Buffet, Royal, Voynet, présidentielles de 2007 et verrouillage de la politique française
Après l’élection de Ségolène Royal aux primaires du Parti socialiste le 16 novembre et le discours de Marie-George Buffet du 20 novembre au Conseil national du Parti communiste, il semble bien qu’un tournant s’opère avec le retour en force, au sein de la « gauche », de la continuité d’inspiration mitterrando-jospinienne. Ces derniers jours ont été particulièrement mouvementés pour les courants que l’on répertorie comme « antilibéraux », « altermondistes », « gauche de la gauche »... et qui se trouvent confrontés à un véritable fait accompli. Au-delà de divergences de façade et de rivalités, un véritable front de la « gauche plurielle » de 1997-2002, incarné par Ségolène Royal, Dominique Voynet et Marie-George Buffet, se profile, avec en prime une possible « ouverture au centre ». Pour le « rassemblement antilibéral », c’est à prendre ou à laisser. Mais peut-être, aussi, la dernière chance de procéder à une réflexion autocritique salutaire.
Malgré les critiques, au fond pas très méchantes, vu le contexte, qu’elle a adressées à Ségolène Royal, Marie-George Buffet l’a tacitement présentée comme une partenaire incontournable. Une alliée objective, à convaincre en dépit des divergences. Car, par le vote du 16 novembre, « les prises de position de Ségolène Royal dans sa campagne, y compris celles qui avaient suscité surprise et réserve au sein même de son parti, sont plébiscitées... », et force est de constater que « le débat a eu lieu. Des arguments ont pu se confronter. Les militantes et les militants socialistes ont fait preuve d’une grande attention dans cette confrontation d’idées... ». Dès lors, « ce qui nous importe... c’est que les élections présidentielle et législatives de 2007 permettent... de battre la droite et de réussir à gauche. C’est qu’elles permettent de construire une nouvelle majorité à gauche et un gouvernement de gauche... ». Telle est, pour le Parti communiste, la première des priorités.
Quant au Parti socialiste, il reste pour Marie-George Buffet un parti éminemment populaire. Pas question d’évoquer le poids des « élites » en son sein, l’appartenance de ses dirigeants à des cercles et à des réseaux où ils rencontrent la coupole des milieux financiers et industriels, la liste des PDG issus de leurs cabinets ministériels, le bilan très contesté du gouvernement de Lionel Jospin dont Marie-George Buffet a été elle-même ministre... Ni de rappeler les propos récents les plus choquants de la candidate « socialiste ». Aucune remarque, non plus, à l’encontre de la candidate des Verts, Dominique Voynet, qui a déjà mis en marche son blog de campagne et recherche des partenaires dans un autre secteur politique. Précisément, le résultat du vote interne du PS s’expliquerait par « la recherche de la garantie la plus sûre pour ne pas revivre le 21 avril 2002 et pour battre la droite en 2007... l’expression de la volonté impérieuse, de plus en plus partagée et qui grandit au sein de notre peuple, de barrer la route du pouvoir au petit Bush français, de ne pas ressentir une nouvelle fois la honte d’un Le Pen au second tour ». Comment s’opposer à cette volonté populaire ?
L’important, pour la secrétaire nationale du PCF, c’est de trouver « une solution pour que la gauche gagne et réussisse » et de « rendre possible le très large rassemblement politique qui peut changer la donne à gauche, battre la droite et ouvrir en 2007 pour notre peuple une nouvelle période de progrès social et démocratique ». On peut même penser que, dans un « très large rassemblement populaire », il doit y avoir la place pour quelques dirigeants de l’UDF...
Le décor est donc planté. On dirait même que, dans une stratégie globale de captation de militants et d’électeurs, les démarches de Marie-George Buffet, Ségolène Royal et Dominique Voynet ressemblent étrangement à un partage de tâches et de rôles en vue d’une opération politique ultérieure. Peu importent les divergences politiques affichées, ou les hypothétiques rivalités personnelles. En l’occurrence, on peut raisonnablement penser à une alliance d’intérêt jugée incontournable par la coupole du PCF.
Des procès d’intention, des phrases extrapolées ? Honnêtement, je ne le crois pas.
Dans un entretien publié par L’Humanité le 23 novembre, la dirigeante du Parti communiste revient à la charge : « Si je disais à l’une ou l’un de ces salariés rencontrés dimanche, si je disais aux familles en attente d’un logement que notre rassemblement n’aspire qu’à témoigner du bien-fondé de nos propositions ou à faire émerger une union de la gauche de la gauche, elles diraient : " Dans quel monde vit-elle ? Ne voit-elle pas l’urgence de battre la droite ? " Notre rassemblement doit clairement viser une majorité populaire pour constituer un gouvernement. Ne mettons donc aucune frontière ! ». Notamment, à « des hommes et des femmes de gauche » [qui] « ne se retrouvent pas dans le terme "antilibéral" ». Le seul objectif sensé est donc de « battre la droite » et de « ne pas laisser les clés de la République à Nicolas Sarkozy ». On ne peut pas être plus clair.
Evidemment, une telle politique d’alliances ne peut pas ne pas générer de laissés-pour-compte. Les silences « au bon moment » en témoignent déjà. L’axe Royal-Buffet-Voynet, qu’on semble bien nous préparer, augure, malgré toute la phraséologie pré-électorale, une « gauche musclée » avec une politique sociale « dure ». De 1997 à 2002, Lionel Jospin n’a guère respecté ses promesses électorales et a sorti de son chapeau de nombreuses mauvaises suprises. Ce sont les mêmes à présent, et il faut s’attendre aux mêmes pratiques. Excluant donc, dans la réalité, un certain nombre de compromis et d’ouvertures. José Bové ne s’y est pas trompé lorsque, le 23 novembre, il a adressé aux collectifs « pour des candidatures unitaires de la gauche antilibérale » une lettre retirant sa proposition de candidature présidentielle. Un communiqué aussitôt qualifié de « signal d’alarme » par des membres de ces collectifs.
Mais pouvait-on sérieusement espérer, par exemple, qu’un milieu politique ayant gouverné en 1997-2002 aide José Bové à accéder à des responsabilités d’une certaine importance ? Ce serait oublier un peu vite que le gouvernement Jospin était très favorable aux OGM. Qu’en 2001, des poursuites engagées par le Parquet et par un organisme de recherche public, le CIRAD, ont abouti à la condamnation de l’alors dirigeant de la Confédération paysanne, ainsi que d’autres militants, à de lourdes peines d’emprisonnement. Ni le monde politique ni les institutions n’aiment se déjuger sur des questions aussi graves.
En réalité, des organisations comme le PCF ou les Verts, voire la « gauche socialiste », s’étaient rapprochées d’une certaine « extrême gauche » après la débâcle électorale de 2002. Suite logique d’un processus amorcé dès 1998-1989, lorsque la politique du gouvernement de « gauche plurielle » a commencé à susciter un mécontentement croissant, et qu’il est devenu impératif de « ne pas perdre de vue » les militants qui prenaient leurs distances. La volonté de récupération avait toujours été évidente. Mais avec la mise en orbite supermédiatisée de Ségolène Royal, les intérêts de carrière des appareils de ces partis pointent à nouveau vers une alliance sans fissure avec la direction du Parti socialiste afin de pouvoir accéder à ministères et administrations, de bénéficier de cette alliance lors des élections législatives et par la suite... Ce qu’un article d’Indymédia a appelé le buffet royal. Il ne pouvait pas en être autrement. Les tondus seront, comme d’habitude, les citoyens confrontés au « choix » entre une énième alternance, dont au fond ils n’attendent plus rien, et la continuité d’une majorité, dont la politique les a également laminés.
Enfin, à l’égard des empêcheurs de tourner en rond dans cette démocratie-fiction, le bunker des cinq cents signatures risque de s’avérer un excellent cordon sanitaire. Les élections ne sont tout de même pas faites pour que les citoyens puissent exprimer ce qu’ils pensent vraiment...
Critiquer les lobbies de la politique unique paraît très légitime, face à un tel tableau. Mais les événements récents mettent aussi en évidence, une fois de plus, la situation de dépendance permanente, voire de suivisme imposé ou consenti, dans laquelle se trouvent les mouvements dits « alternatifs » par rapport au vedettariat de « gauche » (dirigeants, intellectuels, « personnalités »...). On l’avait vu, également, avec la crise de l’association Attac. Il serait grand temps de réfléchir à un certain nombre d’inconsistances qui minent les chances de réussite des courants « radicaux » :
- par exemple, que signifie le mot antilibéral ? Le libéralisme fut un courant des XVIIe et XVIIIe siècles, avec un grand épanouissement dans la première moitié du XIXe, mais qui céda ensuite la place à l’impérialisme protectionniste, à la concentration du capital financier et de l’industrie... Où sont passés, de nos jours, la « liberté d’entreprendre », la « concurrence », le « marché libre » ? Même à l’Onu, on entend parler d’oligopoles et de compagnies transnationales devenues plus puissantes que des Etats ! Le dumping social n’a rien à voir avec le libéralisme, pas plus que la politique d’anéantissement des acquis sociaux. Dans ce début du XXIe siècle, cela fait belle lurette que le libéralisme a cessé d’exister.
- Et que penser de l’expression altermondialisme ? De quelle « autre mondialisation » s’agit-il ? Sous l’actuel système économique et social, la mondialisation est ce qu’elle est, à savoir celle du pouvoir des grands holdings financiers et des multinationales, évoluant vers un contrôle global de la planète.
- Pareil pour l’Europe, un autre sujet où la confusion règne. Que signifie l’expression Europe sociale, alors que l’Union européenne s’élargit avec des pays dont les très bas salaires attirent les délocalisations, et que la Russie, où la situation est encore pire, fait partie du Conseil de l’Europe ?
- Quant aux délocalisations incessantes de capitaux et d’entreprises, à l’importation croissante de produits issus du dumping social... quelle politique préconisent exactement les courants qui se présentent comme une alternative à la politique de la « gauche à majorité PS » ?
- Ou encore, quel problème de l’économie et de la société actuelles peut vraiment être résolu par des mesures inspirées de la taxe Tobin, proposée en 1972 dans un contexte très différent ?
Et ainsi de suite... Autant de questions essentielles et stratégiques, restées trop souvent sans réponse claire et vraiment intelligible. A défaut de réponse, que doivent en penser les citoyens ? Les délocalisations, les fuites de capitaux, les importations de marchandises fabriquées dans des conditions qu’un salarié français n’accepterait jamais sont des phénomènes qui ne cessent de s’amplifier. Que faire, et comment ? Où sont les propositions et les actions concrètes, avec des objectifs bien définis ? Une évidence semble s’imposer : rien ne pourra être entrepris tant que les réponses à ces interrogations resteront floues ou contradictoires. Il est très urgent de sortir des ambiguïtés opportunistes et des faux consensus. Faute d’un effort conséquent maintenant, il risque ensuite d’être trop tard.
Voici un débat qui dépasse le cadre de cet article, mais qui m’apparaît incontournable pour tout rassemblement politique dont l’objectif serait de libérer le pays de la « politique unique » qui a forgé sa décadence au cours des deux dernières décennies.
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