Au-delà d’une controverse sur l’ADN, des perspectives de progrès pour le droit des étrangers
L’objet de cet article est d’analyser l’amendement modifié par le Sénat prévoyant notamment la possibilité d’un recours au test ADN pour statuer sur les demandes de regroupement familial des étrangers.
Cet article tente de mettre en lumière le fait que le mécanisme proposé par le Sénat ne durcit pas la politique de regroupement familial comme l’affirme le gouvernement. De surcroît, le mécanisme proposé par le Sénat offrirait plutôt d’importantes garanties d’équité aux demandeurs au regroupement familiale, de nature à assurer une plus grande effectivité des libertés fondamentales, contrairement aux arguments soutenus par la gauche. Enfin, nous verrons que la place accordée au test ADN dans la version du Sénat de l’amendement peut effectivement être considéré, ainsi que le soutient M. Fillon, comme un détail qui ne devrait pas susciter une polémique d’une telle importance. Pour pouvoir comprendre ces différents points, il convient tout d’abord d’examiner le régime actuel des dispositions que l’amendement vise à modifier avant d’examiner les modifications envisagées.
. I-
Le régime actuel
Cet amendement vise à modifier l’article 111-6 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers. A l’heure actuelle, cet article dispose que :
« La vérification de tout acte d’état civil étranger
est effectuée dans les conditions définies par l’article 47 du Code
civil ».
Il
s’agit donc de déterminer dans quelles conditions l’administration procède à la
vérification des documents officiels fournis par l’étranger à l’appui de sa
demande de regroupement familial.
Pour
ce faire, cet article renvoie aux dispositions de l’article 47 du Code civil
qui dispose que :
« Tout
acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et
rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou
pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte
lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet
acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne
correspondent pas à la réalité ».
Cet
article pose une présomption de régularité des documents officiels sauf si des éléments
amènent l’administration à contester cette régularité auquel cas elle refusera
la demande. L’étranger désirant contester cette décision de refus n’aura alors
pas d’autre recours que de saisir un juge en se faisant assister d’un avocat,
hypothèse peu vraisemblable compte tenu des ressources financières alors
nécessaires ou, tout simplement, parce qu’il ne sait pas comment défendre ses
droits, tant le système juridictionnel français est complexe.
II- Les modifications envisagées
L’amendement
litigieux prévoit de compléter l’article 111-6 du Code de l’entrée et du séjour
des étrangers par neuf alinéas ainsi rédigés (les points jugés important
apparaissent en gras) :
«
Le demandeur d’un visa pour un séjour de longue durée supérieure à trois mois,
ou son représentant légal, ressortissant d’un pays dans lequel l’état civil
présente des carences peut, en cas d’inexistence de l’acte de l’état civil
ou lorsqu’il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l’existence
d’un doute sérieux sur l’authenticité de celui-ci, qui n’a pu être levé
par la possession d’état telle que définie à l’article 311-1 du même code, demander
que son identification par ses empreintes génétiques soit recherchée afin
d’apporter un élément de preuve d’une filiation déclarée avec la mère du
demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l’identification est
ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une
information appropriée quant à la portée et aux conséquences d’une telle mesure
leur est délivrée. »
«
Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le tribunal de
grande instance de Nantes, pour qu’il statue, après toutes investigations
utiles et un débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une
telle identification. »
« Si le tribunal estime la mesure d’identification nécessaire, il désigne une personne chargée de la mettre en oeuvre parmi les personnes habilitées dans les conditions prévues au dernier alinéa. »
« La décision du tribunal et, le cas échéant, les conclusions des analyses d’identification autorisées par celui-ci sont communiquées aux agents diplomatiques ou consulaires. Ces analyses sont réalisées aux frais de l’État. »
«
Un décret en Conseil d’État, pris après avis du Comité consultatif national
d’éthique, définit :
1° les conditions de mise en oeuvre des mesures d’identification des personnes
par leurs empreintes génétiques préalablement à une demande de visa ;
2° la liste des pays dans lesquels ces mesures sont mises en oeuvre, à titre
expérimental ;
3° la durée de cette expérimentation, qui ne peut excéder dix-huit mois à
compter de la publication de ce décret et qui s’achève au plus tard le 31
décembre 2009 ;
4° les modalités d’habilitation des personnes autorisées à procéder à ces
mesures. »
II.
- Dans le premier alinéa de l’article 226-28 du Code pénal, après les mots : «
procédure judiciaire », sont insérés les mots : « ou de vérification d’un acte
de l’état civil entreprise par les autorités diplomatiques ou consulaires dans
le cadre des dispositions de l’article L. 111-6 du Code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile ».
III.
- Une commission évalue annuellement les conditions de mise en oeuvre du
présent article. Elle entend le président du tribunal de grande instance de
Nantes. Son rapport est remis au Premier ministre. Il est rendu public. La
commission comprend :
1° deux députés ;
2° deux sénateurs ;
3° le vice-président du Conseil d’État ;
4° le premier président de la Cour de cassation ;
5° le président du Comité consultatif national d’éthique ;
6° deux personnalités qualifiées, désignées par le Premier ministre.
Son
président est désigné parmi ses membres par le Premier ministre.
Effectivement, la faculté de recours au test ADN est expressément prévue par ce texte. Cependant, il faut être attentif aux conditions dans lesquels celui-ci peut avoir lieu.
1) Le point essentiel permettant de comprendre que cet amendement constitue en réalité un progrès des droits des étrangers concerne les conséquences de l’exercice de cette faculté par l’étranger.
En effet, dans l’hypothèse ou l’étranger souhaite lever tout doute quant à l’authenticité de son acte d’état civil en recourant au test ADN, un juge est alors saisi d’office. Celui-ci examine alors tout les éléments et procède à toute investigation utile. Si le doute persiste, il peut alors autoriser, en dernier recours, avec le consentement exprès du demandeur et à la charge de l’Etat, la mise en œuvre d’un test ADN (par ailleurs, celui-ci étant effectué par rapport à la mère, il ne peut remettre en cause la paternité du père).
Ce point constitue un progrès des droits des étrangers pour la simple raison que le juge est saisi d’office. Comme expliqué plus haut, dans le régime actuel, la vérification de la régularité des papiers relève entièrement du pouvoir de l’administration. Le juge n’intervient aucunement dans la mise en œuvre de ce pouvoir, sauf s’il est saisi par le demandeur. Ce qui suppose que l’étranger dispose des ressources financières suffisantes pour engager une procédure ou encore qu’il sache quelle procédure juridictionnelle engager pour défendre ses droits.
En quelque sorte, le juge contrôlera dès lors, d’office, les motifs pour lesquels l’administration considère que le regroupement familial serait frauduleux. Ce mécanisme constitue en quelque sorte un contrôle du pouvoir discrétionnaire de l’administration de refuser de faire droit au regroupement familial. Il semble que ce contrôle du juge, en permettant de limiter les refus abusifs de l’administration, participe plus à l’effectivité des libertés fondamentales des étrangers qu’au durcissement de la politique de regroupement familial.
Certes, le dispositif ne viserait que certains pays comme ceux d’Afrique et pourrait dès lors apparaître discriminatoire. En réalité, les ressortissants des pays visés sont, à l’heure actuelle, plus exposés que les autres à un refus. Or ce refus peut constituer une véritable discrimination s’il n’est pas fondé et ne fait l’objet d’aucun contrôle.
Le deuxième point important concerne le recours au test ADN lui-même, par rapport au régime actuel. En effet, comme a pu le souligner Me Francis Szpiner (intervention sur I-télé du 14/09/07 : http://www.dailymotion.com/video/x2z17d_tests-adn-sur-les-immigres_news), à l’heure actuelle, si un étranger saisit le juge pour contester un refus de l’administration, celui-ci pourra demander à l’étranger, en cas de doute, de se soumettre à un test ADN.
A cet égard, cet amendement ne constitue pas réellement une dérogation à la loi bioéthique encadrant, à l’article 226-28 du Code pénal, le recours à l’identification génétique d’un individu. En effet, cet article prévoit d’ores et déjà la possibilité d’un tel recours s’il est ordonné dans le cadre d’une instruction judiciaire. Or, cet amendement permet aux autorités consulaires et diplomatiques de procéder à ce type d’identification sur autorisation du juge. En somme, au lieu qu’un juge ordonne directement l’identification génétique dans les conditions posées par la législation en vigueur ; il autorise, dans les mêmes conditions, lesdites autorités à y procéder.
2) Par ailleurs, cet amendement prévoit l’hypothèse des personnes ne disposant pas d’actes d’état civil. De ce point de vue, on peut estimer que l’amendement constitue également un progrès pour les étrangers puisque dans le régime actuel, le refus de l’administration est, en cas d’inexistence d’actes d’état civil, systématique.
3) Sur cette base, les critiques que suscite généralement cet amendement ne semblent pas fondées.
L’amendement ne consacre pas une notion biologique de la famille. En effet la faculté de se soumettre au dispositif prévoyant éventuellement le recours à un test ADN est ouverte lorsque la « possession d’état » n’a pu lever ce doute. Cette notion de possession d’état définie à l’article 311-1 du Code civil consiste à considérer que la filiation est établie lorsque la réunion de certains faits, énuméré au même article, est apportée.
Il s’agit notamment pour un parent de traiter une personne comme son enfant et d’être traité en retour, par celle-ci, comme son père ou mère ; que cette personne soit reconnue comme étant l’enfant des parents par la société et par la famille ou encore par l’autorité publique...
Le recours à la possession d’état mérite d’être souligné car, d’une part, il dépasse le simple critère biologique de la filiation et prend donc bien en compte le cas des enfants adoptés ou ceux « adultérins » par exemple et, d’autre part, il impose expressément à l’administration de prendre cette notion en compte avant de pouvoir opposer un refus ou de mettre en doute l’authenticité des documents fournis.
Par ailleurs, on peut douter de la généralisation du recours au test ADN à d’autre cas de figure, notamment pour établir la réalité d’une filiation afin d’accorder le bénéfice des allocations familiales. En effet, à partir du moment où des étrangers sont régulièrement admis sur le territoire français, c’est que l’administration considère que la preuve des liens de filiation est suffisante. Il est alors difficile d’imaginer qu’après avoir pris acte d’une filiation, celle-ci serait à nouveau remise en cause dans un autre domaine. Il paraît à plus forte raison invraisemblable que l’administration puisse contester, dans le cadre du bénéfice des allocations familiales, la filiation de citoyens français disposant de documents officiels français. Cette hypothèse signifierait que l’Etat n’accorde pas de crédit à des documents dont il a, lui-même, définit les normes d’établissement.
III-
Aspect critiquable de l’amendement
Ce que l’on peut effectivement reprocher à cet amendement est de favoriser davantage les familles dont la filiation peut être prouvée par le sang. En effet, ce contrôle de l’administration par le juge n’est ouvert qu’à ceux qui peuvent se soumettre au test ADN.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que le régime antérieur au régime actuel offrait des garanties de contrôle à peu près similaires à ceux que cet amendement pourrait établir. En effet, dans l’hypothèse où l’administration avait un doute sur l’authenticité des documents fournis, l’étranger avait la faculté de saisir d’office, sans l’assistance d’un avocat, le procureur de la République pour qu’il mène des investigations sur l’authenticité des documents fournis.
En effet, sous le régime de la loi du 26 novembre 2003, l’article 47 du Code civil cité plus haut était alors rédigé ainsi :
« Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers
fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi,
sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des
éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier,
falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la
réalité.
En cas de doute,
l’administration, saisie d’une demande d’établissement, de transcription ou de
délivrance d’un acte ou d’un titre, surseoit à la demande et informe l’intéressé
qu’il peut, dans un délai de deux mois, saisir le procureur de la République
de Nantes pour qu’il soit procédé à la vérification de l’authenticité de
l’acte.
S’il estime sans fondement la demande de vérification qui
lui est faite, le procureur de la République en avise l’intéressé et
l’administration dans le délai d’un mois.
S’il partage les doutes de l’administration, le procureur
de la République de Nantes fait procéder, dans un délai qui ne peut excéder six
mois, renouvelable une fois pour les nécessités de l’enquête, à toutes
investigations utiles, notamment en saisissant les autorités consulaires
compétentes. Il informe l’intéressé et l’administration du résultat de
l’enquête dans les meilleurs délais.
Au vu des résultats des investigations menées, le procureur
de la République peut saisir le tribunal de grande instance de Nantes pour
qu’il statue sur la validité de l’acte après avoir, le cas échéant, ordonné
toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »
Ce recours n’était certes pas ouvert dans l’hypothèse, prévue par cet amendement, d’une inexistence de l’acte d’état civil ; cependant il était ouvert qu’il existe ou non une filiation par le sang.
Ces garanties contre les possibles refus abusifs de l’administration ont, par contre, été supprimées dans l’indifférence générale (suppression par la loi du 14 novembre 2006).
Il est à noter que si Me Szpiner, cité plus haut, dont on peut supposer qu’il a compris la portée effective de cet amendement, a signé la pétition en faveur de la suppression de celui-ci, c’est en raison de son symbolisme (intervention sur I-Télé du 11/10/07).
Du
reste, il semble que c’est le symbolisme des termes « test ADN » qui
empêche toute analyse objective de cet amendement et dessert la cause des
étrangers.
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