Débat participatif : le loup est dans la bergerie
Je répète. Le loup est dans la bergerie. Le renard, dans le poulailler. Le chien, dans le jeu de quilles. Et Koz, dans le débat participatif de ce mardi 23 janvier, à l’Atrium, sur le thème de l’éducation. Sur la recommandation de certains d’entre vous, je me suis rendu, hier soir, en ce lieu de perdition perclu de militants socialistes, afin d’infirmer mes préjugés ou de les changer en postjugés dûment étayés.
Me voilà donc aux abords de ce lieu où, il y a bientôt deux ans, j’ai assisté à un meeting de Nicolas Sarkozy. Un militant accorte m’accueille d’une sympathique et souriante salutation. Koz, me dis-je, tu es un salaud. S’il savait. Passé ce moment d’empathie, je pénètre dans les lieux.
J’aurai un peu plus tard la confirmation que nous sommes environ 68. Peut-être 67. Mais pas 69. Sinon va y avoir des grivoiseries en commentaire. Comment compté-je ? Inutile de me fier aux nombres de chaises disposées, notre table compte 17 participants, et il y a quatre tables. Mais bon, soyons généreux, la fourchette haute se situera à 78 et, avec le couteau, nous couperons la poire en deux : on dira qu’on était 73. Pour Rueil-Malmaison et, semble-t-il, Saint-Cloud. Ou Garches ?
Il est parfaitement déloyal et discourtois de relever la moyenne d’âge des participants. Mais, puisque le moindre observateur ne manque aucune occasion de le faire dans une réunion UMP afin de confirmer l’axiome selon lequel la droite, c’est un truc de vieux cons, je me permets de souligner, en étant aimable, que nous devions être dix à avoir moins de quarante ans. Les jeunes militants enthousiastes venus adhérer au PS pour soutenir Ségolène s’en seraient-ils retournés chez eux ?
Bref, me voilà à ma table. Moi qui pensais essayer de me fondre dans la foule, même disposée en cercle, c’est raté. J’essaie de prendre une ou deux photos et ferai un petit film en fin de séance mais, une fois de plus, j’ai gardé mon réflexe de photographe et ai filmé en format portrait. Et puis, je suis mal à l’aise, je suis avocat, pas espion.
Me voilà là, donc, entouré de femmes fort aimables et là, la modératrice du groupe, une enseignante, propose à chacun de se présenter et d’expliquer pourquoi il est là et en quoi l’éducation et l’égalité des chances (thème de l’atelier) nous intéressent. Horreur ! Je leur dis qu’il y a des chances que je vote Sarko, peut-être Bayrou, mais aucune pour que je me fourvoie à voter Royal ? J’opte pour un compromis :
"... à vrai dire, c’est surtout la méthode qui m’intéresse. Je suis venu voir comment se déroulait un débat participatif afin de savoir si c’est du pipeau ou si quelque chose peut en sortir."
Sourires. Les enseignantes qui m’entourent ne sont pas violentes, je le constaterai mieux encore ultérieurement.
Qui donc est à ma table ? Allez, à 60% sûr, des militants PS, peut-être plus, tout le monde ne s’en étant pas vanté. Un couple d’origine étrangère : lui était venu pour voir "Madame Royal". Pas d’bol, elle n’est là qu’en photo. Mais il reste, parce qu’il a des choses à dire et, de fait, il les dira. Un femme d’origine africaine, qui dira quelques mots sur les difficultés d’intégration. Et un sacré paquet d’enseignantes. Je crois que je n’en ai pas vu autant de réunies depuis les conseils de classe auxquels j’assistais quand j’étais délégué. Enfin, la cerise sur le gâteau : c’est à ma table que s’assied le camarade secrétaire de section, candidat aux législatives...
Allons-y pour les constats, les propositions, les remontées. Avant, tout de même, d’en tirer quelque conclusion.
Reportage
Bon, en fait, nous tombons d’accord pour dire que ça va plutôt bien, la société française est fidèle à sa maxime "égalité, fraternité", tout le monde est heureux. Nous rentrons chez nous.
Allez, je vous taquine... Non, bien sûr : nous tombons d’accord, à l’unanimité moins les abstentions silencieuses pour dire que ben non, ça n’va pas. "Nous sommes dans une société inégalitaire. Il n’y a pas d’égalité des chances en France", exposera avec fermeté la rapporteure (je suis au PS, faut que je féminise les titres) de notre groupe à la fin.
Vais-je être taquin tout du long ? Eh bien non. Je vous avouerai que toute cette première partie m’a intéressé. J’ai beaucoup apprécié d’entendre ce que des militants PS, ce qu’un couple de Français musulmans d’origine étrangère, ce qu’une assistante sociale... avaient à dire. C’était l’occasion d’écouter ces gens-là, qui ne sont pas nécessairement dans le premier cercle de mes fréquentations, d’entendre des "tranches de vie".
Vais-je m’amuser à relever les propos tenus, pour mieux les dénigrer ? Non, mais, puisque je lis ailleurs qu’un débat du même genre dans le 9e à Paris a donné lieu à des "échanges (...) très riches, avec des idées ou positions souvent iconoclastes, à côté des propositions politiques traditionnelles", je me vois contraint de relativiser cet enthousiasme débridé, à tendance propagandiste.
Nous avons relevé que l’inégalité des chances se trouve là où il y a des HLM. Je n’ai pas voulu m’inscrire en faux, mais c’est vrai aussi dans les quartiers bourgeois : on y a plus de chances qu’ailleurs. Bref, pas une grande nouvelle.
Nous avons estimé qu’il faudrait arrêter de mettre les profs débutants en ZEP...
Nous avons noté que l’on peut de moins en moins réussir sans soutien scolaire. Expliqué que le problème surgissait dès la maternelle. Que ce n’était pas facile pour les gens d’origine étrangère, mais pas nécessairement du fait de la couleur de la peau, d’ailleurs on ne va pas en parler finalement. Que les parents veulent le mieux pour leurs enfants (ça, ça va revenir un paquet de fois, et avec assurance). Notre ingénieur musulman nous explique que ses fils ont toujours dit aux cadets de ne jamais aller voir un conseiller d’orientation, parce que c’est un conseiller de désorientation.
Bref, un groupe de parole. C’est intéressant, plutôt consensuel, mais personnel.
C’est con, parce qu’on nous a bien expliqué qu’il s’agissait d’enrichir le programme de Ségolène Royal qui, nous sommes d’accord, a bien besoin d’un coup de main de notre part.
Mais voilà, proposer est tellement plus difficile que constater que nous voilà repartis à faire de doctes constats. Et c’est parfois surprenant : pendant que l’un observe que nous sommes en train de faire le procès de l’école unique, un cadre local du PS explique qu’il faut mettre en place des solutions pour combattre la sélection (lesquelles ?), empêcher les parents de choisir les filières qu’ils veulent pour leurs enfants, bref, tout le monde fait la même chose et basta, ça permettra de faire de la diversité, pas de l’élitisme.
Nous avons aussi une discussion sur les conseils de discipline, pendant laquelle une dame relève que les profs ont trop de pouvoir, et qu’il faudrait leur retirer du pouvoir, ce qui soulève l’étonnement de la brochette de sympathiques enseignants à ma droite.
L’assistante sociale relève qu’il faudrait aussi plus de respect des directeurs et professeurs envers les élèves, et qu’elle a déjà entendu des profs parler aux élèves comme ceux-ci le font entre eux. Là, un verbatim délicieux de la prof jouxtant ma voisine de droite :
"Ca sert à rien tout ça. On va pas faire une loi pour empêcher les profs de dire "merde" aux enfants."
Constatant la difficulté qu’il y a à faire jaillir quoi que ce soit qui ressemble à une proposition, je me lance. Il faut croire que j’ai vraiment la niak et que je ne peux pas être dans un groupe sans avoir envie qu’il soit le meilleur. Je leur expose donc la proposition de Martin Hirsch, dans son livre La pauvreté en héritage, consistant à organiser la carte scolaire sous forme de camembert ou plutôt (eh ouais, j’ajoute ma touch) de pion de trivial pursuit pour que le secteur parte du centre, vers la périphérie, où se trouvent généralement les quartiers les plus sensibles, permettant ainsi d’organiser une meilleur mixité à l’école.
Là, le camarade secrétaire de section, qui n’avait pu placer tous ses constats, en profite pour polluer notre brainstorming d’une efficience remarquable pour en recaser quelques-uns et faire un peu de propagande en expliquant que : on a beaucoup caricaturé les propos de Ségolène Royal : elle n’a pas dit qu’il fallait supprimer la carte scolaire, mais la modifier. C’est en face, que Nicolas Sarkozy veut la supprimer.
Je m’agite un peu sur ma chaise. La modératrice veut me donner la parole. Qui ça ? Moi ? Non, non, si vous saviez... ! Bon, ben tant pis et je me lance :
"Ben non, hein, on peut pas dire qu’on a caricaturé les propos de Ségolène Royal et, dans la foulée, se livrer à la caricature des propos de Nicolas Sarkozy. Ce n’est qu’à terme, après que, et seulement si, quatre conditions préalables auront été réunies qu’il propose la suppression de la carte scolaire."
Comme le camarade secrétaire n’a pas bien entendu, on le lui répète.
Je crois que j’ai jeté comme un froid. Personne n’embraye. Bon, tant pis. On passe à autre chose. Mais le laïus est fini. C’est déjà ça de pris. Parce que ça fait déjà plus de deux heures qu’on y est...
Et là, c’est spécialement affligeant. C’est pourtant ce qui sera remis en fin de course pour faire l’objet d’une remontée à l’échelon fédéral, puis national. Un moment de franche rigolade, lorsque l’une des rapporteures explique : "et puis, y’a le camembert", sans plus de précision...
Que vient faire le camembert dans l’égalité des chances ? Le chabichou, à la rigueur, ça passe, mais le camembert ? Mon quart d’heure de gloire : me voilà investi du micro pour expliquer à la salle attentive la stratégie du camembert. Moi, Koz, au micro d’un débat participatif...
Je vous passe les autres remontées, mais vous en dirai un mot si vous l’exigez.
En clôture, le camarade secrétaire nous fait un speech. Il nous indique ne pas avoir voulu énumérer, en introduction, l’ensemble des propositions de Ségolène Royal (i) parce que ça nous aurait empêché de débattre et (ii) parce que ça aurait été fastidieux. La nervosité m’étreint : vais-je bénéficier d’un scoop et faire état dans ces colonnes du programme secret de Ségolène Royal, dont on discute dans les débats participatifs ? Eh bien non ! Nous n’y avons pas eu droit en intro, nous n’y aurons pas droit non plus en conclusion. Mais un quatre pages nous attend à la sortie, nous dit-on ! Sur l’éducation ? Je suis curieux de voir ça. En sortant, j’en prends un : une page de papote sur 2007, une année cruciale (ou un truc du genre. La double page intérieure n’est consacrée qu’à la démolition de la droite et l’on trouve quelques propositions pâlichonnes en quatrième de tract...
Déjà, qu’il n’y a pas de programme caché, connu des seuls militants. Ceux-ci ne sont pas moins dans la floutitude absolue que le reste des Français.
Ma voisine m’avouait son scepticisme sur le résultat de tout cela (elle m’avouait pire encore, d’ailleurs). Elle me rappelait le grand débat national sur l’Education, dont on n’a pas vu sortir grand-chose, et qui avait pourtant duré un an, et mobilisé tout le monde : élèves, enseignants, parents, administration...
Alors, oui, un groupe de parole, c’est intéressant, cela permet d’entendre des gens d’horizons divers s’exprimer. On a refait le monde. On s’est approprié des constats existants... Mais quelles propositions concrètes pourraient bien en sortir, si ce n’est la stratégie du camembert, qui n’est de toute façon pas celle d’un citoyen-expert, sauf à considérer que, tout expert qu’il soit, Martin Hirsch est tout de même un citoyen, ce qu’on oublierait presque avec Ségolène Royal ?
Je persiste aussi à penser que ce calendrier intenable est avant tout une manoeuvre stratégique sur laquelle il convient de ne pas se faire d’illusion. Pour être crédible, à supposer que cela puisse être, et ne pas être un alibi, une telle démarche de constitution du programme de la candidate aurait dû commencer il y a un an.
Enfin, ceci n’a pas écarté les critiques substantielles que l’on peut faire à une telle démarche, et qui m’ont été soufflées par un élu qui pratique la démocratie de participation depuis fort longtemps : une telle démarche n’est très certainement possible, crédible, que pour des enjeux locaux et, politiquement, pour être sincère, elle ne vaut que si le politique donne l’orientation générale qui relève de sa responsabilité de politique. Ce qui a, pour le moins, fait défaut à cette soirée.
67 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON