En exclusivité pour Agoravox, je me suis rendu au Palais de la Mutualité, dans le Vème arrondissement, mardi 2 juin, pour assister au meeting de fin de campagne du parti Debout La République, dont le congrès fondateur a eu lieu le 23 novembre 2008, qui présente pour la première fois des listes à des élections.
Un parti jeune qui n’oublie pas que l’expérience est nécessaire pour conquérir les Français
Dès les premières minutes, le ton était donné. A chaque instant, se faisait sentir ce mélange d’enthousiasme juvénile et cette foi tirée de l’expérience qui caractérise les partis naissants et sages à la fois, conscients de l’ampleur de la tâche à accomplir pour atteindre des sommets.
Tandis que la salle se remplissait, que les fanions blancs et violets, aux couleurs du parti gaulliste, se multipliaient, accompagnés d’un drapeau bleu blanc rouge agrémenté d’une croix de Lorraine, les militants pouvaient goûter, pour la première fois sans doute depuis plusieurs décennies, la renaissance d’un mouvement authentiquement gaulliste.
Les 550 places (un peu moins que les 800 annoncées par le site de Debout la République) suffisaient à peine pour les militants, adhérents de longue date ou supporters d’un soir, comme cette femme assise à côté de moi, banquière, et qui assistait pour la première fois à un meeting politique, ici parce qu’avec la mondialisation, elle "ne savait où allait son argent".
C’est donc sans préjugés politiques qu’une partie de l’assistance avait fait le déplacement. D’autres, nostalgique de la figure historique du général de Gaulle (une majorité du public était âgé de plus de 60 ans) s’inquiétaient des dérives du néolibéralisme et de la perte d’identité que représente à leurs yeux une Union Européenne supranationale et réduite à des chiffres : Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout La République, fustigera ainsi "l’Europe qu’on veut uniformiser et l’homo economicus qu’on veut créer". Enfin, les plus jeunes ne manquaient pas à l’appel, preuve que, même auprès de ceux qui sont nés sous la présidence de Mitterrand, le gaullisme n’a pas perdu tout son pouvoir de séduction... En revanche, l’absence de la tranche d’âge 30-50 ans se faisait cruellement sentir, et semble dès aujourd’hui un handicap fondamental que ce parti devra surmonter s’il veut connaître des succès électoraux à la hauteur de ses ambitions.
Des principes gaullistes immémoriaux
Nicolas Dupont-Aignan s’est présenté ce soir comme l’héritier authentique du général de Gaulle, chef de la France libre pendant la deuxième guerre mondiale, à la tête du gouvernement provisoire de la République française depuis la Libération en juin 1944 à janvier 1946 et président de la République française de décembre 1958 à mai 1969.
En effet, plusieurs traits caractéristiques du héros national apparaissent dans le long discours (une heure) de Nicolas Dupont-Aignan :
-Son insistance sur l’Europe des nations contre l’Europe supranationale qui est, selon lui, mise en place par le quator UMP-PS-MODEM-VERTS ("Ils sont les coproducteurs de cette Europe qui ne marche pas et ils sont les premiers à en dénoncer les effets", a-t-il lancé). Ainsi, pour conjurer les effets de la crise économique et identitaire, il serait nécessaire de "s’appuyer sur les démocraties nationales et de (...) laisser vivre les nations".
"Je veux une Europe comme une équipe de foot", a-t-il annoncé en se tournant, complice, vers l’ancien international de football François Bracci, engagé avec Debout La République dans la campagne européenne, entendant par cette métaphore un peu obligée qu’il faut laisser à chaque pays ses spécificités, sa personnalité et ne pas considérer les Etats comme des pions qui n’auraient ni histoire ni valeurs propres.
-De même, il faut selon lui rendre l’Europe aux européens, autrement dit aux peuples qui la composent. "Répétez inlassablement que nous sommes copropriétaires de l’Europe !", clame-t-il, très applaudi. Il a fustigé de cette façon l’adoption du Traité simplifié de Lisbonne par les parlements européens, après que les peuples de France et des Pays-Bas ont voté pour le "non" au référendum du 29 mai 2005.
Il a ainsi dénoncé le fonctionnement actuel de l’Union : "On a confié l’Union Européenne à trois instances non élues", critiquant particulièrement la Commission européenne, dont il a proposé la suppression et "son remplacement par un secrétariat intergouvernemental".
Nicolas Dupont-Aignan, ovationné au moment d’évoquer son refus de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, a par ailleurs réclamé "un référendum obligatoire sur la question des frontières".
-Par ailleurs, en marquant sa préférence pour "une Europe utile" plutôt qu’une Europe supranationale, c’est une politique de grandeur, chère à de Gaulle, que Nicolas Dupont-Aignan a appelée de ses voeux. Pour lui, l’Europe ne doit pas se limiter aux questions mineures (d’où l’exemple cocasse, quoique caricatural, de la taille de l’étiquette de yaourt dans les pays de l’U.E., qui aurait fait débat pendant un an au Parlement européen...) mais a le devoir de s’attaquer aux grands défis de notre époque. De fait, en "investissant dans les secteurs de pointe" (la voiture électrique, l’énergie solaire, etc), l’Europe qui marche est pour Nicolas Dupont-Aignan "une Europe compétitive (...) qui prépare les grands dossiers de demain".
-D’autre part, le parti Debout La République a marqué sa claire opposition au néolibéralisme, système économique des démocraties libérales depuis le début des années 1980. Suivant l’exemple de "la troisième voie" chère à de Gaulle, c’est contre "les gros intérêts qui achètent Bruxelles" que Nicolas Dupont-Aignan veut placer son combat. Cette formule, qu’on pourrait imaginer sortie d’une réunion du parti communiste, correspond bien à la tonalité de la soirée. Ainsi, condamnant "un libre-échange déloyal, (...) un poulailler avec un renard dedans", qui "favorise l’exploitation des chinois, le retour à l’esclavage" et déshumanise les relations entre les Etats européens ("Nous n’avons plus le droit de mettre en place des contrôles sanitaires car cela est vu comme un retour au protectionnisme"), le mouvement gaulliste estime que le libre-échange doit être limité aux "zones de même niveau économique", tout en restaurant des barrières douanières pour protéger les produits français. Entre capitalisme et marxisme, il y aurait donc bien une solution, mais jusqu’à présent "les traités qu’ils ont signé interdisent l’Europe sociale".
-Un cinquième et dernier trait propre au gaullisme le plus pur est la volonté de Debout La République d’être, comme l’a très bien dit la tête de liste dans la région Nord-Ouest, "au-delà des partis, comme disait Chevènement, un peu à droite, un peu à gauche, mais surtout contre cette Europe". En s’opposant à l’esprit de caste qui est celui des partis traditionnels, c’est contre le "système" (de Gaulle) que Nicolas Dupont-Aignan se bat, faisant l’éloge de tel villepiniste, tel ancien du MPF, tel ami de Chevènement au MRC, ou même aux quelques communistes qui ont rejoint le parti. De fait, le président de Debout La République se veut l’inventeur d’un nouveau centre entre ceux qu’il appelle les "eurobéats" (UMP-PS-MODEM-VERTS qui sont les quatre partis en tête dans les sondages, et tous favorables à la constitution européennes de 2005, refusée par référendum par les français) et les "euroronchons" (l’extrême gauche qui "veut faire la révolution dans tous les pays" et "haït la valeur nation", et l’extrême droite, fermée sur elle-même).
Toutefois, des têtes de liste débutants en politique et parfois maladroits
A bien des égards, par un discours virulent, notamment au moment où il a accusé "le président de mensonge d’Etat sur la question turque" (Nicolas Sarkozy, en public favorable au "non", aurait ouvert huit chapitres pour la pré-adhésion de la Turquie...), et un verbe éloquent, inspiré par le souffle de de Gaulle qu’on croyait éteint depuis plusieurs décennies, Nicolas Dupont-Aignan a réussi à convaincre les 550 citoyens qui s’étaient déplacés au Palais de la Mutualité.
Cependant, on ne peut pas dire que les têtes de liste aient été à la hauteur de la situation. Souvent débutants en politque, ces hommes et ces femmes n’ont pas paru en permanence au clair sur leurs idées. Sans parler de la faiblesse de certains au moment de s’exprimer (nous n’aurons pas le coeur de faire une analyse détaillée au cas par cas...), il est tout de même nécessaire de révéler la démagogie outrancière de certains de ces candidats.
L’un fustigera ainsi "Nicolas, le faux, pas le vrai..." avant de stigmatiser des sondages prétendument "truqués, manipulés...", qui ne sont que des mots faciles dignes de faire ricaner les militants les plus exaltés, mais qui n’ont guère fait avancer le débat. Quelque temps après, il est même fait allusion à la Résistance ("Quand on est de la Résistance, on va jusqu’au bout"...), une affirmation un peu exagérée, que Nicolas Dupont-Aignan aura le malheur de reprendre dans son discours ("La France n’a jamais été dans un tel état depuis 1945").
D’autre part, une phrase prise au hasard, d’une rare démagogie, d’un français approximatif, et empreinte de xénophobie :"Qui encaisse les impôts ? Qui encaisse les taxes sociales ? Ce sont les Chinois, ce sont pas nous ! Et en plus on leur donne notre technologie !" , sans doute idéologiquement plus proche du MPF, voire du FN, que de Chevènement, illustre bien les pièges que devra éviter Nicolas Dupont-Aignan s’il persiste dans sa volonté de rassembler tous les Français dans son parti.
La critique classique des médias était évidemment présente, passerelle pour tous les excès ("On ne dira jamais assez combien les médias nous ont été hostiles !") , de même que l’attaque contre les autres partis ("Le carré UMP-PS-MODEM-VERTS se sent tellement menacé qu’il évite le débat des urnes"...).
Enfin, et cela est franchement préoccupant, un candidat s’est contredit d’une façon grossière, et qui touche les fondements mêmes du gaullisme. Ainsi, il commence par affirmer que "Notre vision du monde s’appuie sur les nations (...), nos idées sont cohérentes et sont fondées sur l’histoire des nations", avant de se demander, dans une tentative guère concluante pour faire une phrase raffinée, si "partir de rien pour changer le monde, n’est-ce pas la meilleure définition du gaullisme ?...". Avec ces sentences à l’emporte-pièce, ces personnes, trop peu expérimentées et surtout ignorantes de ce qu’est réellement le gaullisme, risquent de faire couler le chef du parti, Nicolas Dupont-Aignan, dont nous estimons qu’il devra vite soigner ses relations pour aller loin lors des prochaines échéances électorales.
Signalons pour finir cette phrase hallucinante, "Nous sommes contre la France de l’arabe et la France du latin", qui a certes flatté les militants issus de l’extrême droite, mais est en même temps une attaque non voilée contre les élites. Il est d’ailleurs tout à fait regrettable que ce ton populiste ait été repris à de multiples reprises dans le discours de Nicolas Dupont-Aignan, qui croit savoir que "le poisson est toujours pourri par la tête" et qu’"il y a un moment où il faut la couper"...
La surprise principale de ce meeting de fin de campagne reste l’oubli de la question de l’indépendance de la France et de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis. En effet, Nicolas Dupont-Aignan a préféré axer son programme sur les difficultés actuelles des Français, à savoir l’emploi : "Notre priorité absolue, c’est l’emploi, l’emploi, l’emploi !...", a-t-il clamé au moment fort de son discours. Nous l’avons donc compris, qu’on le veuille ou non, le gaullisme a bel et bien été ressuscité lors de cette campagne, un gaullisme social, plus proche des préoccupations quotidiennes des Français, grâce à un homme et une équipe qui, quoiqu’il arrive, "seront vivants le 7 juin", forts de "plus de 10 000 adhérents" à travers la France.