Autisme : pour qui voter ?
Dans moins d’un mois aura lieu le premier tour des élections présidentielles. Parmi les enjeux de cette campagne figure l’autisme, grande cause nationale 2012 qui concerne directement 400000 personnes et leurs familles dans notre pays. La plupart des candidats ont observé un silence prudent au cours des polémiques qui ont suivi la diffusion des recommandations de bonnes pratiques de la HAS. D’autres, au contraire, prennent une position tranchée. Le Collectif Egalited a donc décidé d'étudier la position des candidats sur le sujet sensible qu'est le handicap, et en particulier l'autisme.
Rappelons tout d’abord l'opposition virulente générant un débat fort entre une partie des pédopsychiatres français, attachés aux théories et pratiques psychanalytiques, et les associations de familles, qui en grande majorité les rejettent du fait de leur absence de résultats. Ce débat a abouti sur la place publique fin 2011, à l’occasion de la sortie du film « Le Mur : la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » (voir ici). Il s’est exacerbé lors de la parution de la version définitive des recommandations de la Haute Autorité de Santé pour la prise en charge, qui mettent l’approche psychanalytique hors jeu et recommandent les prises en charge éducatives cognitives et comportementales réclamées par les familles depuis des décennnies. Rappelons également la situation dramatique d’abandon de l’écrasante majorité des autistes, dont seulement 20% va à l’école (contre 80% dans d’autres pays comme l’Espagne, le Royaume Uni ou la Belgique) ; cette situation a fait l’objet d’un précédent article.
L’extrême gauche
Le programme de certains candidats révèlent une cruelle absence de toute prise en compte du handicap en général et de l'autisme en particulier, et de fait, de l'inclusion sociale nécessaire aux handicapés. Malheureusement, la France souffre d'un retard abyssal comparé aux autres pays développés. Ainsi aucune déclaration claire n’a pu être relevée chez Mr Cheminade (Solidarité et Progrès) ou Mme Arthaud (Lutte Ouvrière).
En revanche, Mr Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste) prend clairement fait et cause pour les pédopsychiatres psychanalystes du « collectif des 39 », qui refusent d’admettre le bien fondé des prises en charge éducatives et continuent de préconiser la prise en charge psychiatrique des autistes (voir par exemple ici). Mr Poutou va ainsi à l'encontre des recommandations de la Haute Autorité de Santé. Il semble donc qu’on ne puisse soutenir le NPA sans rejeter l’ABA ou le TEACCH pour son enfant.
Les choses sont moins claires en ce qui concerne le Front de Gauche et Mr Mélenchon, qui est également soutenu par le Parti Communiste Français. En effet le PCF a pris également position pour soutenir les psychiatres psychanalystes, dans un billet paru dans l’Humanité. Cependant Mr Mélenchon a multiplié les déclarations contradictoires, tant avec celles du PCF qu’entre elles. Ainsi le 12 janvier, il déclarait : « Les enfants avec autisme doivent pouvoir être scolarisés dans de bonnes conditions, ce qui nécessite la présence de personnels formés pour que chaque enfant soit pris en charge de manière individualisée et adaptée. ». Puis le 26 janvier, il prenait position pour une « psychiatrie accueillante et non sécuritaire », dans un communiqué qui ne mentionne pas l’autisme mais qui dans ses grandes lignes abonde dans le sens du « collectif des 39 », sans clairement établir ce que recouvre par exemple la notion de « psychose », qui en France reste souvent un terme incluant à tort l’autisme sous toutes ses formes. Puis le 2 février, Mr Mélenchon se déclarait fermement pour la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire (voir ici). Il a également déclaré vouloir créer un vrai statut pour les AVS et diminuer le délai de traitement des dossiers dans les MDPH. Bref, si pour la scolarisation il va dans le bon sens, Mr Mélenchon ne prend pas clairement position au sujet de l’autisme et de sa prise en charge ; nous l’avons questionné à ce sujet et attendons impatiemment sa réponse.
Mme Joly (Europe Ecologie – Les Verts) a quant à elle a pris position (dans le sillage de l’UNAPEI) contre le projet de loi Fasquelle. En effet elle déclare : « Cette proposition de loi ignore l’approche plurielle des soins, dont l’accompagnement psychanalytique (…)L’approche pluri et transdisciplinaire permet un enrichissement mutuel, source d’avancée dans la recherche et l’enseignement. Les compétences multiples répondent à la complexité de l’autisme ».
Or la HAS a relevé l’absence de données scientifiques indiquant un quelconque apport positif de la psychanalyse, seule ou en complément des approches éducatives. On peut donc craindre que si Mme Joly arrivait au pouvoir, les recommandations de la HAS restent lettre morte.
Pour conclure ce tour d’horizon à la gauche du spectre politique, signalons un récent meeting du « collectif des 39 », organe officiel du parti psychanalytique, au cours duquel les anathèmes envers la HAS ont atteint leur paroxysme. Tous les partis de gauche (jusqu’au PS), et uniquement ceux-là, y étaient représentés. D’après le communiqué officiel, tous soutiennent les positions prises ce soir là (rejet complet des recommandations de prise en charge de la HAS et demande de sa dissolution !), à l’exception du Parti Socialiste, dont le représentant est resté plus prudent et circonspect. On peut donc dire sans risque que si l’on souhaite avant tout que les autistes bénéficient de prises en charges conformes aux recommandations de la HAS, c'est-à-dire à l’état des connaissances scientifiques actuelles, il semble difficile de voter pour les partis d’extrême gauche y compris écologiste.
L’extrême droite
A l’autre extrême du spectre politique, le Front National a publié un programme concernant le handicap dans lequel l’autisme est mentionné un peu à la marge, sans doute suite aux interpellations associatives. On ne peut qu’applaudir à certaines propositions (« Favoriser l’accès à l’école et aux activités parascolaires pour les enfants handicapés, garantir la pérennité statutaire des auxiliaires de vie scolaire et leur formation »), mais le FN s’abstient cependant de prendre clairement position dans le débat de fond sur la prise en charge (« Lancer une réflexion avec les acteurs concernés pour une meilleure prise en compte et une meilleure prise en charge de l’autisme »).
Mr Dupont-Aignan (Debout La République) a quant à lui pris position de manière très claire en faveur des approches éducatives et contre l’approche psychanalytique. Il veut également favoriser la scolarisation des élèves handicapés en école ordinaire et revaloriser le statut des AVS. Il est dommage qu’il n’ait pas été suivi par d’autres candidats dotés de meilleurs pronostics électoraux.
L’UMP
Mr Nicolas Sarkozy, Président sortant et candidat UMP, n’a pas pris position publiquement au sujet de l’autisme et sa prise en charge malgré nos tentatives de prise de contact sur son site électoral.
Cependant on peut noter ce courrier de Mr Copé au collectif « Soutenons le Mur » dans laquelle il prend position contre le packing et implicitement pour les recommandations de la HAS, ou encore cette déclaration publique de Mr Sarkozy pour une augmentation du nombre de postes d’AVS.
Cependant, nous nous trouvons devant une situation où les besoins sont reconnus, mais les décisions budgétaires vont à l'inverse de ces besoins, même s’il faut reconnaitre des initiatives allant dans le sens vivement souhaité des associations de familles. Par exemple le bilan du plan autisme de Mme Létard (sénateur UMP) accompagné des mesures qu’il préconise, ou la mise en chantier d’un nouveau plan autisme annoncée par Mr Fillon et Mme Bachelot, devant mettre en œuvre concrètement les recommandations de la HAS, ou encore le projet de loi du Député UMP Daniel Fasquelle visant à bannir la psychanalyse de la prise en charge de l’autisme.
Mais il est nécessaire de souligner que les mesures d’économies budgétaires décidées par le Gouvernement actuel sont la cause :
- de l’extrême difficulté des familles à obtenir des AVS (souvent sous-payées et non formées), et en nombre d'heures d'accompagnement le plus souvent très insuffisant
- de l’augmentation des effectifs des classes, ce qui n’aide pas à l’inclusion des élèves handicapés, la présence d'un tel élève demandant un travail supplémentaire à l'enseignant ; une classe trop chargée étant déjà une difficulté pour un élève ordinaire
- ou encore la baisse des budgets médico-sociaux empêchant de fait l’ouverture de structures adaptées ou la reconversion des structures existantes.
Le Parti Socialiste
La position de Mr Hollande (Parti Socialiste), sur le sujet de l’éducation, est radicalement inverse, puisqu’il préconise d’augmenter les moyens alloués à l’Education Nationale, à l’inverse des décisions du gouvernement sortant. Ainsi il promet de recréer 60000 postes dont une partie sera dédiée à l’accompagnement des handicapés. Par ailleurs, l’équipe électorale de Mr Hollande a rendu publique une déclaration suite aux recommandations de bonnes pratiques de la HAS ; à notre connaissance il s’agit donc du seul candidat à avoir pris acte de ces recommandations. Monsieur Hollande reste fidèle à son image de personne mesurée : il prend acte. Cependant, s’il retient qu’elles préconisent une « approche personnalisée et diversifiée », il évite soigneusement de mentionner le fait que la psychanayse n’est pas recommandée, ni que les méthodes éducatives TEACCH et de l’ABA le sont.
Cette prise de position extrêmement distanciée voire frileuse, n’est pas pour rassurer les associations de familles. Pas plus que ne l’est la récente déclaration d’un représentant PS lors d’un meeting des psychanalystes du « collectif des 39 », admettant la nécessité d’une « réorganisation de la HAS »… La seule déclaration sans équivoque concerne le packing : le candidat considère que la HAS « met ainsi fin aux interrogations sur la pertinence de cette pratique ». Pour conclure, Mr Hollande souhaite « avant tout de permettre l'inclusion des personnes avec autisme : inclusion dans l'éducation, inclusion dans la vie active, y compris professionnelle en milieu ordinaire, des adultes avec autisme ». Notons en parallèle que Mr Hollande a eu l’occasion de visiter en Corrèze un établissement de la Fondation Jacques Chirac utilisant du TEACCH, et s’était déclaré favorablement impressionné lors de cette visite.
Nous en concluons que Mr Hollande a compris dans quelle direction il fallait aller pour aider les personnes autistes, tant en matière de prise en charge que de scolarisation et d’inclusion. Il est néanmoins obligé de composer avec ses amis politiques dont beaucoup, comme Mme Aubry, restent très attachés à la psychanalyse, dont les liens idéologiques avec la gauche sont assez forts (malgré quelques voix dissonantes comme le montre ce billet d’humeur). Ce qui explique l’envoi d’un représentant au meeting des « 39 ». Bref : dans la pespective d’une élection très risquée Mr Hollande évite de trancher, préférant ménager la chèvre et le chou aussi longtemps que possible.
Le Modem
Mr François Bayrou (MoDem), sollicité à plusieurs reprises depuis des mois par le collectif Egalited, comme les autres candidats, n’a pas répondu à nos interrogations. Dans ses déclarations publiques Mr Bayrou se dit favorable à « l’intégration des enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire » mais s’abstient de prendre des engagements : de simples généralités sans calendrier clair, comme « cela mérite une réflexion et un soutien nouveau de la nation »… Une mesure proposée dans son programme pour l'éducation nationale incite à la prudence : « Les principales difficultés des élèves très jeunes sont psychoaffectives. Elles ne sont pas, pour la plupart du temps d’ordre pédagogique ou de l’ordre des capacités, comme on le dit. Les repérer tôt par une formation et un réseau adapté, c’est donner une chance de les résoudre soit au sein de l’école soit par l’intervention, plus souvent encore, de pédopsychiatres. » Les parents d’enfants autistes, hyperactifs ou porteurs de troubles « dys » ne manqueront pas d’être interpellés par cette analyse, quand on sait que la prévalence totale de ces trois troubles est de l’ordre de 10% à 15% des enfants, et que encore aujourd’hui la plupart des pédopsychiatres restent persuadés à tort qu’ils sont précisément « psychoaffectifs ».
Sa frilosité dans ses quelques déclarations sur le handicap et ses paroles rappelées ici, laissent donc craindre qu’avec lui également il est peu probable que la prise en charge de l’autisme progresse dans le sens préconisé par la Haute Autorité de Santé. Nous aurions donc apprécié des précisions de sa part mais à ce jour il n’a pas répondu à nos correspondances.
Que peut-on dire en conclusion, au sujet du programme des divers candidats dans le domaine de l’autisme ?
A l’extrême gauche, y compris les écologistes, les choses sont claires : on soutient sans complexes la psychatrie psychanalytique. On peut encore laisser un certain bénéfice du doute à Mr Mélenchon.
A l’extrême droite, le problème a été pris en compte plus ou moins dans le sens souhaité par les familles, mais le programme du FN notamment laisse transparaitre un manque d’approfondissement de la question qui peut laisser craindre une tentative de récupération.
Au centre, le peu d’indices laissés par Mr Bayrou laisse craindre une préférence également pour la psychatrie psychanalytique.
Les deux principaux candidats en présence, MM. Sarkozy et Hollande, sont plus dans une posture de soutien à la HAS et à ses recommandations, avec à l’UMP une adhésion sensiblement plus marquée qu’au PS, probablement en raison des liens idéologiques anciens qui lient la gauche à la psychanalyse, mais côté PS une volonté de remettre plus de moyens pour la scolarisation. Pour caricaturer le débat, les familles devront-elles choisir entre avoir une bonne prise en charge pour leur enfant, ou avoir une AVS à l’école ?
Pour conclure, on constate que la question de la prise en charge éducative de l'autisme est pour le moment surtout prise en compte par l’UMP. Il est bien connu que les idées psychanalytiques sont assez répandues dans les cercles politiques dits "de gauche", ce qui explique la prudence du PS et les prises de positions radicalement pro-psychanalyse de l’extrême gauche. Mais les autistes n'ont que faire des querelles politiciennes et idéologiques. Les autistes et leurs familles ont avant tout besoin d'une prise en charge adaptée, qui a prouvé son efficacité, et tant pis si cela n'est pas du goût de certains cénacles philosophiques ou intellectuels. Les méthodes utiles et efficaces pour aider et faire progresser nos enfants ne sont ni de droite ni de gauche ; on voit qu’en ce moment le « collectif des 39 » tente de prendre en otage la gauche française, cette manœuvre dangereuse doit être évitée par le PS s’il souhaite éviter de s’aliéner les familles.
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