constater, comme le rappelle Arnaud Tomès[4], qu’il y a depuis quelques années une crise de légitimité du mouvement politique qui repose essentiellement sur le rejet de cette « démocratie représentative » dans laquelle les représentants représentent de moins en moins les représentés ; cette crise de légitimité a pris différentes formes depuis le mouvement des Indignés en Espagne jusqu’à celui des Gilets Jaunes en France.
La dissolution voulue par le président Macron comme un mouvement qui consistait à redonner la parole aux citoyens aurait été une bonne stratégie si elle avait correspondu à une démarche sincère. Loin de là, la démarche n’était que stratégique face à l’échec du parti macroniste à l’élection « européenne » qui marquait un fort rejet de la politique conduite par Emmanuel Macron ainsi qu’un rejet de sa personne et de son mode de gouvernance. Cette dissolution a été une tentative du quitte ou double qui visait à donner à un président déliquescent une majorité à l’Assemblée nationale, majorité qu’il n’avait pas obtenue après sa réélection en 2022. Cette démarche relativement démocratique au sens d’un processus d’autonomie des citoyens qui reprendraient en main leur destin, n’avait en fait qu’un objectif antidémocratique en visant à restaurer la suprématie du prince. Ainsi nous avons pu constater la faiblesse des arguments du camp macroniste pour reconquérir les électeurs perdus depuis sept ans. Alors qu’elle arme utiliser ?
Quand on manque d’arguments il faut disqualifier son adversaire. Caractériser la France Insoumise d’antidémocratique et d’antisémite a été une arme forte bien colportée par les médias ; il en a été fait de même vis-à-vis du Rassemblement national. On diabolise à tout va sans s’intéresser aux programmes politiques. Mais, face à des sondages qui annonçaient une majorité à l’Assemblée pour le RN, face à des citoyens qui semblaient peu sensibles aux tentatives de diabolisation du RN, il fallait trouver un allié de circonstance. Le Nouveau Front Populaire, dont la création mériterait d’être regardée avec une loupe, représentait l’allié tant désiré et tellement utile : qui dans ce congloméra de partis politiques génétiquement en désaccord permanent refuserait de faire barrage au RN ? Là, autant chez Macron que chez les coéquipiers d’opportunité de LFI, on fut atteint d’une amnésie profonde qui fit oublier tous les noms d’oiseaux qu’on adressait, hier encore, à LFI qui par la grâce de la stratégie politicienne n’était plus antisémite, plus antidémocratique.
On demanda alors aux candidats du NFP élus au premier tour de l’élection de se désister, en cas de triangulaire, au profit du candidat macroniste. Ainsi, celui qui avait pris une gifle monumentale au premier tour retrouva de la couleur au deuxième tour et, surtout le RN frisa d’être défait, en tout cas il n’eut pas de majorité : la démocratie était sauve dirent les politiciens installés et leurs affidés des médias. La France pouvait souffler, elle venait d’échapper au pire. La démocratie a-t-elle vraiment gagné ?
Dans ce micmac politicien la démocratie vue comme un système institutionnel a sans doute gagné d’être encore là avec les mêmes politiciens. Pour combien de temps ? La démocratie comme processus dans lequel la parole du citoyen est prépondérante a perdu, une fois encore, les citoyens s’étant laissé entrainer dans la spirale infernale d’un président autant narcissique que mégalomaniaque et dupés par des partis politiques dont le but essentiel est de se maintenir en place avec leurs politiciens attitrés.
La démocratie n’a obtenu qu’une victoire provisoire, personne ne sait de quoi demain sera fait au vu du bazar engendré par l’échec de Macron qui espérait qu’une majorité sortirait du scrutin. Loin d’avoir une majorité la France a hérité d’un ensemble de trois (ou quatre si on compte LR) minorités. Alors, les magouilles politiciennes (comment appeler les tentatives d’alliance contre-nature) sont reparties de plus belle pour le choix d’un premier ministre ; à gauche la valse des égos bat son plein pendant que Macron recommence à diaboliser, par l’intermédiaires de ses sbires, LFI essayant ainsi une vraisemblable soumission complice du PS où Raphaël Glucksmann (soutien inconditionnel d’Israël) est assez proche de la philosophie libérale de Macron, et où François Hollande le recalé de 2016 vient soutenir ce qu’il vilipendait la veille (Olivier Faure qu’il déteste, et Macron qu’il n’aime guère) tel un zombie qui joue la reconquête. EELV qui se verrait bien attribuer un portefeuille ministériel pour redorer une image de plus en plus ternie au fil des élections, se joint à la collusion macroniste.
La gauche qui n’a pas hésité à cocufier ses électeurs en leur demandant, une fois encore, d’aller voter pour Macron, a largement contribué à ternir la démocratie et à renforcer la crise de la légitimité de la représentation et de la politique. Relevons qu’au-delà des partis politiques les électeurs sont niais, nigauds, idiots et extraordinairement soumis. Ils ne voulaient plus de Macron alors il fallait prendre le risque d’un RN majoritaire en votant blanc, la leçon aurait été sévère pour les politiciens. Mais voilà, personne ne se souvient (d’ailleurs qui les a lus) des propos de Simone Weil[5] : « Les partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice. La pression collective est exercée sur le grand public par la propagande. Le but avoué de la propagande est de persuader et non pas de communiquer de la lumière. »
[1] Catlla, Michel. « Action publique régionale et nouveau management public : le cas de la rhétorique de l'innovation », Sociologies pratiques, vol. 10, no. 1, 2005, pp. 77-95.
[2] Cornelius Castoriadis, « Quelle démocratie ? », in Cornelius Castoriadis, Figures du pensable. Les carrefours du labyrinthe, 6, Paris, Seuil, 1999.
[3] Tomès, Arnaud. « Démocratie radicale et représentation chez Cornelius Castoriadis et Ernesto Laclau », Raisons politiques, vol. 75, no. 3, 2019, pp. 45-61.
[4] ibd.
[5] Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques.
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